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Effervescence autour du bon usage des médicaments
La pertinence de la prescription et celle des délivrances est au cœur des négociations que l’Assurance maladie conduit parallèlement avec les médecins et les pharmaciens. L’objectif est double : améliorer la qualité de la prise en charge des patients et réaliser des économies. Regards croisés de professionnels des deux domaines sur les pistes proposées par l’organisme de santé et les syndicats médicaux.
Si le précédent ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, avait accédé sans difficulté au souhait des syndicats de pharmaciens d’engager rapidement les négociations avec l’Assurance maladie en vue d’un nouvel avenant à leur convention, c’est parce que les enjeux de l’officine sont complètement intriqués avec ceux des médecins libéraux. Et la cheville entre les deux est évidemment le médicament. Aux praticiens qui se sont remis autour de la table avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) en novembre 2023, on demande des efforts dans la « pertinence des prescriptions » dans le cadre de leur prochaine convention (2024-2029). Pour les pharmaciens, dont les travaux ont débuté le 19 décembre 2023 et qui devraient durer au moins jusqu’à fin février 2024, la lettre de cadrage du ministre insiste sur la mise en place « de nouveaux mécanismes renforçant la pertinence de la délivrance » et l’incitation à la « modération des volumes », en raison de la « dynamique des dépenses de remboursement des médicaments ».
Réduire la consommation de médicaments
Dans cette mécanique implacable, la volonté de « désensibiliser la rémunération des pharmaciens du prix des médicaments », ainsi que celle de renforcer leurs nouvelles missions, est partagée par l’Assurance maladie comme par les représentants de la profession, pour peu que les honoraires de dispensation soient revalorisés conséquemment. Dans le collimateur de la Cnam, on retrouve actuellement dans la négociation des médecins les grands classiques des objectifs de « maîtrise médicalisée ». Il s’agit d’abord de diminuer la consommation d’antibiotiques pour rejoindre la moyenne européenne en s’appuyant sur la systématisation des tests rapides d’orientation diagnostique, les antibiothérapies à large spectre ou encore une régulation des prescriptions en téléconsultation. La Cnam souhaite aussi faire baisser les volumes d’analgésiques prescrits et délivrés pour limiter le surstockage par les patients et le gaspillage des molécules de palier 1 et en encadrant le recours aux paliers 2 et 3. Elle fixe également un objectif de « 100 % des prescriptions médicales dans les indications remboursables définies par la Haute Autorité de santé (HAS) et le ministère », avec dans le viseur les analogues du glucagon-like peptide-1 (GLP-1), Entresto et les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP).
Enfin, elle espère diminuer le nombre de patients polymédiqués afin de lutter contre l’iatrogénie médicamenteuse. Pour cela, elle propose de « systématiser les échanges entre les médecins et les professionnels de santé, notamment les pharmaciens, pour s’interroger sur l’observance et la pertinence des médicaments pris au long cours ». Séduisant à première vue, mais pas évident à réaliser dans un contexte de désertification médicale. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque à certains généralistes. « Ce serait très compliqué à mettre en œuvre car nous sommes tous débordés, concède Patricia Lefébure, présidente de la Fédération des médecins de France (FMF) et généraliste dans les Yvelines. Cependant, à titre personnel, je défends depuis longtemps l’idée de monter des groupes de qualité, par exemple, une soirée par mois, entre docteurs et pharmaciens d’une même commune. » A l’instar de la pratique des groupes de pairs médicaux, le pharmacien y viendrait avec une ou deux ordonnances anonymisées qui seraient ensuite analysées par l’ensemble des professionnels présents. « Cela se pratique déjà beaucoup en Suisse et en Allemagne, poursuit Patricia Lefébure. C’est vraiment très intéressant car on ne met pas en cause un praticien en particulier et on ne stigmatise personne, mais on discute de cas cliniques de la vraie vie. Encore faut-il trouver le temps d’organiser ces dispositifs. »
Limiter la surdélivrance
Si la Cnam avait déjà ses idées pour faire diminuer les ventes de médicaments en officine, les médecins ne sont donc pas non plus en panne d’imagination. En décembre, leurs représentants se sont même livrés à un inventaire à la Prévert, dont l’Assurance maladie n’a pas précisé pour autant ce qu’elle en ferait. Parmi les propositions, on remarquera celles de « réduire l’accès libre de certains médicaments en officine, par exemple les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) », de « dérembourser les médicaments avec un service médical rendu faible », d’« assimiler certains médicaments à des stupéfiants comme le tramadol, le bromazépam ou la zopiclone », de « permettre au pharmacien d’accéder à un compteur du nombre de mois de prise de benzodiazépine par patient pour qu’il puisse refuser la délivrance » ou encore de « renforcer les bilans de médication par le pharmacien et valoriser la consultation de déprescription à la suite d’un bilan partagé de médication ». Interrogés individuellement, les syndicats de médecins libéraux en revendiquent certaines et s’interrogent sur d’autres. « Il est bien entendu important de réduire la consommation de benzodiazépines, mais si un pharmacien refusait la délivrance d’un médicament, sans connaître tout le contexte, cela peut potentiellement poser un problème au patient, s’inquiète Margot Bayart, première vice-présidente de MG France. Il faut que cela soit concerté. » Elle n’est, en revanche, pas opposée à ce que les AINS reviennent derrière le comptoir, « ainsi que certains sirops car ce sont des médicaments qui peuvent être dangereux selon les situations ».
