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Le pari Lafayette
En arborant le concept Lafayette en mars dernier dans son officine de Suresnes, Patrick Prioux l’a transformée en un point de vente couru pour ses prix. Non sans risque. Chronique d’une mutation prometteuse.
Patrick Prioux n’est pas du genre à s’endormir sur ses lauriers. A près de 65 ans, le titulaire aurait pu tranquillement prendre sa retraite. Mais la conjoncture – mêlée à son envie de bouger – en a voulu autrement. En mars dernier, son officine fut la première à porter les couleurs de l’enseigne Lafayette en Ile-de-France. Avant même Paris ! Implantée à Suresnes, près de La Défense, à quelques kilomètres de la capitale, elle est située dans la cité-jardin, un quartier populaire mêlant logements sociaux, écoles, commerces, mais aussi des constructions neuves.
Dans cette zone à l’âme de petit village, la concurrence entre officines est vive. Mais Patrick Prioux, suresnois de surcroît, aime les défis. Quand il rachète la pharmacie en 2001, il en est déjà à sa quatrième installation après Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), Paris XVIe et Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). A l’époque, l’officine réalisait 7 millions de francs (soit 1,06 M€) de chiffre d’affaires. Depuis, le CA a augmenté de 50 % pour atteindre 1, 51 million d’euros TTC en 2012 puis redescendre à 1,42 million d’euros en 2013. « L’activité stagnait, les acheteurs potentiels se montraient très difficiles », confie-t-il. D’un naturel entreprenant, celui qui est par ailleurs titulaire d’un executive MBA d’HEC recherche le moyen de développer ses ventes pour dépasser les 2 millions d’euros. « C’est à partir de ce seuil qu’il y a réellement possibilité de prospérer aujourd’hui en pharmacie », estime-t-il. C’est alors que l’idée de rejoindre un réseau low cost commence à germer dans son esprit…
Intrigué par l’attrait des Pharmacies Lafayette en province, il part visiter celle de Compiègne dans l’Oise. « Ça a été le déclic ! Le principe de proposer des prix bas toute l’année correspond aujourd’hui aux besoins des consommateurs. En baissant les prix de la para de – 20 à – 50 %, les ventes augmentent », remarque le titulaire. Mais avec ses 45 m2 de surface de vente et son chiffre d’affaires d’à peine 1,5 million d’euros, la Pharmacie Prioux ne rentrait pas aux premiers abords dans les critères de sélection de l’enseigne low cost. Néanmoins, son endettement était quasiment nul et son excédent brut d’exploitation (EBE) « correct ». Le business plan de la transformation passe donc sans embûches. Branle-bas de combat en février 2014, les étapes de transformation démarrent.
En orange et vert
Après une semaine de fermeture et 4 semaines de « bazar », la Pharmacie Prioux arbore fin mars le concept merchandising Lafayette, crée par l’agence Design Day (actuellement Dia-Mart). En extérieur, une devanture colorée avec des full-coverings oranges et verts annonce les prix bas et renvoie respectivement au discount et à la santé. On y retrouve la croix occitane, symbole des origines toulousaines de l’enseigne. A l’intérieur, la surface de vente a été augmentée de 10 m2 et permet d’accueillir des personnes handicapées. Les rayonnages sont agencés comme dans un supermarché avec des gondoles hautes pour la parapharmacie. Elles délimitent trois « couloirs » menant aux comptoirs au fond de l’officine, repérables par un « porche » noir. Dans ce point de vente, chaque produit est mis sur un pied d’égalité : pas de PLV ou d’éléments de communication des marques. C’est le principe de « neutralité » de l’enseigne vis-à-vis des laboratoires. « Au-delà de l’aspect agencement, j’apprécie le système de quasi-franchise du réseau, explique Patrick Prioux. Je fais mes achats aux laboratoires partenaires, je gère mes stocks, mais c’est l’enseigne qui négocie les remises et qui indique l’assortiment et une fourchette de prix publics. Je suis régulièrement en contact avec les équipes Lafayette qui ont pris en charge tout le plan merchandising. Ce suivi est sécurisant. »
Stock surgonflé
Dans son nouvel environnement, Patrick Prioux a dû se « plier » aux trois piliers du modèle Lafayette : des prix bas toute l’année (de 25 à 30 % moins cher grâce à des marges faibles et des achats en grande quantité), un large choix de produits grâce à 170 accords-cadres mis en place avec les principaux acteurs du secteur, et, des compétences. Pour bénéficier des remises négociées par le groupe Lafayette, il faut commander en grande quantité. Dans une réserve en sous sol totalement réagencée elle aussi, Patrick Prioux a dû doubler son stock. Il est ainsi passé de 123 000 euros en 2013 à 264 000 euros en 2014 (montant remisé). « Les deux premières semaines, il a fallu gérer la réception de six palettes de produits ! Toute l’équipe a été mise à contribution. » En échange des services de l’enseigne, l’officine doit s’acquitter d’une redevance sur le chiffre d’affaires hors médicaments (près de 3 % ) et d’une cotisation annuelle. La Pharmacie Prioux reverse près de 20 000 euros par an à son groupement. Comme tous les points de vente Lafayette, l’offre hors ordonnances est organisée en une dizaine d’univers bien signalés : hygiène corporelle, capillaire, maquillage, hygiène intime, vitamines, buccodentaire… En tout, près de 10 000 références, des marques d’entrée de gamme aux produits premium. « Notre offre para s’est considérablement développée avec l’arrivée de nouvelles marques référentes comme Lierac, Vichy, Furterer, Eucerin, Bioderma…, mais aussi de challengers comme Ixxi. » Le bio est également présent avec Nuxe Bio Beauté ou Weleda. Quant au rayon diététique, il accueille désormais Arkopharma, Super Diet, Herbesan et EA Pharma.
