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Cadeaux aux pharmaciens : « Non, vraiment, fallait pas »
En janvier 2023, deux filiales du groupe Urgo, les Laboratoires Urgo Healthcare et les Laboratoires Urgo, ont été condamnées à verser une importante amende. La justice leur reprochait d’avoir violé les dispositions de la loi « anti-cadeaux » en accordant beaucoup de largesses aux pharmaciens. Désormais, c’est au tour de ces derniers de s’expliquer devant la justice.
Selon les chiffres de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le réseau des pharmacies a perçu plus de 55 millions d’euros de cadeaux entre 2015 et 2021 de la part de deux filiales du groupe Urgo, Laboratoires Urgo Healthcare et Laboratoires Urgo. En janvier 2023, à l’issue d’une procédure pénale rapide, à savoir la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le tribunal judiciaire de Dijon (Côte-d’Or) a condamné le groupe à 1,125 million d’euros d’amende, dont 625 000 € avec sursis, et a confirmé les saisies pénales, déjà réalisées, pour une valeur de plus de 5,4 millions d’euros.
Ce n’est qu’après une enquête de plusieurs mois, en 2021, que la DGCCRF et la section de recherche de gendarmerie de Dijon ont mis à jour des pratiques illégales du groupe. « Dans le but d’augmenter leurs marges, leurs bénéfices et leurs parts de marché au détriment de leurs concurrents, ces deux filiales du groupe Urgo ont mis en place, entre 2015 et 2021, une stratégie commerciale basée sur l’octroi d’avantages en nature illicites à des pharmaciens d’officine sur l’ensemble du territoire national », résume la DGCCRF dans un communiqué de presse du 27 janvier 2023.
« Le deal était simple. Il suffisait de renoncer aux remises commerciales proposées pour se voir offrir un cadeau d’un montant quasi équivalent. Les premières années, nous pouvions le choisir dans un catalogue, qui a ensuite disparu, se remémore un pharmacien poursuivi qui souhaite rester anonyme. Les cadeaux proposés étaient très tentants : montre de luxe, informatique de grande marque, bijoux de haute joaillerie. J’étais en confiance, car je ne pensais pas qu’un grand laboratoire reconnu comme Urgo ferait quelque chose d’illégal. »
Bien qu’il n’y ait pas de chiffres officiels, plusieurs proches du dossier s’accordent à dire que « 8 000 pharmacies seraient concernées » par ces pratiques illégales.
8 000 pharmaciens auditionnés
Reconnaissant sa culpabilité, Urgo a donc été condamné à une peine d’amende de plusieurs millions d’euros. Certains pensaient que l’affaire s’arrêterait là. Dans la profession, une rumeur circulait selon laquelle les pharmaciens seraient trop nombreux pour que les services de l’Etat engagent des poursuites contre chacun d’entre eux. « Environ 8 000 pharmaciens ont reçu des cadeaux. Convoquer chacun d’entre eux puis les poursuivre est un travail énorme. J’espère que la justice a d’autres dossiers plus importants à traiter », ironisait un proche du dossier en janvier dernier. Les faits ont donné tort à la rumeur. « Selon mes informations, pour la DGCCRF, la situation est limpide. Chaque pharmacien présent dans les listings saisis chez Urgo sera convoqué pour une audition. Il y a une volonté d’aller au bout de l’affaire sans rien laisser passer », estime Aymeric Orliac, avocat spécialisé en droit de la santé.
Depuis juin 2023, des officinaux sont d’ailleurs régulièrement convoqués pour s’expliquer. « Lorsqu’un pharmacien reçoit une telle convocation, il doit avoir conscience que la DGCCRF ou ses services ne l’ont pas choisi au hasard. Dans le cadre de la procédure contre les filiales d’Urgo, les locaux du laboratoire ont été perquisitionnés. Les enquêteurs ont donc en leur possession les listings des officines bénéficiaires des cadeaux », abonde Matthieu Blaesi, avocat spécialisé en droit de la santé.
« Les pharmaciens sont auditionnés librement par les services de la DGCCRF. Mais ces auditions ne doivent pas être prises à la légère », préviennent les deux avocats. Les enquêteurs rédigent ensuite des procès-verbaux qui sont transmis au procureur de la République. C’est ce dernier qui décidera de la suite à donner à chaque affaire en fonction de la gravité du dossier. « Dans ceux dont j’ai connaissance, les pharmaciens ont perçu des cadeaux d’un montant allant de 3 000 € à 50 000 €. Les suites et les sanctions seront sans nul doute en lien avec ces montants », juge Aymeric Orliac.
