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L’e-pharmacie,c’est pas encore ça !

Publié le 7 mai 2016
Par Loan Tranthimy
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La réglementation encadrant les bonnes pratiques de délivrance des médicaments en ligne verra-t-elle bientôt le jour ? Pas sûr. Selon l’Autorité de la concurrence, le nouveau projet d’arrêté ministériel, encore trop restrictif, retire tout intérêt à la commercialisation des médicaments sur internet tant pour le patient que pour le pharmacien.

En application de la directive européenne de 2011, les pharmaciens français ont la possibilité depuis 2013 de vendre des médicaments sans ordonnance sur internet. Depuis cette date, l’activité en ligne des pharmacies ne décolle pas. « Sur 22 401 officines recensées au 1er janvier 2015, seules 301 ont développé un site internet » à cet effet, soit 1,34 %, et « dix fois moins qu’en Allemagne », indique l’Autorité de la concurrence. En cause : un encadrement réglementaire des bonnes pratiques de dispensation trop restrictif qui freine le développement de ce marché.

Un premier arrêté publié en 2013 a été annulé en 2015 par le Conseil d’Etat pour vice de forme. Un nouveau texte a été ensuite élaboré par le ministère de la Santé et transmis en 2016 pour avis à l’Autorité de la concurrence. Tout comme en 2013, le projet d’arrêté ne séduit pas cette instance car il reprend un certain nombre de dispositions restrictives telles que l’interdiction de la sous-traitance à un tiers, le référencement dans les moteurs de recherche ou encore l’obligation de stocker les commandes dans l’officine ou dans des locaux à proximité. A ces restrictions, s’ajoutent des contraintes supplémentaires jugées « discriminatoires » par l’Autorité de la concurrence car non imposées aux pharmacies « en dur ». Ainsi, le pharmacien peut être par exemple conduit à solliciter auprès du patient de très nombreuses informations, « dont certaines couvertes par le secret médical », telles que des résultats d’analyses biologiques, des antécédents pathologiques, ou un diagnostic établi par le médecin ou recueillir à chaque nouvelle commande « les observations éventuelles du patient, la survenue des effets indésirables et évaluer le bénéfice risque de poursuivre le traitement ». Par ailleurs, pour pratiquer cette activité, le pharmacien devra mettre en place un système de management de la qualité comparable au niveau d’exigences pour obtenir la certification ISO 9001. En tout état de cause, l’ensemble de ces obligations « limite fortement voire interdit pour les titulaires français de développer leur activité de vente en ligne et de concurrencer efficacement les sites situés dans d’autres Etats membres de l’Union européenne, menaçant la compétitivité des sites localisés sur le territoire ». L’Autorité de la concurrence estime que le circuit de distribution sur internet doit bénéficier d’un régime plus souple que la vente des médicaments au comptoir, « sous réserve de quelques cas particuliers : paracétamol, ibuprofène par exemple ». Mais de quelle souplesse réglementaire parle-t-on ? Faut-il donner aux cyberpharmaciens les mêmes armes juridiques que leurs concurrents étrangers sur le plan notamment de la communication et de la publicité ?

La défense du monopole

Depuis le début, deux camps s’affrontent. D’un côté, l’Autorité de la concurrence soutenue par les pionniers de la cyberpharmacie qui plaident pour une réglementation favorable à la liberté d’entreprendre en ligne, et de l’autre les instances professionnelles (Ordre et syndicats) qui ne voient pas d’un bon œil le nouveau canal de distribution. Pour l’Ordre national des pharmaciens qui a fait de la sécurité sanitaire et de la lutte contre la contrefaçon son cheval de bataille, il n’est pas souhaitable d’ouvrir les vannes. Le médicament n’étant pas un bien de consommation comme un autre, « il doit être dispensé sous certaines conditions destinées à garantir la sécurité des patients et préserver la santé publique ». « L’importance d’éviter surconsommation et mésusage de médicaments ne peut encourager des techniques purement commerciales », avance-t-il. « La pharmacie est un métier où la qualité et la sécurité ne peuvent pas être galvaudées. La finalité de cet avis est de déréguler le réseau et d’ouvrir le monopole officinal », ajoute Gilles Bonnefond, président de l’USPO.