Nouvelle clientèle
Les prix sont clairement indiqués devant chaque produit sans pour autant utiliser l’effet promo. Comme en grande distribution, des paniers sont mis à disposition à l’entrée. « Nous avions peur que notre clientèle de personnes âgées qui venaient essentiellement pour du médicament ne se retrouvent plus dans ce nouveau concept. En réalité, nous avons conservé nos habitués et séduit de nouvelles cibles qui allaient auparavant acheter la parapharmacie à La Défense. » Aujourd’hui, les mamans réinvestissent la pharmacie Prioux. Avec environ 10 m2 de surface de vente pour l’univers bébé, elles ont désormais le choix. Les laits infantiles, véritables produits d’appel, tiennent la vedette sur 4 linéaires. A noter également le retour, dans ce rayon, du leader du marché bébé Mustela. « Le comportement des clients a changé. Avant, ils entraient et regardaient les tarifs que nous pratiquions puis ressortaient sans même nous avoir dit bonjour. Désormais, ils prennent un panier dès leur arrivée et peuvent y déposer entre 6 et 8 produits », constate Patrick Prioux.
Aujourd’hui, le panier moyen global avoisine les 30 euros HT. Depuis le passage à l’enseigne, la fréquentation de l’officine a grimpé de 25 %, soit 210 clients par jour. L’activité parapharmacie est passée de 9,8 à 13,8 % du CA. Un résultat très positif pour le point de vente compte tenu d’une forte concurrence : une pharmacie Paris Pharma située dans la rue derrière, une parapharmacie Leclerc installée à 1,5 km, à Rueil-Malmaison, et la grande pharmacie du RER de La Défense, réputée pour ses prix !
OTC dans le viseur
Quant à la part des médicaments remboursés, elle est descendue de 76 à 72 %. Qui dit low cost dit aussi « low marge ». Ainsi la marge globale, conformément aux prévisions, a baissé à 26,56 % (contre 30,4 % auparavant). Lors de notre visite en décembre dernier – donc 8 mois après avoir revêtit les couleurs Lafayette –, la pharmacie n’avait pas atteint son seuil de rentabilité. Mais Patrick Prioux – qui ne cache pas son intention de vendre d’ici trois ans – n’en est pas moins confiant pour l’avenir. « Je me donne encore une année pour dépasser les 2 millions d’euros HT, je vise au moins 2,3 millions d’euros à fin septembre 2016 (contre 1,53 à fin septembre 2014 ). » Réaliste, il reconnaît que le concept Lafayette ne peut s’adresser qu’à des confrères peu endettés. « L’investissement de départ est lourd, avec, notamment, l’augmentation du stock, pour des résultats qui ne sont pas instantanés. Mieux vaut prévoir un solide “matelas” de sécurité dans son plan de financement. » Un petit pécule qui lui a aussi servi à embaucher une rayonniste en juillet dernier (pour ranger efficacement les 6 cartons de direct livrés quotidiennement) et une préparatrice arrivée en septembre. L’idée étant d’assurer un service optimal et de limiter l’attente en dépit de la hausse de fréquentation.
