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Aux Etats-Unis, les pharmaciens basculent aussi vers les services
Les Etats-Unis cherchent à limiter les hospitalisations évitables, fréquemment liées à une mauvaise observance médicamenteuse. Les pharmaciens prennent les devants, en développant des services innovants pour leurs patients. Ils s’imposent petit à petit comme des partenaires incontournables. Reportage à New York.
Au premier abord, la pharmacie de Ron Del Gaudio, située dans le vaste quartier multiculturel de Brooklyn, à New York, a une drôle d’allure. Dans sa vitrine bariolée trônent piscine en plastique, parasol et chaise de camping. Sur une affiche, une pharmacienne en blouse blanche rappelle, tout de même, qu’« ici, on vaccine ». L’agencement intérieur de la pharmacie est à l’avenant : les rayons hétéroclites s’alignent comme dans un supermarché. Au fond du magasin, derrière le comptoir « prescriptions », s’activent une dizaine d’employés. Ron Del Gaudio possèdent deux autres pharmacies à New York, « indépendantes » des deux grandes chaînes qui dominent la pharmacie de ville aux États-Unis (Duane Reade et CVS).
Il faut se méfier des apparences : nous sommes ici dans une pharmacie « spécialisée dans la délivrance des médicaments les plus complexes et les plus onéreux », explique Ron Del Gaudio : anticancéreux, antirejets, traitements contre l’hémophilie… La pharmacie dispose même d’un laboratoire, où elle réalise des préparations à la demande des médecins ou des hôpitaux.
Un suivi médicamenteux étroit
Ron Del Gaudio a 60 employés, dont la plupart sont des professionnels de santé : des pharmaciens, certains ayant une spécialité de « cliniciens », des « techniciens » en pharmacie (l’équivalent de nos préparateurs) et une infirmière. « La loi prévoit que les pharmaciens aident les patients à bien gérer leurs traitements, explique Ron Del Gaudio. Mais nous allons bien au-delà de cette obligation. » Dans une pièce consacrée aux « consultations », Rebecca Massachi travaille. Elle est pharmacienne clinicienne, une spécialisation validée par une année d’étude au-delà du cursus classique de six ans. C’est à elle qu’incombe le « management du patient » : en France, on parlerait plutôt de « coordination des soins », en coopération avec les autres professionnels de santé. Elle reçoit les patients lorsqu’ils débutent des traitements complexes : « Nous vérifions qu’il n’y ait pas d’interactions avec d’autres traitements, nous rappelons les posologies, nous délivrons d’éventuels conseils diététiques, nous informons sur les effets secondaires », énumère-t-elle. Cette première rencontre avec le patient jette les bases d’une relation de long terme. Sous la supervision de la pharmacienne clinicienne travaillent deux « techniciennes », dont Snakeema Pete. Elle appelle les patients chaque semaine pour « vérifier qu’ils prennent bien leurs traitements tous les jours, à heure fixe, qu’il ne souffre pas d’effets indésirables, etc. ».
En cas de problème, Rebecca Massachi prend contact avec le médecin prescripteur ou l’infirmière : elle a accès au dossier médical partagé qui comprend les numéros de téléphone des professionnels de santé et inclut une messagerie sécurisée. Les prescriptions sont également envoyées de manière électronique. Les pharmacies américaines ne disposent cependant pas du dossier pharmaceutique, comme en France : « Nous n’avons pas d’informations sur les autres traitements que peuvent suivre les patients s’ils sont délivrés par d’autres pharmacies. Pour cette raison, la consultation pharmaceutique initiale est très importante », explique Rebecca Massachi.
Pour tous ces services, qui occupent trois professionnels à plein-temps, la pharmacie n’est généralement pas payée. A plus de 90 %, elle reste rémunérée à la dispensation. « Certains assureurs commencent à payer les conseils que nous délivrons », indique Ron Del Gaudio. C’est le cas de Medicare, le principal assureur public, qui couvre les personnes âgées de plus de 65 ans et qui rémunère les pharmaciens d’officine pour suivre leurs patients âgés aux pathologies chroniques associées (diabète, asthme, hypertension…). « Mais ce n’est pas encore très répandu. Nous cherchons à convaincre les autres assureurs, publics et privés, de notre efficacité », précise le pharmacien, qui est également président de la Société des pharmaciens de la ville de New York.
Travail commun entre professionnels
Les pharmaciens essaient ainsi d’anticiper une évolution majeure du système de santé américain. La secrétaire d’État à la Santé Sylvia Mathews Burwell a, en effet, prévenu les professionnels de santé : dans cinq ans, 50 % de leur rémunération ne sera plus à l’acte, mais « à la valeur » du service médical rendu. De nombreuses expérimentations associent hôpitaux et professionnels de santé : pour chaque patient, ils se partagent un paiement commun, valorisé lorsque le patient est bien pris en charge, sans complications. En rompant avec le « tout paiement à l’acte », les Etats-Unis espèrent parvenir à maîtriser le coût exorbitant de leur système de santé. Et puisque la mauvaise observance des traitements est une cause majeure d’hospitalisations évitables, les pharmaciens veulent s’imposer comme des partenaires incontournables auprès des hôpitaux et des assureurs, publics et privés.
Dans un pays où l’on se méfie de l’État, les pharmaciens ont pris les devants et innovent. « Nous consacrons du temps et de l’argent à construire ces services, explique Ron Del Gaudio. Pour les faire connaître, nous visitons les hôpitaux et les centres de santé, afin de nouer des liens avec les médecins, les infirmières. Certains conseillent à leurs patients de venir chez nous. Nous cherchons à les fidéliser. Et s’ils suivent correctement leurs traitements, jusqu’au bout, nous vendons bien sûr plus de médicaments ».
LE SYSTÈME DE SANTÉ LE PLUS CHER DU MONDE
Aux Etats-Unis, en matière de santé, les chiffres donnent le vertige : les Américains dépensent en moyenne 7 700 € par habitant et par an pour leur santé, contre 3 600 € en France. Pourtant, l’état de santé des Américains est moins bon que dans la plupart des pays développés : l’espérance de vie y est de 78,8 ans, contre 82,3 ans en France. Le président Barack Obama a tenté de remettre un peu d’ordre dans un système peu régulé et très inégalitaire, en permettant à 20 millions d’Américains d’avoir accès à une assurance santé. Mais l’industrie pharmaceutique reste très puissante et impose ses prix aux multiples assureurs, publics et privés : les Etats-Unis dépensent 915 € par habitant et par an en produits pharmaceutiques, quand la France en dépense 531 €. Un seul exemple : le dernier traitement révolutionnaire contre l’hépatite C, Harvoni de Gilead, coûte aux Américains 80 000 € les 12 semaines de traitement, contre 41 000 € en France.
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