L’OFFICINE EN QUÊTE D’UN NOUVEAU SOUFFLE
Les substituts nicotiniques ont-ils perdu la guerre contre la cigarette électronique, et les officines doivent-elles se résigner à voir ce marché partir en fumée ? Pas si sûr : la reprise en douceur des ventes et un contexte législatif favorable pourraient inciter les pharmaciens à valoriser leurs compétences dans l’aide à l’arrêt du tabac. Etat des lieux.
Il y a un an, Marisol Touraine, ministre de la Santé, dévoilait son programme national de réduction du tabagisme, avec notamment l’élargissement de la prescription des produits de sevrage à de nouveaux professionnels de santé comme les sages-femmes ou les dentistes. Parallèlement, des restrictions frappent la cigarette électronique en termes d’usage dans les lieux publics et de publicité. Ces mesures suffiront-elles à ranimer un marché dont l’essoufflement depuis deux ans se confond avec l’essor de la « vapoteuse » ?
En 2014, selon l’OFDT (Observatoire français des drogues et toxicomanies), les ventes de substituts nicotiniques ont reculé de 24 % en unités, une tendance amorcée en 2013. Quant au nombre de « patients traités », il s’établit à 1,6 million, soit une baisse de près d’un quart par rapport à 2013. Alors qu’ils pesaient 77 % des ventes en « équivalent patients traités » en 2003, les patchs n’en représentent plus que 29 % une décennie plus tard, accusant une chute de 47 % entre 2013 et 2014. Les ventes de substituts sous forme orale diminuent elles aussi mais dans une moindre mesure (– 5,7 %), tandis que leur part est en hausse, à 65,2 % entre 2013 et 2014.
De leur côté, les médicaments, Zyban et surtout Champix, qui pèsent respectivement 0,5 et 2,6 % du marché, poursuivent leur glissade (– 28 % et – 11 %), toutefois entamée depuis plusieurs années et liée à leurs effets indésirables potentiels. Enfin, les inhaleurs, très minoritaires sur le marché (0,6 %), sont en recul de 21 % en 2014.
Quant à la cigarette électronique, l’OFDT note que « bien qu’elle ne possède pas ce statut [de substitut nicotinique, NdlR], aucune n’ayant d’autorisation de mise sur le marché pour cette indication, elle apparaît aux yeux de ses utilisateurs comme un outil de sevrage ou de réduction de leur consommation ». Titulaire à Lons-le-Saunier (Jura), Laurence Prost-Dame avoue son pessimisme face aux menaces que représentent à ses yeux « la guerre des prix, et le fait que les addictologues proposent des méthodes alternatives aux substituts classiques, dont… la cigarette électronique ».
De son côté, Benoît Robert-Duvilliers, titulaire de la Pharmacie du Bourg à Manziat (Ain), remarque que « de plus en plus les fumeurs arrêtent seuls, éventuellement avec la cigarette électronique ».
Un rebond des substituts nicotiniques en 2015
Le son de cloche est plus nuancé chez sa consœur Anne Plessis. La titulaire de la Pharmacie Atlantis à Massy (Essonne) a pour sa part constaté « un regain des ventes dès janvier, avec les “bonnes résolutions”, ce qui s’est confirmé cet été ». Parallèlement, « l’engouement pour la cigarette électronique a faibli en raison des incertitudes sur ses effets à long terme », estime-t-elle. De fait, une étude de l’institut Xerfi annonçait pour 2015 une baisse de 10 % des ventes de vapoteuses. Parallèlement, les chiffres IMS à fin juillet 2015 des ventes de substituts nicotiniques témoignent d’un frémissement, à + 2,7 % en chiffre d’affaires. Ce rebond atteint 4 % sur le segment des patchs, et s’établit à 1,8 % pour la voie orale. « Il y a là un signal positif », assure Coraline Lan, chef de produit Nicopass/Nicopatch chez Pierre Fabre Health Care, alors que, sur la même période, les résultats de la gamme du laboratoire français, qui pèse un tiers du marché et presque la moitié des ventes de patchs, progressent de 8,6 %. Si le prix des cigarettes n’a pas été augmenté en 2015, « à partir de septembre 2014 les bonnes résolutions de rentrée couplées au lancement de la campagne gouvernementale antitabac ont entraîné une reprise des visites chez les tabacologues et des prescriptions », note la chef de produit.