Chacun l’aura compris, le développement du commerce électronique fait craindre à la profession l’ouverture à terme du monopole officinal aux enseignes de grande distribution comme Leclerc et Carrefour déjà présentes dans la parapharmacie. Par ailleurs, dans un contexte économique contraint, l’assouplissement des règles de la vente en ligne pourrait aussi être vécu comme une source de concurrence supplémentaire entre les officines, seules les pharmacies de taille importante pouvant proposer une large gamme, des stocks et des tarifs attractifs.

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Renforcer le conseil pharmaceutique

Une crainte qui n’est pas justifiée selon l’Association française des pharmacies en ligne (AFPL). « On estime aujourd’hui qu’un dixième du chiffre d’affaires global d’une officine est consacré à l’OTC et, sur ce dixième, la vente en ligne représente 15 % comprenant des médicaments de PMF et de la parapharmacie. Sur un marché mature, cette activité représenterait 1 à 2 % du CA global d’une officine. Les baisses de prix et de marge font plus mal que la concurrence de la vente en ligne », souligne Cyril Tétart, président de l’AFPL. Il considère que l’avis de l’Autorité de la concurrence est « plein de bon sens » et dénonce la distorsion entre la dispensation au comptoir et celle en ligne. « Une pharmacie en ligne doit dépendre d’une pharmacie physique, dont elle est le prolongement. Dès lors pourquoi imposer de telles différences entre les deux ? », déclare le site Illicopharma, membre de l’AFPL.

Au fond et par contraste, ce que déplorent tous les acteurs, c’est l’absence de règles de bonnes pratiques au comptoir. « Une version a listé tout ce qui pouvait être fait au comptoir au niveau du conseil pharmaceutique, de la traçabilité ou encore de la démarche qualité. Mais en l’état de l’économie actuelle, ce projet pour le comptoir ne serait pas applicable », reconnaît Fabrice Camaioni, président de la commission exercice professionnel de la FSPF.

Pourtant, ne faut-il pas envisager la concurrence dématérialisée comme une opportunité pour la profession d’assurer la pérennité des enseignes physiques via des règles de bonnes pratiques exigeantes ? Pour l’heure, le projet ne convient à personne. « J’appelle le gouvernement à réunir les acteurs pour revoir le texte », suggère Fabrice Camaioni. « Pour éviter toute critique, il faut publier les règles de bonnes pratiques au comptoir », martèle Gilles Bonnefond. La balle est une nouvelle fois dans le camp du ministère de la Santé. Selon le cabinet de Marisol Touraine, « le projet d’arrêté sera retravaillé à l’aune des remarques de l’Autorité de la concurrence ». Le nouveau texte sera ensuite soumis dès sa finalisation auprès de la profession.

TOP 5 DE LA VENTE EN LIGNE

Les médicamentsles plus vendus en volume

– Doliprane 1 000 mg

– Doxylamine Biogaran

– Dulcolax

– Poly-karaya

– Daflon

Les segments les plus porteurs en valeur

– Sevrage tabagique

– Hémorroïdes et jambes lourdes

– Vitalité et défenses immunitaires

– Digestion et transit

– Douleurs articulaires

Les sites marchands les plus performants peuvent réaliser jusqu’à1,5 million d’euros de CA annuel avec 5 000 transactions par mois.

Source : lasante.net (mars 2016) et Les Echos Etudes (septembre 2015).

À RETENIR

• Dans un avis consultatif, l’Autorité de la concurrence critique fortement la réglementation envisagée par le ministère de la Santé pour encadrer la vente en ligne des médicaments sans prescription.

• Cet avis divise la profession, d’un côté les instances professionnelles (Ordre national des pharmaciens et syndicats) qui au nom de la sécurité des patients, de la lutte contre la contrefaçon et de la sauvegarde du monopole refusent tout assouplissement de la réglementation, et de l’autre les pharmaciens pionniers dans l’e-commerce qui veulent jouer à armes égales avec les sites étrangers.

• Le ministère de la Santé promet de retravailler le texte à « l’aune des remarques de l’Autorité de la concurrence ».

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