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Enquête sur l’antibiorésistance : faites entrer le microbiote
De nombreux travaux sont actuellement menés afin de mieux comprendre les interactions entre le microbiote intestinal et l’acquisition comme la transmission de bactéries résistantes. Cette approche pourrait constituer l’une des pistes de recherche les plus prometteuses dans la lutte contre l’antibiorésistance.
« Jean Carlet, le président de l’Alliance mondiale contre le développement des bactéries multirésistantes, disait déjà au début des années 2000 que le microbiote intestinal était l’épicentre de l’antibiorésistance. Il avait raison car les bactéries à l’origine des résistances aux antibiotiques le colonisent d’abord avant de provoquer des infections, rappelle Etienne Ruppé, professeur de bactériologie à l’université Paris Cité, bactériologiste à l’hôpital Bichat-Claude-Bernard et chercheur à l’unité infection, antimicrobien, modélisation et évolution (Iame) de Paris. Certaines, comme Escherichia coli, le font de manière naturelle, d’autres de façon plus opportuniste et transitoire. C’est le cas des autres entérobactéries comme Klebsiella, des pseudomonas ou des acinetobacter. »
Si les travaux de recherche sur les interactions entre microbiote et antibiorésistance ont littéralement explosé au début des années 2010 avec l’avènement du séquençage à haut débit, les connaissances scientifiques en la matière restent limitées, reconnaît Lulla Opatowski, professeure en épidémiologie et modélisation à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines/Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et cheffe de groupe de l’unité épidémiologie et modélisation de la résistance aux antimicrobiens de l’Institut Pasteur à Paris. « Nous ne connaissons pas encore bien le rôle du microbiote intestinal dans l’acquisition et la transmission des bactéries résistantes, explique la chercheuse. Ce que l’on sait, c’est qu’il forme une véritable écologie composée de microbes qui interagissent sans doute entre eux, en compétition ou en synergie, et échangent du matériel génétique, dont des gènes résistants. Il peut donc jouer un rôle important dans l’émergence ou la sélection des résistances. Sa fonction écologique explique aussi sans doute pourquoi certains microbiotes protègent, quand d’autres sont plus à risque d’acquérir des bactéries résistantes. Ce que l’on sait aussi, c’est que la prise d’antibiotiques peut le perturber. Après un traitement, celui-ci retrouve un équilibre, qui peut ressembler à son équilibre initial ou être très différent. L’antibiothérapie est donc, elle aussi, susceptible de générer des microbiotes à risque d’acquérir des bactéries résistantes. »
Tous azimuts
Plusieurs axes d’investigations sont explorés. « La première piste consiste à rechercher dans l’écologie du microbiote tout ce qui pourrait le protéger comme alternative à une antibiothérapie, souligne Lulla Opatowski. Les greffes de flore sur des personnes ayant un microbiote à risque de Clostridium difficile constituent, par exemple, une solution efficace. Des travaux existent sur d’autres pathogènes, mais, à ma connaissance, nous n’en sommes qu’au stade de la recherche fondamentale. » « Des équipes mènent également des travaux pour savoir si certains antibiotiques seraient plus vertueux que d’autres en produisant moins de dégâts sur le microbiote, ajoute Etienne Ruppé. Mais sur cet axe, les choses ont un peu de mal à avancer car les résultats sont très hétérogènes. »
Un autre pan de la recherche vise à prévenir l’impact des antibiotiques sur le microbiote grâce à des probiotiques de nouvelle génération. « Da Volterra, une société française, a testé avec succès la prise de charbon actif à délivrance colique en même temps que l’administration d’un antibiotique, note Etienne Ruppé. Les essais ont montré que le charbon absorbait le résidu d’antibiotiques dans le colon et prévenait l’impact sur le microbiote. Le problème, c’est qu’il fallait en avaler de grandes quantités pour que cela fonctionne. Comme la société était à un point de rupture en termes de financement, elle a cessé ses activités durant la phase 3. » D’autres acteurs explorent des approches similaires. « Une société américaine, Synthetic Biologics, a développé une enzyme, une β-lactamase, elle aussi à délivrance intestinale, qui préserve l’effet barrière en dégradant les β-lactamines résiduelles lors d’une administration