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La croix est la bannière

Publié le 11 avril 2015
Par Chloé Devis
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A l’heure où l’officine doit sans cesse démontrer sa plus-value, la façade, croix verte en tête, représente un enjeu décisif. Vecteur de communication privilégié dont les possibilités sont démultipliées par les nouvelles technologies, elle doit permettre de se démarquer sans perdre de vue les exigences réglementaires et déontologiques.

En matière de signalétique extérieure, l’officine est soumise à diverses réglementations nationales, locales ou spécifiques (voir page 34), mais elle bénéficie aussi de certaines prérogatives. Et qui dit droits, dit devoirs. Assimilée aux services d’urgence, elle est le seul commerce autorisé à disposer d’une enseigne clignotante. Deux emblèmes lui sont réservés à des fins d’identification : la croix grecque verte et le caducée, même si ce dernier ne fait plus trop recette. Cependant, « l’usage de ces marques collectives, dont l’Ordre est titulaire, est encadré par un règlement qui vise à empêcher tout détournement et toute atteinte à leur identité », précise Guillaume Fallourd, avocat. Par ailleurs, le Code de la santé publique stipule que « la présentation intérieure et extérieure de l’officine doit être conforme à la dignité professionnelle », ce qui exclut « toute forme de publicité agressive ou tapageuse ou de sollicitation illicite de clientèle », rappelle l’homme de loi. En revanche, l’affichage en devanture d’un certain nombre d’informations concernant l’identité des titulaires, les jours et horaires d’ouverture et les services de garde et d’urgence fait partie des recommandations de l’Ordre sur l’agencement des locaux de l’officine. La signalisation extérieure vise en premier lieu à permettre aux pharmaciens d’assurer leur « mission de service public », rappelle l’institution. Reste qu’aujourd’hui, plus que jamais, l’impératif de visibilité répond aussi à des exigences d’ordre économique, dans un contexte où « la concurrence avec d’autres canaux de distribution s’aiguise, avec des clients moins fidèles qu’avant mais sensibles au service et aux prix », fait valoir Stéphane Bertagne, directeur de Ouest Enseignes. Or « au vu des limitations imposées à la profession en matière de publicité, la signalétique extérieure est un outil essentiel pour capter l’attention », souligne Damien Beaurez, responsable communication de Smartlight Europe. Les prestataires l’assurent à grands renforts d’études, le renouvellement d’une croix ou d’une enseigne boosterait la fréquentation et, son corollaire, le chiffre d’affaires. Laurent Castro, titulaire de la pharmacie des Quais à Charenton (Val-de-Marne), est lui-même convaincu de l’impact de sa nouvelle croix sur son activité, mais « il est difficile de l’apprécier dans la mesure où toute l’officine a été refaite », nuance-t-il. Pour Pierre-Jean Delory, dirigeant de Pharmenseigne, « la décision d’une reprise de façade se fonde de plus en plus sur le regard des patients, attentifs à tous les détails. Une devanture soignée est une première marque d’attention envers eux et c’est un élément qui favorisera la relation avec l’équipe officinale ». A l’image des autres commerces, il n’est donc plus question pour l’officine d’être logée « à la même enseigne » pendant dix, quinze ou vingt ans. « L’amortissement des éléments de signalétique extérieure doit désormais être envisagée sur cinq à sept ans », affirme Pierre-Jean Delory. Le phénomène va de pair avec la place croissante de la réflexion marketing et merchandising au sein des officines. Dès lors, le défi pour les pharmaciens et leurs prestataires consiste à adapter les codes du métier à un besoin de différenciation… en jonglant avec des budgets plus serrés qu’autrefois. Même si l’investissement varie fortement selon la nature de l’intervention. « Il faut compter environ 5 000 euros pour la refonte complète de la signalétique extérieure d’une officine moyenne, de deux à trois fois plus pour une façade importante, et jusqu’à 50 000 euros dans le cas de la création d’un bâtiment », détaille Ronan Barbé, directeur d’AS Enseignes.

Des codes à revisiter

Premier facteur à prendre en compte dans sa réflexion, l’environnement. C’est d’abord une nécessité sur le plan réglementaire. « Les contraintes de voirie et d’installation peuvent varier d’une commune, voire d’une rue à l’autre », pointe Guillaume Fallourd. D’un point de vue commercial, la nécessité de se démarquer s’imposera davantage dans les grandes agglomérations. Mais l’emplacement lui-même joue : « En centre-ville, avec peu de recul, une croix de 1,30 m sera démesurée, alors qu’elle permettra d’être vu de loin sur un grand axe », note Ramiro Fernandez, président du Comptoir pharmaceutique et médical (CPM). Désireux d’accroître sa visibilité sur un quai très arboré, Laurent Castro a ainsi fait le choix d’une « croix très lumineuse de 1,10 m avec 20 cm de déport ». En second lieu, « la cohérence entre l’extérieur et l’intérieur de l’officine est devenue incontournable », observe Stéphane Bertagne. Le logo et les autres éléments de graphisme et de typographie sont ainsi déclinés de la devanture jusqu’au comptoir en passant par le mobilier. Avec une propension à s’affranchir des conventions, dans la foulée des groupements. « On voit apparaître des couleurs comme le rouge, le rose, le gris, le violet voire l’orange ou le chocolat … même le vert franc est troqué contre l’anis », relève l’enseigniste. L’enseigne elle-même offre des possibilités multiples. En bandeau, parallèle à la devanture, ou en drapeau, pour être vue de loin, elle peut être plane ou en volume, avec une face translucide ou opaque. Côté matériaux, les caissons se déclinent en plexiglas ou en aluminium, les lettres découpées en métal, PVC, Dibond, méthacrylate… En matière d’éclairage, les LED offrent une grande polyvalence sur le plan esthétique et technique : elles peuvent notamment être utilisées en rétro-éclairage ou en diodes apparentes pour une visibilité maximale, et ce dans des coloris variés.

