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« Les jeunes aidants sont invisibles »
Repérer les jeunes aidants. La Société française et francophone de psycho-oncologie (SFFPO) met en lumière les enfants qui évoluent auprès de proches atteints d’un cancer afin de les aider si besoin.
Pourquoi ce webinaire de la SFPPO sur la santé des jeunes aidants ?
Pour sensibiliser à la jeune aidance. Le cancer a de nombreux retentissements limitants au quotidien pour le patient, qu’il s’agisse de sa disponibilité ou de sa santé : fatigue, troubles cognitifs et psychologiques… Son entourage familial est impacté aussi. Certains enfants et adolescents prennent part à la réorganisation des rôles au sein du foyer et sont amenés à aider un parent, un grand-parent, un membre de la fratrie. Éveiller sur ce sujet est une première étape pour mieux les comprendre, les reconnaître, les soutenir. Les jeunes aidants (JA) sont invisibles aux yeux du système de santé, et du système social, et donc ni considérés ni accompagnés comme il le faudrait.
À qui s’adressait ce webinaire ?
La présentation, orientée cancer, s’adressait aux professionnels membres de la Société française et francophone de psycho-oncologie (SFFPO) afin de les sensibiliser à la jeune aidance, mais le programme de recherche sur les Jeunes AlDants (JAID), mené au Laboratoire de psychopathologie et processus de santé (LPPS) de l’université Paris Cité vise à sensibiliser toute la population. Nous avons évalué les connaissances et les pratiques d’abord des professionnels de l’éducation puis de ceux de santé pour déployer des actions. L’idéal serait de décloisonner, de créer un partenariat entre les écoles des professions de santé et la famille, pour repérer davantage de situations.
Comment définir l’aidance ?
La première définition de l’aidance est donnée par la loi d’adaptation de la société au vieillissement de 2015. Elle se réfère au soutien apporté par une personne en perte d’autonomie du fait de l’âge ou du handicap. Tandis que la littérature associe l’aidance à la maladie chronique, dont le cancer, la loi ne le fait pas. Un proche est considéré comme aidant quand il apporte un soutien régulier, fréquent et significatif. Le « significatif » est objet de débats, mais je considère qu’il se réfère aux actes accomplis pour le compte du foyer ou du patient à partir du moment où l’on constate une différence avant/après.
Quel est le profil de ces aidants ?
Les jeunes aidants ont moins de 18 ans. Selon la littérature, un enfant peut être aidant dès 5 ans, âge auquel il conscientise le besoin d’aide sur un plan neurodéveloppemental et neuropsychologique. C’est compliqué à mesurer, mais nous partons du principe que, lorsque l’enfant agit dans l’intention d’être gentil, de rassurer vis-à-vis de la maladie ou du handicap, il y a aidance. Évidemment, les aides d’un enfant de 5 ans ou d’un ado de 17 ans ne sont pas comparables ! Entre 18 et 25 ans, on parle de jeunes adultes aidants, et au-delà, d’aidants adultes. Le JA est soit aidant principal, typiquement dans le cas d’une famille monoparentale où le parent est malade, ou secondaire.
Combien de JA sont recensés ?
Il y a 5 millions d’aidants de malades du cancer en France, mais il n’existe pas de données spécifiques sur les jeunes aidants. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) indique 523 000 mineurs soutenant un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie
Toutefois, une grande partie dit aider une personne atteinte d’une maladie somatique. Les études permettent néanmoins de se faire une idée de la proportion de JA par tranche d’âge : 14,4 % au lycée
Que sont-ils amenés à faire ?
Il n’y a pas de spécificité au cancer. Le JA peut contribuer aux tâches du quotidien que tout enfant est susceptible de faire : ménage, courses, s’occuper de la fratrie…. Selon nos études comparatives, l’intensification des tâches des enfants diffère lorsqu’une maladie est présente. Ils peuvent agir sur tout ce qui est lié au soutien émotionnel comme rassurer, apaiser le patient mais aussi l’entourage, apporter une aide discrète comme ne pas faire de bêtises, s’empêcher de sortir le samedi soir avec ses amis parce qu’il faut rester au domicile, occuper le proche en jouant au domino, au Scrabble…
Les tâches concrètes sont liées au médical, tels panser des plaies ou nettoyer une canule de trachéotomie, aider à la mobilité, faire la toilette, mais aussi aller à la pharmacie, gérer le pilulier, prendre les rendez-vous médicaux, y assister et retenir les informations. La multiplication de ces petites aides au quotidien peut peser. Moins l’aidance est contrainte, mieux elle est potentiellement vécue, mais elle n’est jamais totalement volontaire, à moins d’être un professionnel !
Comment identifier un JA ?
Il faut avoir le réflexe de se décentrer du patient et observer. Certains indices peuvent permettre d’identifier un JA dans l’entourage, comme un jeune qui vient chercher les médicaments, qui s’interroge sur le traitement… Il faut investiguer le système familial, auprès du parent, malade ou non, du jeune, sans y passer des heures, mais poser systématiquement des questions pour savoir qui est présent au domicile, qui fait quoi, comment ça s’organise, quelles sont les choses mises en place, comment c’est vécu ? Le fait d’en parler, de s’inquiéter libère potentiellement la parole. C’est plus simple si la relation est déjà établie.
Quels sont les impacts sur les JA ?
