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Exercer en centre commercial, entre rêve et cauchemar

Publié le 21 octobre 2017 | modifié le 24 janvier 2025
Par Francois Pouzaud
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Trafic important, chiffre d’affaires élevé, facilités de parking, sécurité… L’installation en centre commercial ou à proximité a toujours la cote auprès des pharmaciens, même à prix d’or. Mais la réussite à coup sûr n’est pas garantie. Certains pharmaciens, victimes de travaux d’extension ou de rénovation du centre, déchantent. Visite en région parisienne.

Les pharmacies de centre commercial font figure de locomotives. Année après année, elles affichent les chiffres d’affaire les plus élevés, les meilleures progressions d’activité en raison de leur moindre dépendance au médicament remboursable et de leur flux de clientèle. Leur dynamisme tient aussi à l’offre de chalandise et de nouveaux logements qui s’est déplacée progressivement du centre-ville vers la périphérie des zones urbaines.

Pour ces principales raisons, les pharmacies de centre commercial sont toujours très recherchées par les acquéreurs. « Mais si l’installation en centre commercial minimise les risques d’échec, le pharmacien ne s’assure pas pour autant les clés de la réussite, avertit Michel Watrelos, expert-comptable du cabinet Conseils et Auditeurs Associés. Avant une opération d’achat ou de transfert, il faut étudier soigneusement les avantages et les inconvénients d’une telle implantation. »

Des avantages contrebalancés par une série d’inconvénients, à commencer par le montant du loyer chargé, souvent colossal. « Il peut être compris entre 5 et 10 % du CA HT », signale Gontran Thüring, délégué général du conseil national des centres commerciaux (CNCC). Et de donner un ordre de grandeur : de 200 à 400 euros par mètre carrée et par an pour une galerie de vingt boutiques, contre trois à quatre fois plus dans une galerie de plus de quatre-vingts magasins.

En plus du loyer et parfois d’un droit d’entrée à l’installation de plusieurs centaines de milliers d’euros (notamment à l’ouverture du centre), les pharmacies de centre commercial supportent des frais de personnel élevés en raison de l’amplitude horaire, des charges supplémentaires liées à l’entretien des parties communes et à la sécurité, une contribution à un fonds marketing pour que le centre communique auprès du grand public… Ces frais de fonctionnement impactent leur rentabilité et le résultat d’exercice qui se situent régulièrement en deçà des moyennes nationales.

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La fin de l’âge d’or

Ces pharmacies assurent leur bonne santé financière par les volumes et la fréquentation. Cependant, la donne a changé depuis plusieurs années. Avec une densité de 27 cm² par habitant, la France se situe dans la moyenne européenne (source : CNCC). Mais tous ces lieux de vie ne possèdent pas la même force d’attractivité sur le consommateur que les plus grands centres parisiens, tels que le Forum des Halles ou Les quatre temps à La Défense. « Avec l’explosion des valeurs locatives, le taux de vacance dans les galeries marchandes augmente », constate Laurent Martignon, avocat du cabinet Hittinger-Roux, citant plusieurs exemples franciliens où les centres commerciaux sont à la peine : Okabé au Kremlin Bicètre, Le Millénaire à Aubervilliers, Aéroville à Tremblay-en-France, So Ouest à Levallois-Perret… Avec le regain d’intérêt des Français pour le commerce de proximité et la concurrence du commerce électronique, « l’âge d’or des créations de nouveaux centres commerciaux est derrière nous, leur montée en régime est beaucoup plus lente que dans les années 70-80 », confie Gontran Thüring.

Ce constat vaut également pour les centres plus anciens qui, malgré leur extension ou leur rénovation, n’assurent aucunement l’augmentation de la fréquentation et de l’activité des magasins déjà implantés… alors que les loyers s’envolent, se déconnectant de la commercialité du point de vente.

