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Franchise de pharmacie : l’exception française ?

Publié le 17 mars 2015
Par Eléonore Kern
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Jusqu’ici taboue en France, la franchise de pharmacie ne serait plus impensable. Même si l’Ordre sort encore ses griffes, les langues se délient, certains responsables d’enseignes affirmant sans hésitation qu’il s’agit d’un modèle d’avenir pour l’officine…

Entrer dans un lieu et savoir instantanément que vous êtes chez Darty ou McDonald’s et que vous trouverez tel produit ou tel service : voilà le concept très marketing et maîtrisé de la franchise. En coulisse, un accord a en fait été signé entre le franchiseur et une autre entreprise, dite franchisée. Cette dernière a fait le choix de payer pour adopter les codes et le savoir-faire rodé d’une marque. Le franchisé étant par ailleurs propriétaire de son fond. « Trois points sont obligatoires pour une franchise, rappelle Jean-Baptiste Gouache, avocat spécialiste du modèle. La mise à disposition d’une marque, la mise à disposition d’un savoir-faire, qui doit être identifié dans ce qu’on appelle un manuel opératoire, et enfin garantir une assistance commerciale et technique. » Autant dire que ces derniers temps les bases de la franchise ont déteint sur les enseignes de pharmacie : les MDD fleurissent, les formations et spécialisations des adhérents deviennent légion, les plates-formes de commandes se multiplient, les référencements sont de plus en plus « guidés » par le siège… Sans parler des conseillers point de vente qui assistent les adhérents. Ces derniers appliquant les consignes devenues de plus en plus strictes, qu’il s’agisse de l’assortiment ou de l’agencement.

LIMITES réglementaires

Reste qu’aucun réseau de croix verte en France n’a le statut de franchise. Et pour cause : le code de déontologie pose des limites au concept. « Il précise que le nom du pharmacien ne doit pas être moins mis en valeur que la marque enseigne, ce qui est rare en franchise. La publicité est aussi très réglementée et de faible envergure », reprend Jean-Baptiste Gouache. Or c’est la communication grand public qui permet à une marque de se faire connaître et de légitimer à ses adhérents une cotisation relativement conséquente… Mais le nœud du problème se situe au niveau de la sacro-sainte indépendance du pharmacien. « Peut-on imposer un nouveau savoir-faire à un titulaire ? Lui, qui doit être exclusivement guidé par l’intérêt du patient, peut-il adhérer à un concept de franchise qui préconiserait de faire des préparations à l’ancienne au détriment d’autres pratiques ?, se demande l’avocat. Jusqu’où pousser le curseur sans s’attirer les foudres de l’Ordre national des pharmaciens ? »

EVOLUTION à prévoir

L’Ordre qui justement ne voit pas la franchise d’un bon œil. « L’indépendance professionnelle du pharmacien est un principe légal absolu à respecter, pose Alain Delgutte, président de la section A de l’Ordre. Or, dans le cadre d’une franchise, le pharmacien pourrait être tenu d’appliquer une stratégie commerciale déterminée, avec des approvisionnements voire des quantités de vente imposés. Il pourrait se voir contraint d’adopter un certain référencement et de conseiller prioritairement certains produits aux patients. »

Cette évolution du pharmacien ne choque pourtant pas nombre de professionnels. « La franchise est un format intéressant pour la pharmacie qui est en grand danger aujourd’hui, assure par exemple Hervé Jouves, président de Lafayette Conseil. Ne soyons pas dupes : le pharmacien n’est déjà plus libre de son avenir. Il est dépendant de la baisse de rémunération des génériques, de la fragilité du modèle de répartition et des laboratoires qui se regroupent… Le modèle de la franchise pourrait permettre d’amener des nouveaux financements et de maintenir le maillage national. A l’avenir, un indépendant n’aura plus les moyens de faire tout tout seul et de rester compétitif. Actuellement, on demande au pharmacien d’être chef d’entreprise, juriste, acheteur, manager ! » Et de préciser que Lafayette « fera le pas vers la franchise si elle est autorisée, mais ce ne sera pas avant l’ouverture du capital car il faut des moyens ».

« UNE CHANCE pour se relancer. »

Si Lucien Bennatan, patron du groupe PHR et président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine, souhaite quant à lui conserver son système actuel d’enseigne car il l’estime efficace économiquement, il ne rejette pas la démarche de franchise. « Le système de santé latin a succombé aux coups de butoir du système de santé anglo-saxon. Le jardin à la française, c’est fini ! La franchise sera une solution parmi d’autres dans les deux ou trois ans, prévoit-il. C’est tabou, encore interdit de le dire, mais il est certain que demain la pharmacie sera organisée en une dizaine de réseaux. C’est mieux que d’être mort ou que de faire son métier à la chandelle. Il faut voir cette évolution comme une chance pour se relancer en tant qu’acteur de santé en se déchargeant de l’aspect logistique, commercial, etc. »

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Même son de cloche chez Christian Grenier, président de l’enseigne Népenthès et à la tête du syndicat des groupements et enseignes Federgy. « Federgy n’a pas encore pris position sur ce sujet, précise-t-il. Mais à titre personnel, je pense que la franchise serait l’idéal pour le pharmacien car si une partie de ses achats est déléguée, au lieu de passer des heures à négocier le prix de compresses, il dégagera du temps pour être au comptoir. Cette proximité renforcée avec le consommateur l’amènera à une hausse de son chiffre d’affaires de 10-15 %. »

Déclic

Dr. Fleming change la donne

To be or not to be en franchise ? A l’heure où le débat continue en France, la franchise de pharmacies italiennes Dr. Fleming, avec ses officines sans comptoir au design renversant, espère débarquer dans l’Hexagone en 2016. « Nous travaillons sur ce projet depuis deux ans avec une équipe de consultants, précise Fabio Pasquali, P-DG de WM Capital, société spécialiste des franchises, à l’origine du projet. Nous avons déjà des groupes intéressés et des discussions en cours. Notre format est original car le pharmacien restera indépendant. A part notre marque propre, notre contrat lui permettra d’acheter ce qu’il souhaite. Son nom ne disparaîtra pas non plus de la vitrine. » Preuve encore une fois que la franchise d’officine, avec peut-être quelques subtilités, est à deux doigts de s’implanter en France…