concomitante », précise Etienne Ruppé qui a, lui, beaucoup travaillé sur la résistance aux antibiotiques des bactéries anaérobies commensales, notamment celles produisant des β-lactamases. « Lorsque nous avons étudié leur mécanisme de résistance aux antibiotiques, nous nous sommes aperçus qu’elles en possédaient beaucoup mais que, contrairement aux bactéries pathogènes, elles avaient un effet protecteur pour l’ensemble de la communauté, confie le bactériologiste. Nous essayons donc de comprendre ces mécanismes, de qualifier et d’identifier les gènes de résistance qui codent pour les β-lactamases afin de voir celles qui protègent et celles qui ne le font pas. »
A l’Institut Pasteur, Lulla Opatowski planche, elle, sur les facteurs de risque d’acquisition et de transmission de bactéries résistantes dans le microbiote. « Nous analysons actuellement, dans le cadre des projets Micromod et i-Bird, des données de suivi longitudinal de patients et de leur acquisition potentielle en portage de staphylocoques dorés résistants à la méticilline ou d’entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre étendu (BLSE), confie l’épidémiologiste. Nous recherchons dans la composition de leur microbiote et dans leur évolution temporelle des caractéristiques qui augmenteraient ou réduiraient le risque d’acquisition de la bactérie résistante en cas de contact avec un individu porteur, ou de compositions qui feraient que certaines pourraient être potentiellement plus transmetteuses. Nous étudions également l’impact de la prise d’antibiotique sur le microbiote et sa dynamique afin de voir s’il constitue un facteur d’acquisition des bactéries résistantes. »
Des premiers résultats prometteurs
Ce que suggèrent certains des premiers résultats publiés dans eLife, c’est que le rôle du microbiote dépend certainement beaucoup des espèces. « Dans nos modèles théoriques sur des bactéries comme Clostridium difficile, les entérobactéries ou Escherichia coli, il semble jouer un rôle actif dans la dissémination et la résistance alors que, pour d’autres espèces comme le staphylocoque doré, celui-ci paraît moins important », dévoile Lulla Opatowski. Pour cette chercheuse, tous les travaux menés actuellement sur les interactions entre microbiote et antibiorésistance sont plein de promesses. « Dans un contexte où les perspectives de nouveaux antibiotiques restent assez limitées, si l’on arrive à mieux comprendre le rôle du microbiote dans l’acquisition des bactéries résistantes, cela ouvrira la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques qui cibleront spécifiquement le microbiote et la composition des espèces qui le constituent. » « Grâce à nos connaissances sur le microbiote, nous arriverons un jour à contrôler sa colonisation par les bactéries multirésistantes, ajoute Etienne Ruppé. Nous serons alors capables d’éradiquer ou de conserver ces bactéries à très basse concentration, ce qui réduira le risque de transmission et d’infection. Nous aurons aussi à notre disposition de nouvelles armes pour lutter contre l’antibiorésistance. »
De nouvelles armes qui mettront du temps avant d’arriver sur le marché. « Plus les recherches avancent, plus on se rend compte de la complexité du défi qui nous attend, souligne Etienne Ruppé. Le microbiote est extrêmement variable en fonction des individus. On peut donc craindre que les probiotiques de nouvelle génération fonctionnent bien chez certains, et pas ou mal chez d’autres. Tous ces travaux touchent du doigt le concept de médecine personnalisée qui impliquera de passer en revue des données hypercomplexes pour chaque patient avant de décider quel probiotique lui administrer. » Mais le chercheur se veut optimiste. « En 2030 ou 2040, nous diposerons de tests de microbiote qui fonctionneront, contrairement à ceux qui sont pratiqués aujourd’hui, pronostique-t-il. Des médecins spécialisés en microbiote seront capables de déterminer un diagnostic et de prescrire en préventif ou en curatif le cocktail de souches adapté à un patient en réanimation, sous antibiotique ou sous chimiothérapie. Cocktails que les pharmaciens prépareront et délivreront aussi dans les officines. Mais avant d’en arriver là, il faudra régler la question du prix et de la régulation de ces probiotiques, car aujourd’hui la préservation du microbiote n’est pas un critère de jugement pour les agences du médicament », conclut Etienne Ruppé.
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