COMMENT ÉLARGIR SON RAYON D’ACTION
Difficile de résister aux œillades d’un marché au potentiel de croissance assuré et aux marges à faire pâlir le médicament, avec une dimension de service forte. Mais relever le pari délicat de l’optique à l’officine exige de voir plus loin que le bout de son nez.
Jusque dans les années 60, les pharmaciens étaient aussi opticiens. Ils ont abandonné cette spécialité juste avant qu’elle ne prenne son essor via le vieillissement de la population », rappelle François Menge, P-DG d’Unilens, qui a lancé le concept Carré de l’Optique. La santé visuelle a cependant gardé droit de cité dans les linéaires officinaux via les loupes de lecture, produits d’entretien pour lentilles et autres lunettes solaires… « A l’heure où les officines cherchent à se diversifier dans des domaines connexes aux leurs, c’est tout naturellement qu’elles vont se tourner vers l’optique, deuxième marché de la santé derrière la pharmacie. » Quant aux marges du secteur, deux fois supérieures à celles du médicament, elles ont de quoi susciter les convoitises. Qui plus est, « l’optique répond parfaitement aux attentes actuelles en termes de développement de nouveaux services à l’officine », souligne Jérôme Floremont, titulaire de la Pharmacie FL à Toul et affilié Carré de l’Optique. « Bouche-à-oreille aidant, des personnes venues nous voir pour les lunettes sont devenues des clients de l’officine. » Par ailleurs, le service après-vente et le renouvellement des équipements sont autant de vecteurs de fidélisation. « Le développement d’une activité de lunetterie ne doit pas être envisagé comme un simple complément d’activité, mais comme un véritable projet d’entreprise bâti et budgétisé en amont », avertit Laure-Emmanuelle Foreau-Coffin, dirigeante de Praxipharm.
Plus qu’un nouveau rayon, un projet d’entreprise
Car si elle est potentiellement rémunératrice, la démarche est aussi gourmandes en charges et exige un professionnalisme sans faille, au risque d’entacher l’image de la pharmacie dans son ensemble. Premier pas, « une étude de marché orientée avant tout sur l’état de la concurrence », à savoir les magasins d’optique, au nombre de 11 000 en France… Pour la consultante, « deux profils d’officines peuvent trouver un intérêt à se lancer : la grosse pharmacie visant à devenir un pôle de services incontournable, et la pharmacie rurale qui palliera l’absence d’opticiens dans son périmètre ».
C’est le cas de la Pharmacie Baudin à Tramayes (Saône-et-Loire), qui abrite depuis trois ans l’activité d’optique jusqu’alors exercée par François Baudin, opticien et mari de la titulaire, dans un magasin mitoyen. Leur clientèle est principalement constituée de retraités. « Le fait de leur éviter de faire des kilomètres, mais aussi de leur permettre de trouver médicaments et lunettes dans un même lieu constitue pour eux un précieux service », fait valoir François Baudin.
En termes d’investissements, il faut en premier lieu envisager le réaménagement de l’espace de vente pour consacrer un espace d’optique, comme la loi le prévoit (voir encadré p. 30). Dans la Pharmacie Baudin, 35 m2 sur une surface totale d’accueil client de 170 m2 sont réservés à l’optique, atelier de montage et de réparation inclus, et quelque 350 montures sont exposées. Jérôme Floremont a alloué à cette activité un dixième de son local de 200 m2. Il sera également nécessaire d’acquérir l’outillage technique adéquat ainsi que le stock, soit au moins 500 montures.
Enfin, dès lors que l’on vend des équipements sur ordonnance, la loi impose de recruter un opticien (voir encadré ci-dessus), voire deux si l’on veut couvrir l’amplitude horaire du point de vente. Le nombre de lunettes vendues quotidiennement reste cependant modeste à l’échelle d’une officine, ce qui n’empêche pas la rentabilité. Avec une trentaine de paires vendues par mois pour environ 3 000 clients réguliers, les époux Baudin s’estiment satisfaits des revenus générés par leur rayon d’optique.