Violation de la loi « anti-cadeaux »
Mais, finalement, pour quelles raisons peuvent être poursuivis les pharmaciens ? Il leur est reproché d’avoir violé le dispositif « anti-cadeaux » mis en place par l’ordonnance du 19 janvier 2017, ratifiée et modifiée par la loi du 24 juillet 2019. Ce système anticorruption est intégré aux articles L.1453-3 et suivants du Code de la santé publique.
L’article L.1453-3 du Code de la santé publique dispose que : « Est interdit le fait, pour les personnes mentionnées à l’article L.1453-4, de recevoir des avantages en espèces ou en nature, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, proposés ou procurés par les personnes mentionnées à l’article L.1453-5. » L’article L.1453-4 liste les professionnels exerçant une profession de santé réglementée par le Code de la santé publique, dont les pharmaciens, mais aussi les préparateurs et les étudiants de ces deux professions.
Ainsi, un pharmacien ne peut obtenir un avantage en espèce ou en nature d’une entreprise assurant des prestations de santé, produisant ou commercialisant des produits de santé. Les sociétés commercialisant des produits cosmétiques ou de tatouage sont exclues de cette liste.
« Dans un premier temps, la justice a reproché à Urgo d’avoir offert ou promis ces avantages. Nous sommes ici dans le second volet : les pharmaciens ne pouvaient pas recevoir d’avantages en nature », décrypte Aymeric Orliac.
Celui qui a accepté ce type d’avantage encourt une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 75 000 € et un an d’emprisonnement. « Le juge peut également prononcer des peines alternatives comme la confiscation des cadeaux », précise Aymeric Orliac.
A ces sanctions peuvent s’ajouter d’éventuelles poursuites devant la chambre de discipline de l’Ordre des pharmaciens. Interrogé, ce dernier tient à rappeler qu’« en qualité de garant de l’indépendance de la profession, il se réserve la possibilité de mener toute action à l’encontre des pharmaciens qui auraient méconnu le code de déontologie et les dispositions applicables en la matière ». Pour l’heure, l’Ordre ajoute qu’« afin de ne pas perturber les investigations en cours il se refuse à commenter davantage cette affaire ».
Cadeaux ou pas ?
Si pour la DCGGRF, la qualification d’avantage des cadeaux reçus ne fait pas de doute, les professionnels concernés n’ont pas le même sentiment. « A chaque nouveau dossier, je constate que le pharmacien n’a pas eu l’impression de percevoir un cadeau. Un cadeau est par définition gratuit. Or dans ce dossier, pour y avoir droit, il a dû renoncer à sa remise commerciale. Il a donc payé le cadeau en quelque sorte », analyse Matthieu Blaesi.
« Au-delà de la possible violation de la loi “anti-cadeaux”, le fait pour un pharmacien de renoncer à un avantage professionnel pour un avantage personnel pourrait être qualifié, pour certains objets, d’abus de bien sociaux », remarque Matthieu Blaesi. En effet, le Code pénal interdit aux dirigeants d’une société de faire un usage des biens de celle-ci contraire à l’intérêt de la société. La notion de bien est entendue par les juges très largement : elle peut recouvrir toutes les choses dont la société est propriétaire, dont ses fonds. La jurisprudence a reconnu que c’était le cas lorsque le dirigeant utilisant les fonds de la société pour son bénéfice personnel.
L’avenir dira si ces arguments seront retenus par la justice.
A retenir
Deux filiales du groupe Urgo ont violé la loi « anti-cadeaux » et ont été sanctionnées par une lourde amende.
8 000 pharmaciens sont désormais dans le collimateur de la DGCCRF.
Il leur est reproché d’avoir accepté des cadeaux en renonçant à leurs remises commerciales.
Certains dossiers pourraient finir devant la justice si le procureur de la République décide de donner suite à l’affaire.
Que faire face à une convocation ?
« La réception d’une convocation pour une audition devant la DGCCRF n’est pas à prendre à la légère. Ce courrier doit être traité en priorité », prévient Me Matthieu Blaesi. Le premier réflexe à avoir est de se faire assister par un avocat. « L’audition peut être longue. Les enquêteurs vont poser des questions pièges. Le pharmacien ne doit pas oublier qu’ils détiennent des informations et qu’un procès-verbal sera ensuite transmis au procureur en charge du dossier », insiste Me Aymeric Orliac. Cette assistance va permettre au pharmacien de se rendre à la convocation en ayant préparé son dossier et ses réponses. « Le pire comportement à avoir est de la laisser lettre morte », concluent les deux avocats.
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