Stratégie et Gestion Réservé aux abonnés

COMBIEN GAGNEZ-VOUS VRAIMENT ?

Publié le 31 octobre 2015
Par Francois Pouzaud
Mettre en favori

Près de 145 000 € en 2014. L’estimation sur les revenus des pharmaciens titulaires que vient de faire paraître la Fédération des centres de gestion agréés a jeté le trouble. Ces chiffres sont nettement supérieurs à ceux détenus par le syndicat FSPF et les experts-comptables, qui établissent une vision plus réelle de la situation, caractérisée par d’importantes disparités entre officines.

Les pharmaciens titulaires sont-ils les patrons de PME les mieux payés ? Oui, selon la Fédération des centres de gestion agréés (FCGA), qui fait paraître dans le numéro d’octobre de « L’Observatoire de la petite entreprise » les chiffres annuels de 75 professions (commerçants et artisans). Les pharmaciens arrivent en tête du panel, loin devant les opticiens, les ambulanciers ou encore les prothésistes dentaires…

L’information, reprise par le journal télévisé de France 2 du 21 octobre, passe mal alors que la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) vient d’être reçue à l’Elysée pour réclamer un plan d’urgence pour les officines les plus fragiles. Selon les statistiques de la FCGA, les pharmaciens affichent un résultat courant brut moyen (hors cotisations sociales) à 181 500 € et des revenus nets (après déduction des charges sociales de l’entreprise et avant impôt) de 144 900 €.

Des chiffres nettement supérieurs à ceux rapportés par la FSPF dans sa dernière enquête économique portant sur l’analyse de 699 bilans clôturés en 2014. Le syndicat y fait état d’un résultat courant avant impôt de 125 000 € par pharmacie, d’un résultat par pharmacien de l’ordre de 92 000 €, et d’une forte dégradation de ce résultat pour les officines dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1,2 M€.

Philippe Besset, vice-président de la FSPF, dément les chiffres de la FCGA : « L’Inspection générale des finances tombe sur un résultat par pharmacien assez proche du nôtre, de 95 000 € en moyenne. Ce revenu n’est pas le pouvoir d’achat du pharmacien car il sert au remboursement du capital de son fonds de commerce. »

Publicité

De son côté, Yves Marmont, président de la FCGA, qui analyse les comptes de près de la moitié des officines de France (9 800), assure que ses chiffres ne sont pas contestables puisqu’ils sont issus des liasses fiscales. Selon lui, ces écarts tiennent à l’échantillonnage de la FCGA qui n’est constitué que d’entreprises individuelles adhérentes à un centre de gestion agréé et d’une part plus importante de pharmacies de taille importante. « Il est donc fort possible que les revenus indiqués dans nos statistiques correspondent à des pharmaciens qui sont déjà désendettés et dont les revenus sont au-dessus de la moyenne, explique Yves Marmont. Selon la taille des officines, le résultat de l’exercice varie dans une fourchette de 50 000 € à 300 000 € et les prélèvements du titulaire sont en moyenne de 87 % de ce résultat. »

De 3 000 € à 25 000 € net par mois

Une fois désendetté, il est évident que le disponible du pharmacien n’est plus le même. « Tous les cas de figure se rencontrent. Il est impossible de sortir une moyenne sur la rémunération nette du titulaire, soit après paiement des cotisations sociales et avant impôt sur le revenu », explique Philippe Becker, directeur du département pharmacie de Fiducial. Celui-ci observe toutefois qu’un titulaire en début d’installation et pendant les cinq premières années qui suivent s’octroie une rémunération équivalente à ce qu’il gagnait lorsqu’il était adjoint. Puis, si son affaire s’est développée, il prélève de la sixième année jusqu’à l’échéance du prêt (12e ou 15e année en cas de réétalement) 4 500 à 5 000 € net par mois. « Une fois désendetté, il peut potentiellement prélever un montant correspondant au chiffre d’affaires hors taxes multiplié par le résultat de l’exercice, qui varie, dans nos dernières statistiques, entre 9,46 % pour une officine réalisant moins de 750 k€ de CA et 11,97 % pour une officine de plus de 2 M€. » En appliquant ce calcul à une pharmacie de 1,332 M€ dégageant un résultat de 10,33 %*, le titulaire dispose au mieux d’un net disponible de 11 400 € par mois avant impôts, et celui à la tête d’une pharmacie de 2,6 M€ d’un revenu net de plus du double (25 000 €). Des chiffres à prendre toutefois avec précaution et à moduler en fonction de la taille des officines (prime aux pharmacies de centre commercial), de leur rentabilité (souvent plus élevée en milieu rural en raison de frais fixes plus faibles qu’en centre-ville), ou encore du nombre d’associés en cas d’exercice en société.

Dans sa pratique, l’opulence, ce n’est pas ce que constate Michel Watrelos, expert-comptable du cabinet Conseils et Auditeurs Associés. « Des pharmaciens gagnant 25 000 € par mois, j’en connais très peu ! » Selon lui, ce que prélève le pharmacien pour son train de vie est plus près de 6 000 € net mensuels que de 10 000 €, pour une majorité de pharmacies désendettées. Et ce pour plusieurs raisons. « Sur le montant net de sa rémunération, il faut déjà retirer 30 à 32 % au titre de l’impôt sur le revenu. Ensuite, le pharmacien doit laisser suffisamment d’argent dans l’entreprise, entre 1 et 1,5 mois d’achats TTC, pour conserver une trésorerie saine, soit en permanence près de 100 000 € pour une pharmacie moyenne. » Or, il constate que les trésoreries des officines se détériorent du fait de la baisse des résultats, et ajoute que dans les SEL, choisies par les nouveaux installés, « il n’y a quasiment jamais de distribution de dividendes aux associés ».

Enfin, le pharmacien doit investir régulièrement dans son outil de travail : automatisation du back-office, travaux d’agencement… « Et donc il s’endette à nouveau ou réétale un prêt en cours, soit une durée totale d’emprunt de 18 à 20 ans ! »

Il y a donc d’importantes distorsions de revenus entre les pharmaciens sur fond de diminution du chiffre d’affaires et de baisse des taux de marge. « C’est bien là le paradoxe, la pharmacie évolue dans un monde à deux vitesses, avec d’un côté des titulaires qui connaissent la crise et d’autres pas », conclut Philippe Becker.

* D’après les moyennes relevées par Fiducial en 2014 pour une officine en entreprise individuelle.

Les nouveaux honoraires ont la faveur de l’Elysée

La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a présenté jeudi 22 octobre à l’Elysée son plan d’urgence pour le réseau. Ce plan vise à soulager les trésoreries des officines les plus en difficulté par des mesures d’application immédiate de restructuration et à consolider les officines de proximité par des mesures structurelles de revitalisation. Dans ce dispositif, les agences régionales de santé seraient chargées de recenser les pharmacies en grande difficulté. « Lors de cette réunion à l’Elysée, il a été indiqué que l’enveloppe des médicaments était fermée à moyen terme et que, de ce fait, les baisses de prix serviraient à financer les nouveaux médicaments, précise Philippe Besset, vice-président du syndicat. En revanche, l’enveloppe est ouverte sur les soins et les services. » En clair, la croissance ne pourrait venir que de nouveaux honoraires.