Dans ses propositions adressées aux officinaux, la Cnam a, quant à elle, remis également en discussion « le développement d’un dispositif de dispensation adapté et ou/d’intervention pharmaceutique sur certains produits de santé pour limiter la surdélivrance et mieux lutter contre l’iatrogénie ». Le bilan de médication, une des nouvelles missions du pharmacien mise en œuvre par la convention de 2022, fait pourtant des débuts timides. Selon les données de l’Assurance maladie, 938 officines s’y sont mises en 2022 et 1 165 entre janvier et octobre 2023. « Il y a eu entre 15 000 et 20 000 bilans qui ont déjà été réalisés, soit environ un par mois pour les officines mobilisées », précise Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui se dit « tout à fait prêt à étudier l’idée de systématiser les échanges avec les médecins sur la polymédication », un sujet qui n’a pas, pour le moment, été abordé lors des négociations conventionnelles avec les pharmaciens. Le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Pierre-Olivier Variot, rappelle que la « dispensation adaptée » permettait justement de répondre à ces enjeux en délivrant les médicaments en fonction des besoins des patients. « C’est dommage que cela ait été arrêté après l’expérimentation [en 2022, NdlR], car il y avait réellement quelque chose à faire », estime-t-il.
Un échange entre professions
Chez les praticiens, on insiste, comme toujours, sur la nécessité d’avoir des retours formalisés des officines. « De nos jours, quand nos patients sont vaccinés dans les pharmacies, nous n’avons pas l’information, déplore Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Pour cela, nous aurions aussi besoin d’outils numériques performants. » En outre, il rappelle que la polymédication est le fruit des multiples prescriptions de spécialités différentes et aussi souvent hospitalières. « La réévaluation thérapeutique est un processus long et compliqué qui relève d’une consultation que seul le médecin traitant peut réaliser car il est le pivot du système », tranche le gastroentérologue. « Nous, nous connaissons nos patients, leurs histoires, leurs préférences, explique Margot Bayart, généraliste dans le Tarn. Pour supprimer un médicament à un patient qui y est attaché, même s’il n’est pas indispensable, cela nécessite une discussion approfondie avec lui. »
Il reste que, dans la pratique, docteurs et officinaux rappellent qu’ils se parlent au quotidien. « Attention aux usines à gaz, met en garde Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML). La démarche existe déjà dans les hôpitaux, sous la forme d’une conciliation médicamenteuse, mais c’est très compliqué, il faut que tout soit tracé. » Enfin, toutes les organisations de médecins sont d’accord : le principal obstacle, c’est encore et toujours le manque de temps. « Je ne suis, bien sûr, pas opposé à ce que l’on évalue la pertinence médicamenteuse, mais on ne peut plus se rajouter des réunions, alors qu’on a déjà du mal à voir tous nos patients », résume le Jérôme Marty.
À retenir
Dans le cadre des négociations conventionnelles, l’Assurance maladie demande aux médecins d’améliorer la pertinence des prescriptions et aux pharmaciens celle des délivrances.
La pertinence concerne notamment les antibiotiques, les benzodiazépines et la polymédication.
Plusieurs pistes évoquées par la Cnam et les syndicats médicaux impliquent une plus grande collaboration entre médecins et pharmaciens.
Si les pharmaciens y sont favorables, les médecins émettent des réserves sur un rôle élargi des officinaux en matière d’adaptation des traitements et de prescription d’antibiotiques.
Prescriptions d’antibiotiques en officine : top départ en mars
Prévue par l’article 52 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2024, la délivrance sans ordonnance d’un antibiotique pour une angine ou une cystite après un test rapide d’orientation diagnostique (Trod) devrait commencer dans les officines dès le mois de mars. Le sujet a été abordé le 11 janvier, lors de la première réunion thématique des négociations conventionnelles. « L’Assurance maladie parle de “bon de prise en charge” et non d’“ordonnance” comme si c’était un gros mot quand il s’agit du pharmacien, regrette Pierre-Olivier Variot. Nous allons pourtant définir l’éligibilité du patient avec un questionnement, un arbre décisionnel et un Trod. » Cette rencontre a également été l’occasion d’aborder la question de la transmission de l’information au médecin. « Il faut se simplifier la vie, autrement dit mettre l’information dans l’espace numérique de santé, ce que notre logiciel permet de faire facilement comme pour la vaccination, plaide le président de l’USPO. Mais, sauf risque particulier, il n’y a pas lieu de remplir encore un autre papier pour le médecin. » Quant au tarif, il n’a pas, pour l’heure, été défini. « Il faut le comparer au coût d’une prise en charge aux urgences ou en médecine de ville, explique Philippe Besset, président de la FSPF. On pourrait aussi prendre en compte l’économie engendrée à chaque fois qu’on a évité la délivrance d’un antibiotique grâce au Trod. »
Du côté des médecins, des ambivalences se font toujours entendre. « Ce n’est pas le métier du pharmacien, de même que la dispensation n’est pas mon métier, juge Franck Devulder, président de la CSMF. Nous aurions aimé que cette délivrance ne soit possible que sous réserve d’indisponibilité d’un médecin. » « Le risque est celui de la fragmentation des soins, prévient Margot Bayart, première vice-présidente de MG France. Quand une patiente souffre de cystites à répétition, il faut que le médecin soit au courant pour la prendre en charge correctement. »
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