Le profil de la Pharmacie Prioux n’est pas représentatif des points de vente Lafayette. Dans les officines du réseau, la répartition habituelle entre les différents taux de TVA est identique : un tiers pour le médicament, un tiers pour l’OTC et un dernier tiers pour la parapharmacie. Mais l’objectif de Patrick Prioux est quelque peu différent : « récupérer des ordonnances et booster le conseil associé en attirant par le prix ». « Pas question de perdre le côté éthique du métier, assure-t-il, aujourd’hui je mets la pression sur le conseil associé car les ventes de produits à 7 et 10 % n’ont pas beaucoup évolué. Or nous pouvons mieux faire sur l’OTC. » Parallèlement, l’officine va s’engager avec le soutien de Lafayette dans une démarche qualité. Epaulée par le réseau, elle compte prochainement se lancer dans la vente en ligne de médicaments. En attendant l’accord de l’ARS, elle va mettre en place le système de click & collect (commande sur le web et retrait à l’officine) sur la parapharmacie, en instituant une file spécifique pour ses clients internautes.
Affaire d’équipe
Pour faire connaître les tarifs avantageux, l’équipe doit s’astreindre à faire le buzz. En principe, à chaque transaction, le ticket de caisse doit être remis au client qui se voit alors expliquer la démarche de prix bas en continu. « Etant donné que l’on ne peut pas faire de publicité, c’est au comptoir que peut se créer le déclic qui fera la différence. Et le bouche-à-oreille nous permet de recruter des clients. » Dans cette aventure, Patrick Prioux a dû compter sur la participation de ses collaboratrices. « Fin 2013, nous sommes tous allés au restaurant et je leur ai annoncé mon intention de passer sous enseigne Lafayette. Je leur ai expliqué le concept, ce que cela allait changer en termes de merchandising, de discours, de politique… et elles ont adhéré. » Si le titulaire est plutôt du genre paternaliste, il sait aussi déléguer. Une des préparatrices participe aux commandes et s’occupe de la validation financière des prix… L’équipe responsabilisée participe activement à la vie de l’officine. L’effet Lafayette se traduit aussi par une montée en puissance des formations via le réseau ou les laboratoires. Ainsi Florige, l’une des adjointes, a pu se spécialiser en médecines douces et plus particulièrement à l’aromathérapie et à la phytothérapie. Un vrai plus pour le conseil vis-à-vis de ses clients habitués comme des autres. Et ça fonctionne ! Selon l’enquête réalisée par notre partenaire Pocket Result, le taux de fidélisation et de recommandation est particulièrement bon (voir page 27). Au-delà du prix, la Pharmacie Prioux sait aussi cultiver le lien social.
Pharmacie Prioux Suresnes (Hauts-de-Seine)
→ Equipe : 1 titulaire, 2 adjointes, 2 préparatrices à temps plein, 1 préparatrice en 2e année de BP à temps partiel, 1 rayonniste, 1 femme de ménage
→ CA au 1er octobre 2014 : 1,53 M€ HT
→ Evolution du CA : + 9,7 %
→ CA prévisionnel au 30 septembre 2015 : 1,9 M€ HT
→ Marge du 01.10.2013 au 30.09.2014 : 26,56 %
→ Evolution de la marge : – 3,8 points
→ Coût des travaux (mars 2014) : 70 000 €
→ Surface de vente (avant/après travaux) : 45 m2/55 m2
→ Fréquentation : 210 clients par jour (+ 25 % depuis le passage à l’enseigne)
→ Panier moyen actuel : 30,31 HT
Répartition du CA
→ Médicaments remboursables : 72 %
→ Médicaments OTC : 7,8 %
→ Produits TVA 7 % : 6,4 %
→ Parapharmacie : 13,8 %
→ Site web : non
→ Groupement : Lafayette Conseil
→ Enseigne : Pharmacie Lafayette
ManagementSavoir motiver
Le passage sous enseigne Lafayette ne s’est pas fait sans effort. La conduite du changement a demandé aux collaboratrices de l’officine un investissement en formation, en conseil, en communication autour de la politique de prix. Et ce, en conservant la même qualité de service auprès des personnes âgées. Le challenge actuel est sans conteste le développement du conseil associé. Pour motiver son équipe, depuis le 1er janvier, le titulaire propose un intéressement sur le chiffre d’affaires HT réalisé hors ordonnances. Cette disposition mise en place dans toutes les pharmacies du réseau Lafayette fait l’objet d’un avenant au contrat de travail. « Nous avons défini un objectif et, s’il est dépassé, chacun touche un bonus », indique Patrick Prioux.
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