Travaux meurtriers

Ainsi, exercer dans la galerie d’un hypermarché ou d’un centre commercial important d’une grande métropole peut fait rêver mais peut aussi tourner au cauchemar. Installé au niveau - 3 du centre commercial du Forum des Halles à Paris, Georges Saint-Pastou a payé un très lourd tribut en termes de pertes d’exploitation liées au chantier titanesque de près de six ans de la nouvelle Canopée des Halles. L’accès à sa pharmacie a été sérieusement et longuement entravé par les travaux. Pendant plusieurs années, ce pharmacien septuagénaire a subi un calvaire : chute de la fréquentation, dégringolade du CA, licenciements contraints, réclamations de loyers impayés, et même fermeture de l’officine pendant plusieurs mois en 2015. Comme pour d’autres commerçants lésés, ses démarches devant une commission de recours amiable pour obtenir des dédommagements resteront vaines, de même que devant le tribunal administratif, au motif que l’accès du centre n’a jamais été coupé. « La commission ne disposait d’aucune enveloppe budgétaire, la ville de Paris et le bailleur se renvoyant la balle chaque fois qu’une indemnisation était demandée, au final, moins de 1 % des commerçants ont été indemnisés. Et les montants étaient bien inférieurs à ce qui avait été demandé », explique Laurent Martignon, également avocat de commerçants du Forum. Le contentieux prend alors une autre tournure. « Nous avons lancé une machine de guerre avec visites d’experts sur place, mené un combat sur le front médiatique et fini par trouver un accord transactionnel avec le bailleur. » Aujourd’hui, la pharmacie des Halles retrouve progressivement des conditions normales d’exploitation. Autre exemple, au centre commercial Grand Plaisir, dans les Yvelines, Chantal Giraudeau-Lureau est dans l’impasse. La vétuste galerie commerciale des Sablons est démolie depuis début août et laissera place en 2019 à un centre commercial réalisé en partie à ciel ouvert et regroupant 30 000 m2 de surface commerciale. « J’ai été mise à la porte par huissier depuis un an et les indemnités d’éviction que le bailleur me proposait ne remboursaient même pas mon emprunt. » Révoltée contre la profession qui, dit-elle, n’a rien fait pour l’aider à s’en sortir, la titulaire a tout de même trouvé un local à la même adresse pour accueillir son officine. Mais elle a tourné définitivement la page. Une fois les travaux terminés, elle ne réintégrera pas le nouveau centre commercial, malgré la promesse d’un nouveau local par le bailleur.

« Les baux commerciaux du Forum des Halles à Paris, ce sont 80 pages remplis de pièges », exagère à peine Laurent Martignon, avocat. Parmi ceux les plus fréquents : des « baux déplafonnés». « Même avec des durées de 9 ans, les baux de centres commerciaux excluent de façon sournoise le principe du plafonnement en précisant qu’au renouvellement, le loyer sera révisé à sa valeur locative », avertit Annie Cohen Wacrenier, avocat du cabinet ACW Conseil. Tout aussi redoutables, la révision du loyer indexée sur l’évolution du CA et la clause de préemption en cas de vente de l’officine… « Lors de travaux d’agencement, le bailleur peut imposer au pharmacien des normes de construction, des matériaux à utiliser, de passer par son architecte et,  en cas de cession, une clause de non concurrence lui interdisant de se réinstaller à proximité du centre commercial », ajoute-t-elle, en rapportant un cas vécu.

•  Les pharmacies de centres commerciaux affichent les meilleures progressions d’activité, en raison d’une moindre dépendance aux médicaments remboursables.

•  Le droit d’entrée, le loyer et les frais de fonctionnement pénalisent fortement la rentabilité.

•  Les officines peuvent subir une force d’attractivité amoindrie, voire quasi inexistante en cas de travaux.

Le montant des loyers chargés peut être compris entre 5 et 10 % du CA HT de l’officine, dans un centre commercial.
Nikada Getty Images