Des devantures qui en disent long

Les LED se sont également substituées progressivement au néon en ce qui concerne les croix, ouvrant la brèche à de nouveaux usages. Chez CPM, on plaide pour la version traditionnelle, « verte et lumineuse », reconnaissable entre toutes. D’autres envisagent désormais le symbole professionnel comme un support personnalisable. Signe des temps, depuis cette année, Smartlight Europe offre le choix du cadre et de son coloris, permettant « 170 combinaisons de croix à diodes contre 24 auparavant », fait valoir Damien Beaurez. Si la technologie bicolore rencontre un certain succès, certains pharmaciens font également le choix de marier le logo de leur pharmacie à la croix. Reste qu’en matière de couleur comme de taille ou de luminosité, il faut savoir raison garder sous peine de se voir demander le retrait de l’équipement chèrement acquis. Les LED offrent un autre argument aux officines françaises pour se distinguer : la possibilité de diffuser animations et informations à caractère non publicitaire, comme les horaires d’ouverture, les horaires de garde, ou encore la température, l’heure… « On peut aussi, pendant les heures d’ouverture, faire défiler des mots-clés comme ‘accueil’, ‘écoute’, ‘confiance’… », suggère Ronan Barbé. Car au-delà de l’identité visuelle, la signalétique extérieure permet de relayer le discours de l’officine sur ses services et produits. Bandeaux, plaques murales, et autres vitrophanies fournissent autant d’espace à cet effet. « Attention, le but n’est pas de faire du remplissage mais de mettre en avant son positionnement, en privilégiant les ‘mots-métiers’ », préconise Ronan Barbé. Pour Pierre-Jean Delory, « une stratégie de communication bien pensée implique de se réapproprier les vitrines trop souvent laissées aux mains des laboratoires ». L’abus de vitrophanie est cependant déconseillé pour des raisons de sécurité. En outre, d’autres éléments peuvent contribuer à dynamiser la façade du point de vente. Placées derrière les vitrines, et de ce fait non réglementées, « les mini-croix attirent le regard et favorisent l’achat impulsif », estime François-Xavier Crozet, et ce pour un coût oscillant entre 200 et 400 euros. Quant aux bandeaux lumineux avec texte défilant, « ils ont perdu leur impact et ont même un côté vieillot aujourd’hui », estime le P-DG de Rubex Pharma. Les écrans à diodes représentent une alternative prometteuse. « Ces outils permettent au pharmacien d’élaborer ses propres messages et animations et sont très efficaces pour capter l’attention dans des rues passantes, estime Ramiro Fernandez. Il faut de même compter de 13 000 à 14 000 euros pour un écran de bonne qualité en termes de luminosité mais les prix sont à la baisse ». Attention, « une utilisation judicieuse de ce type de support requiert un plan média élaboré », souligne François-Xavier Crozet.

En complément de l’habillage de la façade, l’implantation de dispositifs d’enseigne autonomes est plus rare d’autant que l’étau législatif s’est resserré dans ce domaine. Une signalisation avancée peut toutefois s’imposer lorsque la pharmacie est en retrait de la voie publique ou pour être vu de loin par les automobilistes hors agglomération. Plus sophistiqués que les mâts et bi-mâts, les totems, scellés au sol, se prêtent à l’utilisation de matériaux et de décors divers, avec la possibilité d’intégrer un équipement lumineux, et même une croix. Il en coûtera toutefois de 4 000 à 5 000 euros, pose comprise.

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TÉMOIGNAGE

A Toulouse, la pharmacie de l’Ormeau ose le rose

Installée dans la « ville rose », Annabel Montesinos n’a pas hésité à mettre sa devanture au diapason.

Lorsqu’elle reprend la pharmacie de l’Ormeau en avril 2014, la nécessité d’un rafraîchissement s’impose. Mais la jeune titulaire souhaite aussi insuffler de sa personnalité à l’officine, « ce qui est une manière de se démarquer ». La tête pleine d’idées, elle choisit un enseigniste en phase, associé à une agence de graphisme. Clin d’œil au nom de la pharmacie, le logo qu’ils élaborent ensemble est un arbre stylisé qui se déploie tout en légèreté sur la façade et une partie de la vitrine. Ses lignes courbes répondent à celles de la typographie adoptée.

Les couleurs sortent aussi du rang : du rose, du prune, du gris… mais le mot « pharmacie », qui occupe la plus grande partie de l’enseigne, demeure vert et lumineux. Des choix gagnants : « J’ai eu de très bons retours des clients, et la fréquentation a augmenté », se félicite Annabel Montesinos. L’investissement a représenté 12 000 euros, croix comprise. « Il me semble important pour nous, jeunes installés, de faire travailler des PME qui vont passer du temps sur un projet pour un budget raisonnable », conclut la titulaire.