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Téléconsultation : une nouvelle forme d’interprofessionnalité ?

Publié le 25 novembre 2023
Par Yves Rivoal
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Perçue comme une partie de la réponse à la désertification médicale, la téléconsultation pourrait aussi favoriser le développement de l’interprofessionnalité. C’est cette double ambition que nourrissent les organisations territoriales de télémédecine qui commencent à fleurir sur les territoires.

 

 

Titulaire de la pharmacie de la Place à Montmédy (Meuse), Juliette Lorrain a décidé de proposer à ses clients un service de téléconsultation dès l’été 2022 pour compenser le départ en quelques mois de trois des quatre médecins généralistes du village. « J’ai choisi de m’adosser à l’organisation territoriale de télémédecine (OTT) Meuse que venait de créer le Dr Jean-Philippe Kern près de Verdun, à une cinquantaine de kilomètres de mon officine. Le modèle des OTT me semblait plus respectueux du parcours de soins que celui des prestataires de téléconsultation à vocation “commerciale”. Il permet en effet à mes clients de consulter à distance un médecin généraliste qui est toujours le même, et qui est surtout installé dans le département », explique la pharmacienne. Elle est également séduite par la dimension d’interprofessionnalité qui se joue entre le pharmacien et le médecin durant la téléconsultation : « Pendant les dix premières minutes, je prépare le tableau clinique du patient en lui prenant ses constantes et en le questionnant sur ses antécédents, ses allergies et ses traitements en cours. Données que je transmets en temps réel au médecin. Lorsque la visio démarre, le docteur peut se concentrer sur le diagnostic et la recherche de la thérapeutique. Mon rôle est de l’assister pour qu’il puisse, par exemple, visualiser une plaie en gros plan. Il m’arrive aussi d’intervenir pour lui indiquer que la patiente semble fatiguée ou a du mal à marcher. »

Une téléconsultation assistée et augmentée 

La première OTT, Télémédical Solution, a vu le jour en 2018 à Troyes (Aube). « Nous l’avons créée pour éviter aux patients de venir s’échouer aux urgences de l’hôpital alors que leur état de santé ne le justifie pas, confie Arnaud Devillard, le médecin urgentiste cofondateur de cette OTT avec son confrère, Jérémie Goudour. L’idée a été de créer un cabinet médical digital consacré à la téléconsultation assistée et augmentée pour les patients n’ayant plus de médecin traitant ou qui ne peuvent pas obtenir de rendez-vous avec un médecin dans un délai compatible avec leur état de santé. » Quatre ans plus tard, les huit médecins qui se relaient sur les trois postes réalisent en moyenne 18 000 téléconsultations par an en s’appuyant sur une soixantaine de points de télémédecine. Un tiers est installé dans des officines de l’Aube et de la Haute-Marne.
« Dès le départ, notre modèle d’organisation a été conçu dans un esprit d’interprofessionnalité, assure Arnaud Devillard. Avant de lancer une nouvelle OTT, nous faisons toujours valider notre dossier en commission paritaire locale ou régionale, en concertation avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Nous rédigeons aussi un projet médical en impliquant l’écosystème de santé, l’objectif étant d’obtenir le feu vert des professionnels de santé du territoire. Et, à la fin de chaque téléconsultation, le médecin envoie systématiquement un compte rendu au médecin traitant, lorsque le patient en a un. »   

Déployer le modèle 

Convaincus de la pertinence de leur modèle, Arnaud Devillard et Jérémie Goudour ont pour ambition d’installer deux à trois OTT par grande région. Ils ont pour cela créé Omedys, une structure chargée d’accompagner les médecins ou les pharmaciens porteurs de projets. Quatre nouvelles OTT ont déjà vu le jour à Souilly (Meuse), Caen (Calvados), Carcassonne (Aude) et au Mans (Sarthe). Dans son officine, Juliette Lorrain réalise, en moyenne, 620 téléconsultations par an. Elle reconnaît que ce rôle d’assistante du médecin lui a permis d’enrichir son exercice : « Cela m’a d’abord incité à revoir mes cours d’anatomie car je dois savoir où placer le stéthoscope pour faire entendre au médecin les bruits pulmonaires, souligne-t-elle. Nos échanges contribuent aussi à améliorer la prise en charge au moment de la délivrance. Je peux montrer précisément au patient l’endroit où le généraliste lui a demandé d’appliquer le gel anti-inflammatoire pour soigner sa lombalgie. » Pour Christophe Wilcke, le président de l’URPS pharmaciens Grand-Est et de la CPTS du Nord meusien, qui a participé à la création de l’OTT Meuse, ce mode d’organisation a d’autres vertus : « Il se révèle précieux pour aider les patients n’ayant plus de médecin traitant à en retrouver un, explique-t-il. Nous avons pour cela mis en place une grille de critères qui nous permet de détecter chez des personnes âgées une forme de fragilité. Dans ce cas, leur dossier est remonté à la CPTS pour que celle-ci essaie de leur trouver un médecin traitant. La téléconsultation pourrait aussi devenir un outil précieux pour les services d’accès aux soins (SAS) qui sont en train de se mettre en place un peu partout sur le territoire. » 

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Des obstacles à lever 

Le développement de ce nouveau modèle d’organisation se heurte toutefois à certaines limites. La première difficulté est de trouver des médecins et des professionnels de santé prêts à s’engager dans un contexte où la ressource médicale fait défaut. Dans son officine, Juliette Lorrain a identifié une contrainte qui pourrait doucher l’enthousiasme de nombre de pharmaciens. « Comme Il y a bien longtemps que j’ai dépassé le plafond de la rémunération forfaitaire, je facture 1 € au titre de l’assistance à la téléconsultation qui me mobilise à chaque fois 20 minutes. Ça n’est donc pas cher payé », souligne la pharmacienne, qui nuance cependant : « Mais cela me permet de faciliter l’accès aux soins de ma patientèle et de maintenir un flux de prescriptions à l’officine, qui a stabilisé mon chiffre d’affaires malgré le départ de trois des quatre médecins généralistes du village. »