L’automne dernier a été également marqué par le lancement de nouvelles références sous les marques Nicotinell et Nicorette. Ce dynamisme ne se dément pas cette année, avec notamment l’arrivée en septembre au sein de la gamme Nicopass d’un nouveau format compact au prix conseillé de 5 €, Nicopass Pocket 12 pastilles, qui vise une mise en avant au comptoir pour « convaincre de nouveaux patients de débuter leur sevrage », explique Coraline Lan.
Pierre Fabre n’entend pas relâcher ses efforts pour accompagner et former le pharmacien, « premier professionnel de santé consulté en matière de sevrage tabagique », 90 % des substituts étant vendus hors prescription. « Il y a là un vrai potentiel, en termes de fidélisation d’une part, le sevrage impliquant un retour régulier du patient à l’officine pendant au moins six mois, et d’autre part, de conseil associé, pour répondre aux symptômes ressentis durant cette période », insiste Coraline Lan.
Une valeur ajoutée qui passe par le suivi des patients
Benoît Robert-Duvilliers mise ainsi sur la visibilité du rayon, placé en accès libre face à l’entrée de son officine, et sur la saisonnalité : « La rentrée est l’occasion d’une mise en avant avec des prix attractifs », explique-t-il. Anne Plessis a opté pour une zone froide mais elle a prévu une affichette qui met en avant la compétence de l’équipe en matière de conseil. Elle joue la proximité avec une offre ciblée dans le domaine de la phytothérapie, de l’aromathérapie et de la nutrition. L’optimisation du linéaire passe aussi par sa lisibilité. « Nous préconisons de distinguer l’offre destinée aux gros fumeurs – au-delà de 20 cigarettes par jour – et aux autres », indique Coraline Lan.
Mais l’enjeu clé sur ce marché reste le conseil. Benoît Robert-Duvilliers a choisi d’aborder systématiquement le sujet avec les patients présumés fumeurs : « Je me suis équipé d’un appareil pour tester le taux d’intoxication à l’oxyde de carbone, ce qui permet de quantifier le nombre de cigarettes par jour et d’adapter le dosage d’un substitut », témoigne-t-il. « Lorsque quelqu’un arrive au comptoir avec un produit de sevrage, je lui demande s’il poursuit ou démarre son traitement, et je pose de nombreuses questions pour apprécier le degré de motivation », raconte pour sa part Anne Plessis, dont l’approche se focalise sur les à-côtés. « J’insiste sur la nécessité de prendre en compte les troubles liés à l’arrêt du tabac qui peuvent être source d’échec, en dispensant un conseil associé personnalisé ». Elle envisage d’aller plus loin avec la mise en place d’un suivi.
Alors qu’un Michel-Edouard Leclerc exprimait il y a quelques mois le souhait de voir les substituts nicotiniques arriver en GMS, « le pharmacien doit affirmer son rôle en n’intervenant pas qu’en délivreur, mais en accompagnateur », renchérit Laurence Prost-Dame. Pour elle, comme pour Benoît Robert-Duvilliers, qui propose aussi des consultations tabac, « la démarche est fructueuse ». Mais, là encore, « il ne faut pas sous-estimer la concurrence, entre les consultations des tabacologues et les services hospitaliers spécialisés », précise la titulaire.
Un partenariat avec les complémentaires tel qu’y travaillent le syndicat UPSO et Klesia renforcerait la prise en charge en officine. Les besoins ne sont plus à démontrer : selon Tabac Info Service, la moitié des 13 millions de fumeurs recensés en France souhaiterait arrêter.
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