L’aidance peut isoler socialement, en passant moins de temps avec ses amis en dehors des cours. Impacter la scolarité quand la concentration diminue, les devoirs ne sont pas faits, les absences ou les retards se multiplient. Elle peut dissuader de saisir certaines opportunités comme suivre la formation rêvée à l’autre bout de la France. Elle fatigue, cause des maux de dos, de tête, peut susciter la tristesse, la dépression, des envies suicidaires… Tout cela peut être majoré dans le cas du cancer, en raison de son caractère potentiellement létal, de l’incertitude quant à son évolution… Les retentissements positifs sont aussi possibles avec un sentiment de fierté, d’utilité, des liens resserrés avec la famille et notamment avec le proche aidé. Ces jeunes gagnent souvent en maturité. Intégrer que la personne risque de partir minimise les conflits du quotidien. Cela engendre une plus grande ouverture d’esprit, plus d’empathie, de bienveillance, y compris envers toute personne en difficulté.
Y a-t-il des cas alarmants ?
Il y a des situations plus vulnérables, comme une famille monoparentale et un JA unique. Il faut y être attentif, sans pour autant banaliser celles qui nous paraîtraient moins graves. Attention aux représentations comme penser que cela est problématique seulement dans les familles aux revenus socio-économiques faibles, ou considérer que tout va bien parce que la famille est bi-parentale. L’autre parent peut être absent, ou travailler deux fois plus pour compenser les pertes de revenus. Et ce n’est pas parce que les filles sont davantage aidantes qu’il ne faut pas prêter attention aux garçons…
Les JA ont-ils tous besoin d’aide ?
Oui et non. Certains n’ont pas conscience des répercussions négatives ou s’attachent aux aspects positifs, et d’autres refusent l’aide. À l’inverse, certains en ont besoin, parlent spontanément aux professionnels ou ignorent à qui s’adresser. Les attentes sont multiples : poursuivre sa vie d’enfant, avoir du temps pour souffler, voir des amis, obtenir des conseils pour apporter un soutien approprié, s’exprimer sur son vécu, être reconnu comme aidant – en charge des aspects plus ou moins importants de la santé du proche – et non simplement considéré comme confronté au cancer.Il s’agit de les reconnaître, sans pour autant les enfermer dans ce statut.
Comment l’évoquer à l’officine ?
Attention à ne pas brusquer les JA et leurs parents qui craignent qu’on juge la situation et décide d’un placement. Cette peur pousse à se taire ou à faire croire que tout va bien. Il est urgent de déstigmatiser ces situations d’aidance, de faire comprendre qu’il est normal que le système familial soit bouleversé, que de nombreuses familles sont concernées et que nous ne sommes pas là pour juger, mais pour aider.
Quelle posture adopter à l’officine ?
C’est surtout un travail de prévention et éventuellement de repérage. Quand un enfant vient chercher des médicaments ou pose des questions sur un traitement, il faut s’interroger sur son rôle potentiel à la maison. Éviter : « Ce sont des choses d’adultes. » Lui demander comment il vit la situation, l’informer sur la maladie s’il le demande. Orienter vers l’association nationale Jeunes AIDants Ensemble (JADE). Créer une relation de confiance avec le jeune et les parents libère potentiellement la parole. Informer et orienter vers des aides extérieures, notamment vers des associations pour les jeunes aidants comme l’association nationale JADE ou un professionnel, psychologue, assistant social. Il s’agit de semer des graines. Ne pas tomber dans le piège non plus de trop le responsabiliser en lui demandant de participer aux soins. Il faut considérer ces jeunes aidants comme des enfants, mais pas seulement, parce qu’ils ne le sont pas.
(1) Enquête Vie quotidienne et santé 2021, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), n° 1255, février 2023 .
(2) « Quelles sont les connaissances, les représentations et les pratiques des professionnels de santé ? », Aurélie Untas, Jade Pilato, Pauline Justin, Géraldine Dorard , Le patient et son entourage. Quelles interactions ? Éditions des archives contemporaines, sur https://jaid.recherche.parisdescartes.fr/le-projet/publications/
(3) « Qui sont les jeunes adultes aidants étudiants en France », Campus-Care, sur https://jaid.recherche.parisdescartes.fr/campus-care/
Pauline Justin, maître de conférences en psychologie de la santé à l’université de Lille (59), auteur de la thèse « Les connaissances et pratiques des professionnels de santé en oncologie auprès des jeunes aidants. Une étude visant à améliorer les pratiques », co-animatrice du webinaire « Jeunes aidants d’un proche atteint d’un cancer » de la SFFPO le 12 septembre 2023.
Les webinaires SFFPO
La Société française et francophone de psycho-oncologie (SFFPO) se mobilise pour développer le soin psychique au cœur des prises en charge en cancérologie et organise des webinaires qui sont gratuits depuis septembre 2023. sffpo.fr
L’Association JADE, ressource pour les JA
En France, il n’existe aucun dispositif spécifique pour les jeunes aidants (JA) de proches atteints d’un cancer. Et peu d’accompagnements dédiés aux JA. Parmi eux : les ateliers artistiques Répit et les séjours interrégionaux de répit de l’Association nationale Jeunes AIDants Ensemble (JADE), dirigée par Amarantha Bourgeois et cofondée en 2017 par Françoise Ellien, secrétaire générale adjointe de la SFFPO. L’association propose notamment, sur son site LinkAidants, un espace d’information, de discussion, de partage autour des problématiques des jeunes aidants adultes et met à disposition des flyers.
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