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QUE RESTE-T-IL DE VOTRE GRÈVE ?
Le 30 septembre 2014, plus de 90 % des officines fermaient pour s’opposer à la déréglementation de la profession. Un an après la fièvre est retombée. Pourtant l’inquiétude demeure. Le collectif Ma Pharmacie ne fermera pas annonce un plan d’action à la date d’anniversaire de cette grève.
Souvenez-vous ! De Paris à Marseille en passant par Brest ou Lille, titulaires, adjoints, préparateurs et étudiants ont participé, dès le 1er septembre 2014, à la « Soirée verte » initiée par le Collectif Ma Pharmacie ne fermera pas. En laissant leurs croix vertes allumées toute la nuit ou en colorant des cours d’eau et des fontaines avec de la fluorescéine, ils ont voulu exprimer leur colère contre les mesures radicales envisagées par le gouvernement (fin du monopole sur les médicaments sans ordonnance, ouverture du capital des officines à des investisseurs non pharmaciens, fin du quorum d’installation et du numerus clausus à l’entrée des études).
Cette première manifestation, relayée largement sur les réseaux sociaux par l’association Pigeons Pharmaciens et soutenue par les syndicats FSPF et USPO, a inauguré un mois de mobilisation, jusqu’à son point d’orgue, la manifestation sans précédent des pharmaciens le 30 septembre. « Nous avons été attaqués par Arnaud Montebourg, ex-ministre de l’Economie, qui a voulu déstabiliser, chambouler, balayer d’un revers de la main toute une organisation sur le médicament, un service public de proximité. Cette mobilisation a fait reculer le gouvernement. Ce n’est pas rien », rappelle Renaud Nadjahi, pharmacien à Rambouillet (Yvelines) et président de l’URPS-pharmaciens d’Ile-de-France. Mais pas seulement ! « Grâce à cette manifestation, un dialogue a pu s’instaurer avec la population. Nous avons pu échanger et leur expliquer notre métier. Face au déficit médical dans de nombreux territoires, les pharmaciens sont devenus des acteurs en première ligne », affirme Yorick Berger, pharmacien à Paris XIIIe. « Toutes les pharmacies de mon secteur étaient fermées. Cela a permis aux confrères de sortir la tête du guidon et de mieux comprendre qu’il faut être solidaire pour défendre notre métier », surenchérit Frédéric Cazin, pharmacien à Faches-Thumesnil (Nord). Des échanges entre confrères qui perdurent sur les réseaux sociaux, comme s’en félicite Ken Bartholomew, pharmacien à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) et créateur du compte Pharma’s friends sur Facebook, qui réunit aujourd’hui plus de 1 200 pharmaciens.
Faire que les petites officines puissent encore exister
Un an après cette mobilisation historique, si la menace d’une éventuelle ouverture du monopole des pharmaciens s’éloigne, la profession, en pleine mutation, reste inquiète à l’approche de la réforme prévue sur le maillage officinal et surtout du projet de loi de la Sécurité sociale 2016, qui promet d’être corsé pour le médicament. Emmanuel Macron, ministre de l’Economie (lire également pages 23-24), l’a annoncé, certaines règles d’implantation des officines devront être simplifiées et assouplies pour assurer un égal accès aux médicaments à la population. Le projet de loi de santé, dont le vote définitif est prévu en octobre 2015, autorisera en effet le ministère de la santé à prendre des ordonnances pour favoriser les regroupements, les rachats-fermetures et les transferts, en concertation avec les représentants des pharmaciens. « Pas évident de se regrouper avec d’autres. Il ne faut pas que les nouvelles règles lèsent les pharmaciens qui ne souhaitent pas se regrouper, en général des petites pharmacies déjà mal en point », avertit Ken Bartholomew. « Les regroupements sont devenus incontournables pour pouvoir mettre en place les nouvelles missions voulues par l’Etat. Mais il faut trouver une solution pour que les petites officines puissent continuer à exister », ajoute Frédéric Cazin. Anne Montfajon, pharmacienne à Taverny (Val-d’Oise), est sur la même longueur d’onde : « Le regroupement est l’une des solutions. Mais, surtout, si on continue à étrangler l’économie officinale on fragilise le réseau. Le réduire de 22 000 pharmacies à 10 000, c’est la mort de la profession. »
De nouvelles actions en perspective
Pour beaucoup de pharmaciens interrogés, l’économie officinale va mal. La nouvelle rémunération, entrée en vigueur le 1er janvier 2015, ne compense pas les baisses massives de prix des médicaments programmées par le gouvernement. « Aujourd’hui une officine ferme tous les trois jours. La pharmacie subit une dégradation historique de son fonctionnement », prévient Renaud Nadjahi (lire l’encadré page 10).
