ENCORE UN PEU TÔT POUR COACH POTARD
Les promesses des objets connectés se multiplient dans le champ du bien-être et de la santé. Ce marché a-t-il vraiment sa place à l’officine ? Etat des lieux et points de vue croisés.
D’après l’institut GKF, deux milliards d’objets connectés devraient être vendus en France d’ici à 2020, soit plus d’une trentaine par foyer. Mais si la santé est l’un des secteurs les plus fertiles en innovations, le marché dans ce domaine reste émergent en 2015 : selon un sondage PHR/Ifop de septembre 2015, 16 % des Français possèdent un objet de santé connectée, contre 13 % l’an dernier, et parmi eux 10 % l’utilisent encore.
« Ce n’est pas ce qui va sauver notre économie »
« En termes d’équipement, ce n’est pas encore l’explosion ! », admet Lucien Bennatan, président de PHR, à l’origine de l’enseigne de pharmacie digitale Ma Pharmacie Référence, en cours de déploiement. Plus de 500 officines du groupement proposent déjà des objets connectés, essentiellement des balances, trackers, tensiomètres et thermomètres: pour chacune de ces catégories, quelque 1 000 produits ont été vendus sur les huit derniers mois. De son côté, Maryse Dufiet, titulaire à Castres (Tarn), a mis en place un rayon spécialisé depuis un an. Verdict ? « ça marche, mais ce n’est pas ça qui va sauver l’économie de l’officine ! » Quant à Matthieu Ruiz, titulaire toulousain de 35 ans féru de nouvelles technologies, il a fait marche arrière face aux obstacles rencontrés, à commencer par le manque de réactivité des fournisseurs : « J’ai demandé des catalogues à plusieurs d’entre eux, et je n’ai pas eu de réponse… » Il estime aussi que la principale cible de ces dispositifs n’est pas prête : « Les personnes âgées ne sont pas ou peu connectées, et ne comprennent pas ces objets censés leur simplifier la vie. En outre, ils sont assez onéreux et les patients ne sont pas habitués à payer pour leur santé. »
Ils se sont aussi d’ores et déjà habitués à les trouver dans d’autres circuits de distribution. « Il n’existe pas de modèle économique qui permettrait à ces produits d’être préemptés par l’officine », pointe Jean-Pierre Dosdat, président d’Objectif Pharma. En filigrane, il existe un flou réglementaire : si certains tensiomètres ou glucomètres connectés sont classés comme dispositifs médicaux, et donc potentiellement remboursables, « pour un certain nombre d’objets santé la question de la qualification se pose avec des enjeux en termes d’allégations, de sécurité sanitaire mais aussi de protection des données », relève la juriste et pharmacienne Anne-Catherine Perroy.
L’officine a pourtant toute sa légitimité
L’Ordre des médecins lui-même a appelé à un cadre d’évaluation des solutions de télémédecine, et au remboursement de ceux dont les bénéfices seraient avérés. Car la tendance est bel et bien à une inflexion du marché des objets connectés du bien-être vers la santé. L’institut Xerfi prévoit ainsi un doublement du taux de dispositifs médicaux connectés (balances, tensiomètres, thermomètres…) en 2016, soit 10 % des appareils d’automesure contre moins de 5 % en 2014. Les besoins sont là, avec 12 millions de malades chroniques représentant 70 % des dépenses de santé, et le vent souffle en faveur de l’ambulatoire. « Certains hôpitaux équipent leurs patients, une réalité à laquelle les libéraux en ville vont être rapidement confrontés. Dès lors, mieux vaut apprivoiser la nouveauté dès aujourd’hui plutôt que d’y être contraint par le marché », fait valoir Lucien Bennatan. Hélène Decourteix, consultante chez Direct Medica, ayant participé à l’étude sur « la pharmacie à l’heure digitale » du groupe Les Echos, approuve : « Les objets de santé purs ont toute leur légitimité en officine, car les autres réseaux n’ont que la maîtrise technique, pas celle du suivi santé. »
Conseiller et accompagner le patient sont nos atouts
C’est bien dans l’accompagnement que se joue la valeur ajoutée de la croix verte. Et ce d’autant que les marges dégagées par les objets connectés restent modestes, « de l’ordre de 15 % pour pouvoir pratiquer des prix raisonnables », témoigne Maryse Dufiet. Pour Lucien Bennatan, « le pharmacien doit proposer un service en ce sens, avec une rémunération à la clé ». Pour Jean-Pierre Dosdat, « les officines ont une carte à jouer autour du maintien à domicile et de la dépendance. Dans ce domaine, où il est facile de prouver la possibilité de générer des économies, les familles peuvent être enclines à faire un effort financier ». Des initiatives se font jour en ce sens: Pharmagest, à l’issue d’une expérimentation menée en Lorraine, a lancé un pilulier électronique, Do Pill, que les pharmaciens peuvent proposer en location à leurs patients, et travaille à la mise au point d’un logiciel de suivi d’observance pour accompagner des programmes de coaching, tandis que PHR a en projet un médaillon connecté pour la surveillance à domicile des personnes âgées.
« Dans la mesure où le marché des objets connectés n’est pas mature et réclame des efforts de pédagogie importants, les titulaires les plus aptes à se lancer sont ceux qui sont convaincus de leur utilité, avec une sensibilité à l’innovation, tout en étant à même d’inscrire cette activité dans une stratégie commerciale orientée vers l’accompagnement des patients », estime Hélène Decourteix. « Nous avions déjà développé une spécialité en matériel médical et nous sommes connus pour le conseil, ce qui représente un atout pour la vente d’objets connectés », souligne ainsi Maryse Dufiet. La pharmacienne s’attache également à présenter son offre aux médecins et aux infirmières qui viennent dans son officine, car « la démarche ne peut vraiment se développer qu’en réseau ». « Non seulement la caution des prescripteurs situés à proximité aidera le pharmacien à “évangéliser” sa clientèle, mais ces échanges avec les professionnels de santé sont également importants en termes de référencement, tant pour l’adapter aux besoins de sa zone de chalandise que pour sélectionner des produits fiables », argumente Hélène Decourteix.
Autre nécessité, avoir un merchandising étudié. « La gondole consacrée à cette offre est placée à la sortie de la pharmacie pour que les clients puissent prendre en main les produits et visionner tranquillement la vidéo pédagogique », explique Maryse Dufiet, qui mise également sur des opérations promotionnelles, à Noël notamment, « les objets connectés étant des cadeaux appréciés ».
Reste la question de la formation, également en réflexion au sein de nombreux groupements. « Il faudra certainement des formations particulières, même si, avec les dispositifs médicaux classiques, le pharmacien a déjà l’occasion de conseiller le patient sur des aspects techniques de bon usage », note Anne-Catherine Perroy.
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