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LE DROIT FAIT FOI
Le sursaut républicain suite au drame de Charlie Hebdo soulève de nombreuses questions parmi lesquelles la place de la religion et son effacement au profit des valeurs laïques. Dans l’entreprise aussi, il y a lieu de s’interroger sur les droitset les devoirs de chacun.
D’après une étude menée en 2014 par l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE), 70 % des entreprises sont confrontées à des questions de religion au travail et 73,5 % des managers soulignent que ces situations sont plus délicates et plus complexes à gérer. Principalement en raison du risque d’être accusé de discrimination. Dans le Code du travail, la discrimination est un délit passible de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Pour éviter la damnation des tribunaux, mieux vaut savoir où placer le curseur de son autorité.
Le règlement intérieur de l’entreprise
« Contrairement aux services publics, les entreprises privées ne sont pas soumises à l’obligation de respect de la laïcité instauré à l’article 1er de la Constitution », indique Stéphan Denoyes, avocat. À défaut de faire valoir le principe de laïcité, l’employeur peut-il profiter du règlement intérieur pour édicter un devoir de neutralité au travail ? « La liberté de culte est une affaire privée qui se pratique dans la vie personnelle. Il est préférable que la religion reste à la porte de l’entreprise », estime Stéphan Denoyes. D’autant que les pharmacies sont des lieux ouverts au public, ce qui implique une image de marque à soigner et à préserver. « Mais faute de règles claires et précises encadrant le fait religieux en entreprise, les tribunaux sont amenés à apprécier chaque situation in concreto, c’est-à-dire au cas par cas », explique Mathieu Landrot, avocat.
Le port des insignes religieux
Au nom de la liberté religieuse, l’employeur ne peut pas interdire à ses collaborateurs d’avoir autour du cou une croix chrétienne, une main de Fatima, ou une étoile de David. Ce n’est pas en soi caractéristique d’un comportement prosélyte défini comme « un abus du droit d’expression afin d’imposer ses idées et ses convictions à autrui ». L’article L.1121-1 du Code du travail autorise toutefois des restrictions aux libertés individuelles, dès lors qu’elles sont « justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». À cet égard, l’employeur peut demander à ses salariés de retirer certains signes incompatibles avec les règles de sécurité ou d’hygiène, par exemple, en cas de port de gourmettes ou de pendentifs à proximité de machines mobiles.
La tenue de travail
« La liberté de se vêtir à sa guise sur son lieu de travail ne relève pas d’une liberté fondamentale », souligne Mathieu Landrot. Le chef d’entreprise peut donc imposer une tenue de travail, par exemple le port de la blouse en pharmacie. Mais peut-il demander au salarié de retirer un vêtement à connotation religieuse comme c’est le cas d’un turban sikh, une kippa ou un foulard islamique ? Largement médiatisé, le feuilleton de la crèche « Baby Loup » a placé le voile au centre des débats suite au licenciement pour faute grave d’une salariée qui refusait de l’enlever pendant ses heures de travail. Après de multiples rebondissements et revirements judiciaires, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a confirmé le licenciement. Le retrait du voile demandé par l’employeur était justifié puisque la salariée était en contact avec les enfants et les parents. Dans les commerces, par nature ouverts au public, les signes religieux trop apparents et intrusifs semblent pouvoir être interdits afin de ne pas heurter la clientèle. La liberté religieuse du salarié doit rester compatible avec l’image de l’entreprise. Cette cohabitation est sujette à interprétation et nourrit les situations conflictuelles. A la pharmacie A. à Chambéry, les associés avaient recruté une adjointe voilée. « Cela ne nous posait pas de problème. Mais au comptoir, ce n’était pas si simple. Les clients hommes musulmans évitaient d’être servis par cette pharmacienne », relatent les cotitulaires.
L’aménagement d’emploi du temps
La pratique religieuse peut interférer sur le temps de travail, notamment lorsque le salarié demande des autorisations d’absence pour célébrer une communion, un baptême, le ramadan, l’Aïd-al-Kébir ou shabbat. Si l’employeur n’est pas tenu d’accepter, son refus doit reposer sur des éléments objectifs, déconnectés de la finalité religieuse de la demande. Selon la jurisprudence, « le refus de l’employeur est possible s’il est justifié par les impératifs liés à la bonne marche de l’entreprise ». L’Observatoire de la laïcité souligne que « l’acceptation ou non d’aménagements d’horaires pendant les périodes de jeûne doit être motivée de la même façon ». En clair, l’employeur doit arbitrer uniquement en fonction de l’organisation du travail. « Cette mise à distance respectueuse du fait religieux est un bon moyen pour ne pas créer d’inégalités entre salariés, et se le voir ensuite reprocher », indique Mathieu Landrot. Car si un collaborateur obtient des jours de congés pour une fête religieuse, tous les autres salariés peuvent revendiquer ce bénéfice, et pourquoi pas une compensation pour les non-pratiquants. « Laisser la religion s’exprimer dans l’entreprise est un problème inextricable générateur de discriminations parce que justement toutes les religions n’ont pas les mêmes règles », constate Stéphan Denoyes. Après les attentats jihadistes de Paris, l’Observatoire de la laïcité a émis onze propositions, dont la publication d’une circulaire sur la gestion du fait religieux en entreprise. Son objectif ? Désamorcer par l’application du droit les risques de conflits sur ce sujet particulièrement sensible.
Des refus pas très orthodoxes
A plusieurs reprises, les tribunaux ont rappelé que l’entreprise n’a pas à s’adapter aux croyances de ses salariés. Cas concrets :
• un salarié refuse la visite médicale au motif que sa religion lui interdit de se dévêtir devant une personne du sexe opposé ;
• un boucher refuse d’être en contact avec de la viande de porc ;
• un manager refuse d’être sous l’autorité d’une femme au nom de ses convictions religieuses ;
• un cadre refuse de participer à des déjeuners professionnels pendant la période de son jeûne.
AVIS D’EXPERTDan Nahum
AVOCAT EN DROIT SOCIAL AU CABINET ADN
« Si en principe, l’employeur doit respecter la libertéreligieuse de ses salariés, le Conseil d’État a jugé que la liberté des convictions religieuses peut être limitée s’agissant des services publics au nom des principes de laïcité et de neutralité (avis du Conseil d’État du 19 décembre 2013). La Cour de cassation a également retenu qu’une « restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur pouvait être justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés dès lors qu’elle est proportionnée au but recherché » (Cass. AP, 25 juin 2014, n° 13-28.369) et surtout dès lors que l’entreprise gère une mission de service public. Or, la mission de service public des pharmacies d’officine est définie par l’article L.5125-1-1 A du code la santé publique.
Si la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée clairement sur ce point, il semble par conséquent que les officines de pharmacie pourraient introduire dans leur règlement intérieur une restriction à la liberté de manifester sa religion en vertu du principe de laïcité, notamment concernant le port du voile ou tout autre signe ostensible d’appartenance religieuse.
Néanmoins, il sera nécessaire d’agir avec précaution et ne pas hésiter à solliciter le concours d’un avocat pour la rédaction du règlement intérieur et des contrats de travail ou avenants permettant de rappeler les dispositions prises. »
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