Ken Bartholomew partage cet avis. « Mon officine réalise 1,8 million d’euros de chiffre d’affaires. Avec le PLFSS 2015, j’ai déjà perdu 80 000 euros en raison des baisses de prix et de marge non compensées par la nouvelle rémunération. Autour de moi, de plus en plus de pharmaciens sont contraints de travailler seuls dans des conditions précaires. Il y a un véritable étouffement du métier qui va aboutir à la disparition des petites officines. » Yorick Berger reconnaît qu’il n’est pas possible « d’offrir un service de santé de qualité sans un personnel formé. Cela a un coût et nous ne pouvons pas l’absorber si les prix des médicaments baissent tout le temps ». Et Hélène Requi, pharmacienne à Maule (Yvelines), de conclure : « Aujourd’hui, l’officine ne peut plus supporter les baisses de prix des médicaments sans contrepartie. Nous sommes prêts à accompagner la prise en charge des patients chroniques à condition qu’on nous donne des moyens pour travailler correctement. »
A un mois de la date anniversaire, certains se disent prêts à un « 30 septembre bis ». « Avant de descendre dans la rue, les pharmaciens devraient plutôt retourner aux urnes. La prochaine occasion est l’élection professionnelle », indique Renaud Nadjahi.
Le collectif Ma Pharmacie ne fermera pas annoncera de son côté, dés le 1er septembre, son plan d’action pour le 30 septembre 2015. Jean Ducros, président de l’association Pigeons Pharmaciens, se dit prêt à soutenir toutes les actions de contestation, sans aucune hésitation.
Rémunération : les syndicats très inquiets
La rentrée ne sera pas de tout repos pour les syndicats. La faute aux mauvais résultats du premier semestre 2015 : une rémunération du réseau en baisse de 1,87 % (- 52 M€) par rapport au 1er semestre 2014, un CA semestriel en retrait de 1,40 % sur le remboursable pour des ventes en unités stables (- 0,13 %) malgré un nombre d’ordonnance en hausse (+ 0,92 %). « Sans la réforme des honoraires, la perte aurait été de 91,4 M€. Elle l’a compensée à hauteur de 40 M€ », insiste Philippe Besset, vice-président de la FSPF. C’est toutefois très insuffisant ! Avec un ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) 2016 à 1,75 % et les nouvelles propositions de mesures d’économies de la CNAMTS, un nouveau tour de vis sur le poste médicament est à craindre, au-delà du 1,2 Md€ prévu. « Ce ne sont que des propositions mais ça donnela direction du budget », redoute Eric Myon, vice-président de l’UNPF. « S’il est plus corsé, ce sera nacceptable ! », prévient Philippe Besset. Gilles Bonnefond, président de l’USPO, craint le pire avec l’éventualité d’un taux unique de remboursement et le déremboursement des médicaments à 15 % préconisés par le rapport Polton sur l’évaluation des médicaments (voir Le Moniteur n° 3091).
François Pouzaud
REPÈRES
10 juillet 2014
Réformes annoncées par Arnaud Montebourg pour les professions réglementées, dont les pharmaciens.
26 août 2014
Emmanuel Macron remplace Arnaud Montebourg à la tête du ministère de l’Economie.
1er septembre 2014
« Soirée verte » dans toute la France.
30 septembre 2014
Forte mobilisation des pharmaciens pour la journée de fermeture.
1er janvier 2015
Mise en place de la nouvelle rémunération.
- Accès aux études de pharmacie : une nouvelle passerelle possible dès le bac +3
- Économie officinale : les pharmaciens obligés de rogner sur leur rémunération
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