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Refuser, c’est aussi exister

Publié le 6 avril 2016
Par Fabienne Rizos-Vignal
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Dire non en cas d’illégalité. Par peur de désobéir, d’entrer en conflit ou d’être sanctionné, vous exécutez parfois des ordres contraires à la législation pharmaceutique. Nos conseils…

Ménager loi et bon sens

Délivrer une ordonnance non conforme, avancer sans prescription une spécialité sur liste, certains titulaires ont parfois des demandes contraires à la législation pharmaceutique.

Agir avec discernement

• Respectez votre contrat. Ne vous engagez pas tête baissée dans une action juste parce que votre patron vous le demande ! Certes, vous êtes placé sous son autorité, mais l’obligation d’obéissance, qui découle de votre contrat de travail, a des limites. Le lien de subordination n’est pas un lien de soumission aveugle.

• Prenez vos responsabilités. Restez dans le cadre du code de la santé publique. Si votre employeur vous demande de renouveler une ordonnance dont la date de validité est dépassée en disant « Si vous ne le dépannez pas, le client l’obtiendra chez le concurrent », refusez. « Se retrancher derrière le rapport hiérarchique pour se dédouaner de sa responsabilité n’est pas un bon calcul, prévient Guillaume Fallourd, avocat au barreau de Chartres (28). Il est plus risqué de dévier des textes et de commettre une infraction que de dire non à son employeur lorsque cela est justifié ».

• Affirmez votre crédibilité. Avant de dire non, mesurez l’impact de votre refus et posez-vous les bonnes questions : pour quelles raisons dire non ? Quelles seront les répercussions ? Suis-je prêt à en assumer les conséquences ?

Dès lors que vous êtes convaincu de devoir dire non pour des raisons de probité professionnelle, expliquez calmement et simplement votre position : « Je ne peux pas donner suite à votre demande sans commettre une faute professionnelle ». Dire non, c’est un moyen d’affirmer vos compétences et de montrer que vous n’êtes pas qu’un simple exécutant opérationnel. C’est un gage de crédibilité.

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Mesurer les risques

En cas de dommage causé à un patient, celui-ci pourra se retourner contre vous, qui avez sciemment accepté d’enfreindre la réglementation. Votre responsabilité pénale et votre responsabilité civile pourraient alors être engagées en cas de plainte devant les tribunaux. D’un point de vue du droit du travail, vous ne risquez ni sanction disciplinaire, ni licenciement, pour ne pas avoir exécuté des ordres contraires à la loi. Un licenciement fondé sur le refus du salarié de répondre à un ordre illégal n’a aucune chance d’aboutir devant les prud’hommes.

Doser son attitude

Tout est aussi affaire de circonstances. Même si la législation édicte des principes, les exceptions ne peuvent être ignorées. Au comptoir, l’exception, c’est l’intérêt du patient. Si un touriste a perdu sa boîte d’antihypertenseur ou son ordonnance pour son bronchodilatateur, vous pouvez difficilement vous borner à appliquer à la lettre le code de la santé publique, qui exige une prescription en bonne et due forme. Ne jamais se départir de son bon sens est aussi une règle ! Votre refus doit céder devant l’urgence de la situation.

Savoir dire non

Tous des « oui-oui »

• Tout petits déjà, nous sommes conditionnés pour dire oui. Cela fait partie des règles de politesse. Nous disons oui de façon presque instinctive, sans réflexion. Psychologiquement, trois grandes causes expliqueraient la difficulté de dire non : la crainte d’une autorité, la culpabilité et la peur de ne plus être aimé.

• Une fois adulte, cette inclinaison à toujours acquiescer persiste, car dire non c’est prendre le risque de commettre une insubordination, d’être rappelé à l’ordre ou d’être mal noté, de passer à côté d’une promotion, voire d’être mis à l’écart. Et parce qu’on a le syndrome de toute-puissance : « Si on me le demande, je peux/je dois le faire ».

Les avantages du non

Savoir refuser permet de s’affirmer et de garder de saines relations avec son employeur (voir encadré). Sur le plan personnel, dire non est paradoxalement une manière de se faire accepter. Cela permet de rester cohérent avec soi – « Je refuse ce qui ne me convient pas, j’évite la frustration » – et de maintenir sa crédibilité en donnant de la valeur à un oui ultérieur : « Quand j’accepterai, c’est que je jugerai que c’est bien pour vous ».

Exprimer son refus

Ce qu’il faut faire

D’abord, évitez les phénomènes d’accumulation et réagissez dès les premiers écarts. Ensuite, accordez-vous un bref temps de réflexion et envisagez les conséquences de votre refus.

• Dans les mots. Dites toujours non clairement en utilisant une formule assertive qui ne laisse planer aucun doute. Utilisez le « je », qui marque une affirmation de soi. Objectivez votre position avec un exemple précis.

• Dans les gestes. Regardez votre interlocuteur avec un visage franc et ouvert. Gardez une attitude mesurée et restez émotionnellement détaché.

