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À chaque jour suffit sa peine
Accompagner un traitement de substitution aux opiacés. À chaque étape du contrat avec la personne, l’enjeu est d’imposer la bonne distance entre rigueur et compréhension.
Un patient hors norme ?
S’investir auprès d’un (ex-) usager de drogue sous traitement de substitution aux opiacés (TSO), buprénorphine ou méthadone, est un long chemin parfois semé d’embûches.
Il est rarement dangereux
« Je ne veux pas de problèmes », « Ils sont agressifs »… les soignants ont encore souvent l’image de patients dangereux. Si c’est le cas pour certains, il y a peu de chances que vous les voyiez à l’officine. « Tous ne sont pas des anges, loin de là, mais attention de ne pas stigmatiser. Ceux pris en charge en ville sont le plus souvent les “bons élèves”, ils ne sont que rarement remuants et nous avons peu de retours des pharmaciens dans ce sens », explique Pascal Hachet, psychologue clinicien de l’association Service d’aide aux toxicomanes-Picardie.
Il est en souffrance
Selon Pascal Hachet, « l’addiction, quelle qu’elle soit, révèle une difficulté à exister. Le produit sert à supporter toutes sortes de frustrations pour des personnes qui n’ont pas trouvé d’autre moyen. Ce n’est pas un symptôme mais une stratégie pour colmater une souffrance ».
Et souvent polypathologique
Les patients sont souvent dans une poly-addiction, alcool, anxiolytiques…, parfois avec comorbidités, troubles psychiques, hépatites, VIH… Il n’est pas rare que la situation les enferme dans un cercle de désociabilisation, voire de marginalisation.
Pour partir du bon pied
Connaître le « milieu »
Mode d’administration, matériel, drogues, produits de substitution et vocabulaire du « milieu » – flash, descente, shoot ou craving – sont essentiels pour établir le dialogue. L’(ex-) usager est une source d’information précieuse. Accepter l’échange de connaissances est l’une des bases de la confiance.
Évacuer les idées parasites
• La frustration : « À quoi ça sert ? », « Ils continuent les produits illicites », « Je suis un dealer en blouse blanche »… expriment la frustration du professionnel qui veut « soigner ». Commencer par (re) considérer les objectifs d’un TSO : baisse de la consommation d’opiacés illicites, accès aux soins, insertion sociale, réduction du risque de surdose ou de comorbidités liées à l’injection. L’abstinence, y compris du TSO, n’est pas l’objectif prioritaire.
• Les préjugés : « Ils sont faibles, manipulateurs, sans réelle motivation, à la recherche de drogues facilement accessibles »…, laisser de côté ces stéréotypes qui brisent tout embryon de confiance. Jusqu’à preuve du contraire, le patient est dans une démarche de prise en charge. Regard bienveillant et absence de jugement hâtif sont de rigueur.
À cultiver
• La disponibilité : on s’engage souvent pour des années d’accompagnement avec le patient, son médecin et parfois sa famille. Sans motivation ni possibilité de s’investir, mieux vaut passer la main.
• La rigueur : ciment de la relation, elle définit les bases de l’accord avec le patient et offre la meilleure bouée de sauvetage en cas de dérapage : « Vous connaissez les règles de la pharmacie, je n’y dérogerai pas ». Attention, rigueur n’est pas rigidité, le patient garde un droit de parole : « Si vous rencontrez des difficultés, nous pouvons bien sûr en discuter ».
• La normalité : même si le traitement est quotidien et spécifique, la délivrance reste une délivrance. Le rappeler ponctuellement – « Ici, vous êtes un patient comme les autres… » – est un levier important pour la socialisation du patient.
• L’empathie : rien n’est possible si l’on ne peut entendre sans juger les difficultés du patient. Mais tout est affaire de distance ! Se montrer solidaire, compréhensif – « Je sais que c’est un passage compliqué » –, sans verser dans le paternalisme ou la proximité ambiguë avec le tutoiement, le copinage…
• Le travail en équipe : montrer une attitude univoque à l’officine et avec les autres professionnels de santé. La prise en charge est collaborative entre le médecin, le patient et la pharmacie, scellée par la mention obligatoire du nom du pharmacien sur l’ordonnance. Le rappeler de temps en temps : « Nous communiquons régulièrement avec le Dr X, le réseau Y… »
Un stade, une approche
Initiation
L’enjeu prioritaire est la mise en place du TSO, la suppression du manque, de l’envie d’opiacés illicites et l’intégration dans le système de soins.
• (Ré) expliquer est essentiel. Reprendre les caractéristiques du traitement, ses modalités de prise, ses effets indésirables… en insistant sur les notions pharmaceutiques et législatives. C’est le moment de parler son langage : « pas d’effet shoot », « de descente », « signes du manque… »…
• Établir un contrat. Fixer clairement les règles du « jeu » pratiques avec dose, prise quotidienne à l’officine, etc., et morales : « Vous vous engagez à respecter l’horaire de visite, à ne pas demander d’avance sans l’aval du médecin ». Sans oublier vos obligations : « Nous nous engageons à être disponibles, à garder le secret médical, à communiquer avec votre médecin… »
• Un espace isolé est essentiel pour la confidentialité.