Des options clés en main existent
Face aux opportunités économiques mais aussi aux contraintes que représente la création d’un espace d’optique dans la pharmacie, des acteurs proposent aujourd’hui des prestations clés en main qui permettent au pharmacien de se démarquer des opticiens classiques avec des prix avantageux sans rien céder sur la qualité. Le Carré de l’Optique équipe ainsi d’un espace d’optique des pharmacies d’une taille suffisante, animé par un opticien recruté par la société, pour un investissement de départ « six fois moins important qu’un magasin d’optique », soit environ 100 000 euros. « Nous captons des clients via le flux de l’officine et leur proposons des montures et des verres de qualité irréprochable 20 % moins chers, mais également des examens de vue », explique François Menge. Pour Jérôme Floremont, « la rentabilité était déjà au rendez-vous au bout d’un an ».
De son côté, Otiko adosse ses services à Internet: le client essaie sa monture à l’officine, fait mesurer son écart pupillaire grâce à une application sur iPad et réceptionne sa monture à l’officine 5 jours après. « Nous retenons l’essentiel, la monture et des verres de qualité, sans marque et sans opticien », fait savoir Romain Freton, directeur général d’Otiko. L’investissement s’élève à environ 5 000 euros, avec une promesse d’amortissement en moins d’un an via une commission sur les ventes. Notons qu’Evioo vient également de lancer un concept de corner optique en officine adossé à son site internet.
Enfin, le lunettier KLS cible désormais les officines avec son corner mobile déployé autour d’un atelier visagiste colorimétrie. Il permet d’essayer les lunettes de la marque, au design original et de fabrication 100 % française, et de bénéficier d’un service d’examen de vue. « Notre volonté de simplifier l’achat optique se traduit par un prix unique de 149 euros pour les montures et de deux prix pour les verres selon qu’ils sont simples ou progressifs », détaille la dirigeante Audrey Cattoz. Un service à domicile est également proposé. Le pharmacien s’engage à accueillir une permanence KLS régulière sur une durée de trois mois au minimum, et touche une commission pour chaque vente générée.
Une offre à rendre le plus visible possible
Si le flux clientèle de l’officine est le premier vecteur d’activité pour le rayon d’optique d’une pharmacie, encore faut-il que l’existence de celui-ci… saute aux yeux. Jérôme Floremont l’a ainsi placé directement à gauche de l’entrée de sa pharmacie. Les époux Baudin, de leur côté, consacrent une vitrine à cette spécialité. Laure-Emmanuel Foreau-Coffin suggère pour sa part de « casser les codes » en termes d’agencement : « Comme c’est un achat un peu inhabituel en pharmacie, on aura intérêt à créer un corner spécifique avec une ambiance rassurante, cocooning. » Les meilleurs ambassadeurs restent les collaborateurs eux-mêmes. « En parler à chaque patient porteur d’une ordonnance d’ophtalmologie doit devenir un réflexe », estime Jérôme Floremont.
Laure-Emmanuelle Foreau-Coffin, consultante et dirigeante de Praxipharm
« Se lancer sur le marché de l’optique n’est pas à la portée de toutes les officines. Dès lors, une alternative différenciante consiste à capitaliser sur la confiance accordée au pharmacien par ses patients âgés pour les aider à faire face à leurs problèmes de vue et à leur perte d’autonomie. Un espace technique, à rapprocher des dispositifs médicaux, peut ainsi être consacré à tous les services et produits disponibles sur le marché de la basse vision : loupes grossissantes ou éclairantes, téléphones et réveils à grosses touches, éclairages d’appoint, supports de lecture, etc… Il est essentiel de présenter cette offre à ses clients avant qu’ils ne rencontrent des difficultés. »
Une spécialité encadrée juridiquement
• La présence d’un opticien diplômé et salarié de l’officine (échelon 330 selon la convention collective de la pharmacie) est obligatoire pour les produits d’optique vendus sur prescription.
• Le pharmacien demeure responsable juridiquement de son salarié opticien et de la dispensation.
• Le point de vente doit disposer d’un espace permettant au patient d’essayer le produit dans des conditions satisfaisantes.
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