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Quelle place pour les « salles de shoot » en santé publique ?

Publié le 1 juillet 2015
Par Anne-Gaëlle Harlaut
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En stand-by suite à l’avis négatif du Conseil d’État rendu en 2013, le projet de salles de consommation de drogue à moindre risque est relancé suite à l’adoption par l’Assemblée nationale, en avril, du principe de leur expérimentation dans le cadre du projet de loi de santé.

Qu’est-ce que c’est ?

Les salles de consommation de drogue à moindre risque (SCMR), dites « salles de shoot », sont des espaces ouverts au public où les usagers peuvent apporter et consommer des drogues dans un environnement hygiénique, sous la supervision de professionnels de santé et médico-sociaux. Aucune substance n’est fournie aux usagers.

À qui s’adressent ces salles ?

Aux usagers majeurs de stupéfiants et autres substances, notamment consommés par voie intraveineuse. Le dispositif vise les toxicomanes désociabilisés, qui consomment dans des lieux publics dans des conditions d’hygiène précaire et ne peuvent/veulent accéder aux centres d’aide et de soins. Ils ne pourront y être poursuivis pour usage et détention illicite de stupéfiants dès lors que la quantité détenue est limitée à l’usage personnel.

Quels sont leurs objectifs ?

Ces salles s’inscrivent dans la politique publique de réduction des risques, c’est-à-dire l’ensemble des dommages sociaux et sanitaires liés à l’usage de drogue. Elles visent à limiter le risque d’overdoses, d’infections liées aux injections (hépatites B et C, VIH) en fournissant des conditions d’hygiène et le matériel d’injection stérile, et à favoriser l’accès aux soins. Le personnel informe sur les modalités de consommation, les mesures d’hygiène et les comportements à risque d’infection mais n’a aucune participation active aux gestes d’injection. Les salles visent aussi à réduire les nuisances liées à la consommation dans l’espace public (seringues usagées, regroupements…).

Quelles sont les craintes exprimées ?

Incitation à se droguer, retard dans les soins et regroupement des revendeurs à proximité comptent parmi les principales objections des opposants, notamment politiques. « Les enquêtes régulières montrent que ces salles ne se traduisent pas par une augmentation de la consommation. Au contraire, les usagers, précaires, en grande souffrance, ont tendance à moins se shooter que lorsqu’il sont dans la rue. Rencontrer des professionnels de santé et sociaux leur apprend à prendre soin d’eux. Dire qu’il faut les laisser toucher le fond pour qu’ils se soignent est un raisonnement qui ne tient pas. Retrouver un contexte apaisé et une consommation maîtrisée est nécessaire pour envisager des soins. L’ouverture d’une salle sous-entend par ailleurs une stratégie consensuelle avec les forces de l’ordre. On n’arrête pas les usagers mais on se donne les moyens de réguler ce qui se passe autour », explique Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction. Le coût annuel d’une salle est estimé à 800 000 €, contre 388 millions pour la prévention et à la lutte des addictions.

Existent-elles ailleurs ?

Oui. Au Canada, en Australie et en Europe avec 80 salles, dont 30 en Allemagne et aux Pays-Bas et 15 en Suisse (depuis trente ans). L’impact, variable selon les pays(1), est unanimement jugé positif sur la santé des usagers : diminution voire disparition des overdoses mortelles, moindre transmission des virus… L’acceptation des riverains est globalement bonne avec amélioration de l’ordre public.

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Et en France ?

La loi doit encore être adoptée par le Sénat. Une première salle pourrait ouvrir en 2016 au sein de l’hôpital Lariboisière, à Paris. L’expérimentation, prévue sur six ans, implique une évaluation scientifique de l’impact sur la santé publique et la réduction des nuisances publiques. Leur mise en place serait confiée aux centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud).

Le dispositif d’échange de seringues existe-t-il toujours en pharmacie ?

Oui. Cet autre volet de la politique de réduction des risques requiert une participation volontaire et bénévole des officines, les frais et aspects logistiques étant à la charge des associations porteuses. Non strictement basés sur l’échange un contre un mais sur la délivrance de seringues, cuillères, etc., ces programmes diminuent par quatre la réutilisation des seringues, ont un taux de retour de plus de 90 % et permettent les conseils. Un guide méthodologique est édité par le Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (www.respadd.org).

(1) Rapport du Consortium international sur les politiques des drogues (IDPC), Salles de consommation à moindre risque : les preuves et la pratique.

NOS EXPERTS INTERROGÉS

→ Jean-Pierre Couteron, psychologue clinicien, addictologue, président de la Fédération Addiction.

→ Nicolas Bonnet, pharmacien spécialisé en santé publique, directeur du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (Respadd).

Repères

→ 2012 : projet associatif de création d’une salle soutenu par la mairie de Paris.

→ 2013 : accord du Premier ministre, préparation d’un décret soumis pour avis au Conseil d’État, qui estime que le projet n’est pas conforme à la loi de 1970 (interdit et pénalise l’usage de stupéfiants) et qu’il nécessite un cadre légal.

→ avril 2014 : l’Assemblée nationale adopte le principe de l’expérimentation de salles de consommation à moindre risque (SCMR) dans le cadre du projet de loi de modernisation du système de santé.

→ 80 000 usagers de drogue par voie IV et 100 morts par overdose chaque année en France.