• Un entretien d’une demi-heure au moins : inciter le patient à s’exprimer par des questions ouvertes – « Pouvez-vous me parler de votre parcours de dépendance ? » – avant d’expliquer le traitement et de proposer le contrat thérapeutique. Appuyer sur son côté incontournable : « Ce sont nos règles, il n’y a pas d’exception possible… »
• Sceller le contrat : demander au patient de reformuler ses engagements pour vérifier que tout est compris. Proposer éventuellement la signature d’un contrat écrit auquel vous pourrez vous référer. Appeler le médecin en présence du patient pour matérialiser la relation en trinôme : « Je vois actuellement M./Mme X., je voulais vous prévenir que nous avons conclu un contrat thérapeutique, etc. ».
• Un deuxième entretien, plus court, une semaine plus tard, vérifie le ressenti face au traitement, le besoin éventuel d’ajustements et renforce la notion de suivi.
Stabilisation
C’est la phase d’équilibre du traitement après quelques semaines d’adaptation. L’enjeu prioritaire est d’aider au maintien dans un processus thérapeutique et de resocialisation.
• Élargir le dialogue. Ouvrir sur d’autres plans sanitaires avec conseils hygiéno-diététiques, santé psychique… permet d’accompagner la resocialisation en « normalisant » la relation. La délivrance, plus souvent hebdomadaire, est l’occasion de poser systématiquement deux questions : « Comment se passe le traitement ? » et « Avez-vous des difficultés particulières en ce moment ? » Attention à ne pas baisser pas la garde côté discrétion, toute délivrance au comptoir doit notamment se faire dans un sachet opaque.
• Rester vigilant sans « fliquer » : repérer toute modification d’attitude – « Je me sens un peu déprimé, fatigué », « C’est plus dur en ce moment »… Proposer d’en référer au médecin sans donner l’impression d’un « flicage » : « C’est important pour réévaluer si besoin la prise en charge ».
• Orienter selon les besoins identifiés vers une structure spécialisée : psychothérapeute, associations, assistante sociale…
Gérer les couacs
« Je sens qu’il rechute »
• Les signes : il ne vient pas pendant un temps, est fuyant, refuse le dialogue, demande des seringues… ou exprime clairement sa rechute. Pas de jugement hâtif, celle-ci fait partie intégrante de la prise en charge. L’essentiel est de maintenir le lien thérapeutique.
• Forcer le dialogue : « Je me trompe ou ça ne va pas en ce moment ? On prend un moment pour en parler ? »
• Déculpabiliser : l’officine est un lieu de santé, pas un poste de police ! Montrer que l’on n’est pas dupe : « Je ne crois pas que votre traitement vous suffise en ce moment ». Dédramatiser : « Rechuter est une étape possible et fréquente ». Positiver : « L’essentiel est que vous reveniez rapidement vers une prise en charge médicale ».
• Parer à l’urgence : même si ce rôle est moins évident pour l’officinal, l’urgence est aux messages de réduction des risques (seringues stériles, matériel d’injection…). Informer ne veut pas dire inciter, c’est même un bon point d’accroche pour « rattraper » le patient. « Les toxicomanes ne veulent pas mourir, ils sont généralement réceptifs aux messages de réduction des risques, qui maintiennent un climat de confiance », explique Pascal Hachet.
« Il essaie de négocier »
• Les signes : le patient vient plus tôt, tente d’obtenir son traitement en avance ou pour une période plus longue… Éviter toute entorse qui pourra ensuite être considérée comme acquise ; le patient vous teste, c’est le moment de garder une attitude cohérente.
• Se raccrocher au contrat thérapeutique : inutile d’entrer dans la négociation. Refuser fermement en utilisant la méthode du disque rayé, en répétant le même message formulé autrement : « Le contrat que nous avons passé stipule clairement que… », « À votre première visite, vous vous êtes engagé à… »
• Contourner les « Je n’ai pas fermé l’œil », « J’en prendrai moins la semaine prochaine »… Éviter la discussion qui risque de tourner au chantage : « C’est de votre faute si… ». S’en tenir aux règles sans se justifier : « J’entends ce que vous me dites mais vous savez que je ne peux pas faire autrement ».
• Jouer l’alternative. La seule possible est d’appeler ou de revoir le médecin. Elle permet de couper court à la conversation quand on la ponctue d’une seule issue : « Qu’est-ce que vous décidez, vous attendez la date prévue ou vous revoyez le médecin ? »
« Il devient agressif »
• Les signes : le patient, intolérant à la frustration, passe à la menace…
• S’entourer illico : faire front très vite à deux ou trois, rester ferme, sans mouvement de recul mais à distance permettant d’esquiver une attaque corporelle.
• Couper court : « Sortez et ne revenez que si vous êtes calmé. Aucune discussion ne sera possible dans ces conditions ». Parler le plus posément possible pour désamorcer la tension.
• Appeler les forces de l’ordre en dernier recours si le patient ne se calme pas, sans entrer dans son jeu. On ne menace pas d’appeler la police mais on joint le geste à la parole, aussi calmement que possible.
Remerciements à Pascal Hachet, psychologue clinicien spécialisé en addictologie, auteur notamment de Psychologue dans un service d’aide aux toxicomanes et Ces ados qui fument des joints.
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