Ce qu’il ne faut pas faire

• Ni timidité, ni agressivité. Ne tombez pas dans le cercle vicieux du triangle « victime-bourreau-sauveteur » : « J’enfreins la législation à cause de vous, et je ne supporte plus cette situation ! »

• Ni reproches, ni menaces tels que : « Vous ne respectez pas la législation et je le déplore » ; « Je ne cautionne pas votre façon d’exercer en délivrant, sans ordonnance, des médicaments soumis à prescription » ; « Je vais vous dénoncer à l’Ordre ». L’objectif n’est pas de juger votre employeur, et encore moins de lui poser un ultimatum, mais de prendre vos responsabilités en assumant une ligne de conduite professionnelle, « Je refuse d’exécuter tel ordre que vous me demandez, pour telle raison ».

Dire non en pratique

1. Écoutez attentivement sa requête et faites-lui comprendre qu’elle est prise en compte en la reformulant : « J’entends bien votre demande. Vous aimeriez que j’avance cet hypnotique alors que l’ordonnance n’est pas conforme à la législation ».

2. Évitez le non frontal, expliquez les raisons : « Vous savez bien, d’après le code de la santé publique, que je n’ai pas le droit de le délivrer sans ordonnance valide… »

3. Utilisez la technique du disque rayé : répétez votre message en changeant la façon de le dire. « Je reconnais que c’est difficile pour vous d’accepter mon refus de servir ce patient mais vous savez bien que c’est interdit ».

4. Proposez une alternative : « Je vous propose de servir ce patient à ma place/d’appeler son médecin pour avoir son accord ».

5. Ne haussez pas la voix.

6. Coupez court après deux ou trois disques rayés : « Vous le faites vous-même en assumant la responsabilité ou on attend une ordonnance conforme ? »

Proposer une procédure

Une démarche qualité homogénéise la réponse de l’équipe aux sollicitations « hors cadre » : identifier les demandes les plus courantes, préciser le cadre réglementaire, définir qui dit quoi et quand, élaborer un questionnement (Pourquoi cette demande ? Prenez-vous ce produit ?…) et définir de qui doit venir l’aval final, et dans quel cas. La procédure est ensuite enrichie à chaque nouvelle situation au comptoir.

Garder des traces écrites

S’opposer au titulaire peut tourner à l’incident diplomatique et au licenciement. Quitte à ce que la rupture du contrat de travail soit « déguisée » sous un autre motif. Avant d’arriver à ce point de non retour, Guillaume Fallourd conseille de prendre les devants et d’acter les faits par écrit dès qu’ils surviennent : « Si les manquements du titulaire exposent le collaborateur, un bon moyen de se protéger est de formaliser son désaccord par écrit ». Le cas échéant, il pourra ainsi facilement apporter la preuve qu’il n’a pas cédé à des pratiques en contravention avec des règles impératives.

• Comment ? Par simple courrier ou par mail, tout en étant factuel : « Tel jour, vous m’avez demandé d’effectuer telle délivrance. J’ai refusé parce que la législation pharmaceutique ne m’y autorisait pas ». Vous serez encore plus convaincant si, à l’appui de votre décision, vous indiquez les références du code de la santé publique. Votre désaccord sera clair, net, légitime et sans appel. Concluez en restant constructif et en vous projetant dans l’avenir : « J’espère que cela ne se reproduira plus afin que je puisse continuer à travailler avec loyauté et sérénité envers vous et envers les patients ».

• En cas de manquements importants, vous pouvez les signaler à l’ordre des pharmaciens, qui déclenchera, le cas échéant, une procédure disciplinaire. En cas de manquements répétés, vous pouvez porter plainte nominativement auprès du conseil régional de l’ordre des pharmaciens. 

Avis du spé
Blandine Portier-Sirot, coach en entreprise à Annecy (74)

« Pour gagner le respect, il faut savoir dire non »

Dire « non » à son patron risque-t-il de détériorer automatiquement la relation de travail ?

Au contraire, c’est une façon de s’affirmer, d’exprimer son point de vue et d’agir en adéquation avec ses valeurs sans se renier. Se respecter est un préalable pour respecter l’autre. Lui dire non de manière calme, posée et respectueuse est la clé d’une relation professionnelle saine. Cela permet d’engager une discussion constructive, de fixer un cadre, et donc de limiter les risques de conflit.

Pourquoi un collaborateur toujours aimable et gentil n’est pas forcément celui qui progresse ?

L’empathie est nécessaire en entreprise, mais pas à n’importe quel prix ! Dire oui à tout et tout le temps est la porte ouverte aux abus. Cette soumission, guidée par la peur de décevoir, d’être sanctionné etc. s’avère contre-productive. Inconsciemment, l’employeur ne donne pas de valeur à un salarié qui acquiesce systématiquement. Cela peut être perçu comme un manque de personnalité. À l’inverse, un collaborateur qui dit non montre son indépendance d’esprit, signe d’un bon équilibre mental. S’affranchir est une qualité que partagent les leaders. Pour gagner la reconnaissance et le respect, il faut savoir dire non.