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L’interpro, le remède à la crise du système de santé ?

Publié le 25 novembre 2023
Par Magali Clausener
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Afin de faire face aux déserts médicaux, à la raréfaction des ressources humaines et aux évolutions sociétales, l’exercice coordonné paraît être la solution pour garantir aux Français un accès aux soins et une prise en charge optimale. Pour autant, ce n’est pas la seule.

C’est un objectif gouvernemental comme un autre : 4 000 maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) à l’horizon 2027. En 2018, le président Emmanuel Macron projetait déjà 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) d’ici fin 2022. Réalisé ou pas ? En décembre 2022, on recensait 756 CPTS. Le déploiement de ces structures répond aux enjeux actuels et futurs d’un meilleur accès aux soins des Français sur l’ensemble des territoires alors que les ressources médicales se raréfient et que le pays devient un désert médical. « Un médecin qui exerce en MSP reçoit plus de patients qu’un médecin en exercice isolé. Une maison de santé pluriprofessionnelle ouverte, ce sont environ 600 patients de plus vus chaque année », prétendaient François Braun, alors ministre de la Santé et de la Prévention, et Agnès Firmin le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, lors du lancement du plan d’action pour le développement des MSP en juin 2023.

Quant aux CPTS, elles sont le « maillon manquant » pour reprendre le terme du rapport sur le « Tour de France » des CPTS (juin 2023) permettant « l’organisation territoriale de proximité du secteur ambulatoire », regroupant « des professionnels sur un territoire, au regard des besoins de santé d’une population ou d’un bassin de vie ». En outre, les CPTS sont des interfaces ou des interlocuteurs identifiés entre les professionnels de ville et les structures institutionnelles, sanitaires, médicosociales, ainsi que les collectivités territoriales.

Pas l’alpha et l’oméga

L’exercice coordonné interprofessionnel représenterait donc la solution pour mieux structurer l’offre de soins ambulatoires (voire restructurer) et répondre aux besoins de santé de plus en plus complexes en raison du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques. Les MSP et, à un autre niveau, les CPTS ont ainsi leur rôle à jouer dans la mise en œuvre de parcours de soins, d’accès à des soins non programmés, de prévention et même de réponse aux crises sanitaires. Si ces structures marquent un tournant et ont permis de concrétiser une certaine coordination autour des patients et des actions de prévention, la coordination entre les professionnels de santé n’est pas cependant l’unique solution. « Les CPTS ne sont pas l’alpha et l’oméga », observe d’ailleurs Grégory Tempremant, président de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens des Hauts-de-France. En effet, face au manque de médecins généralistes, il est nécessaire de trouver d’autres organisations pluriprofessionnelles impliquant des délégations de tâches ou des transferts de compétences. Si l’ensemble des professionnels de santé a conscience qu’il faut avancer dans ce sens, ces nouveaux actes prennent du temps à se matérialiser. Corporatismes et résistance au changement n’y sont pas étrangers.

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Ainsi, les protocoles nationaux de coopération pour la cystite sont encore peu déployés car il faut des médecins délégants et nombre de praticiens sont réticents. L’accès direct à certaines professions comme les infirmiers, les kinésithérapeutes ou encore les podologues a récemment été ouvert par la loi du 19 mai 2023 sur l’amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist, mais il reste balbutiant.

L’exemple le plus flagrant des difficultés à mettre en œuvre une autre organisation des soins en ville est celui de la proposition du CLIO Santé, qui réunit les sept ordres des professions de santé, en octobre 2022. Le CLIO fait part au ministère de la Santé et de la Prévention de plusieurs propositions afin d’améliorer l’accès aux soins. Il préconise de développer dans chaque territoire les partages d’actes et d’activités des médecins vers les professionnels de santé exerçant au sein d’équipes de soins primaires et de proximité pour dégager du temps supplémentaire au médecin traitant afin d’augmenter le nombre de patients qu’il peut prendre en charge. Et, à défaut de médecin traitant disponible, de confier aux autres professionnels de santé une mission en termes d’orientation du patient, en assurant une première prise en charge, et en organisant, avec les autres acteurs du territoire, l’orientation vers un médecin traitant. Mais, rapidement, les syndicats de médecins s’opposent à ces recommandations. De fait, les préconisations du CLIO sont restées lettre morte.

Un an après, la possibilité d’une telle organisation ne semble plus être possible. Les négociations entre les syndicats médicaux et l’Assurance maladie, ouvertes fin octobre 2023 pour une nouvelle convention médicale, laissent de côté ces aspects de transferts de compétences et d’accès direct. Ceux-ci ont été une des causes de l’échec des premières négociations conventionnelles menées début 2023. Pour autant, les médecins ne rejettent pas l’exercice coordonné. Et sur le terrain, cela fonctionne. Mieux encore, les professionnels de santé continuent d’innover et expérimenter comme le démontrent en particulier les expérimentations article 51 ou OSyS (voir pp. XX)

Reste à trouver le juste équilibre pour que chaque profession trouve sa place au bénéfice des patients et en fonction du condiv territorial. Une seule certitude : l’état du système de santé nécessite que tout le monde travaille ensemble dans le même sens. 

La démographie des médecins

Au 1er janvier 2023, selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publiée le 29 août 2023, 99 500 médecins généralistes et 130 700 médecins spécialistes étaient en activité en France. Si le nombre de médecins généralistes en activité continue de diminuer (- 500 par rapport au 1er janvier 2022), celui des médecins spécialistes continue, lui, d’augmenter (+ 1 300).

La Drees a néanmoins actualisé ses projections d’effectifs des professions médicales à l’horizon 2050 : sous hypothèse de comportements et de législation constants, les effectifs de médecins devraient stagner jusqu’en 2027. C’est seulement à partir de 2030 que l’on peut attendre une hausse « assez importante » des effectifs qui se poursuivrait jusqu’en 2050 : + 1,7 % de croissance annuelle moyenne des effectifs entre 2030 et 2050. « En revanche, compte tenu de l’augmentation et du vieillissement de la population, le modèle montre une diminution de la densité médicale standardisée en France, qui retrouverait son niveau de 2021 seulement vers 2032, puis repartirait à la hausse pour être supérieure de 31 % à la densité actuelle en 2050 », explique cependant la Drees.

mine chuenmanuse-Shutterstock