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Médecin, infirmier, phar m acien : chacun a sa place

Publié le 10 mars 2017
Par Magali Clausener
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Interlocuteurs complémentaires et indispensables, spécialistes du médicament. Voilà la perception que les médecins et les infirmiers ont à l’égard des pharmaciens. Sans occulter les vives critiques qui émergent parfois.

Au quotidien, le pharmacien est, après l’infirmière, le deuxième interlocuteur du médecin, déclare d’emblée Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF). C’est le premier contact des Français avec les services de soins car ils peuvent pousser facilement la porte de la pharmacie. » Même discours chez les infirmiers : « Avec le médecin, le pharmacien est un interlocuteur de santé privilégié. C’est un soutien précieux pour nous, notamment dans le cadre du maintien à domicile. Nos rôles sont complémentaires », explique Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL).

Une relation axée sur les prescriptions

Qui a dit que les uns et les autres s’entendaient comme chien et chat ? Si les relations avec les pharmaciens dépendent des personnalités de chacun, n’en déplaise à certains, elles sont généralement bonnes voire excellentes. Et clairement axées sur les prescriptions. Les médecins et les infirmières interrogés mettent d’ailleurs en exergue le fait que le pharmacien est le spécialiste du médicament. Analyse de l’ordonnance, repérage d’interactions, de contre-indications ou d’erreurs éventuelles sur la prescription, communiquer avec le médecin pour demander des précisions, des conseils, l’iatrogénie… « C’est le cœur de l’expertise du pharmacien et c’est important pour le médecin de savoir que le pharmacien va analyser son ordonnance », insiste Jean-Paul Ortiz. Et pouvoir appeler le pharmacien pour lui demander des informations sur d’éventuelles interactions ou un nouveau médicament est tout aussi important. « C’est une ressource », affirme même Béatrice Martin, infirmière à Aubusson (Creuse).

En revanche, lorsque l’on aborde la possibilité que le pharmacien ait de nouvelles missions, le propos est beaucoup plus nuancé. En matière de prévention et de promotion de la santé publique, le pharmacien a toute sa place. « Dans nos cabinets médicaux, nous sommes très pris par les soins et nous n’avons pas toujours le temps de faire de la prévention. De plus, les officinaux voient ceux que nous ne voyons pas dans nos cabinets », estime Eric Henry, médecin généraliste à Auray (Morbihan) et ancien président du Syndicat des médecins libéraux (SML). Mais l’enthousiasme baisse d’un cran avec le dépistage de certaines pathologies, comme le diabète ou l’hypertension artérielle qui suscite diverses réactions. « Il ne faut pas un dépistage sauvage qui amènerait des personnes à consulter sans raison », juge Claude Leicher, président de MG France. « Le dépistage systématique n’est pas bénéfique, mais c’est le rôle du pharmacien d’orienter le patient vers le médecin en fonction des symptômes », nuance Eve-Marie Cabaret, infirmière dans le centre de la France. « Pourquoi le pharmacien ne pourrait-il pas dépister le diabète ? Il ne doit cependant pas se substituer au médecin, mais renvoyer les personnes vers lui », pense Evelyne Chartier, médecin généraliste à Clermont-Ferrand. Quant aux entretiens pharmaceutiques, ils ne sont pas toujours bien connus des autres professionnels de santé. Loin s’en faut.

La vaccination en question

Et la vaccination par les pharmaciens ? Médecins et infirmières sont unanimes : cela n’est pas du ressort des officinaux. Et peut-être pour s’en convaincre, les professionnels interrogés signalent que les pharmaciens avec lesquels ils travaillent ne sont pas séduits par ce genre de nouvelle mission. Beaucoup soulèvent aussi le manque d’espace de confidentialité dans les officines. « Ce n’est pas ainsi qu’on va réussir à étendre la couverture vaccinale. Le problème n’est pas de trouver des professionnels pour vacciner mais de convaincre les patients de se faire vacciner. Celui qui ne veut pas se faire vacciner n’entrera pas dans une officine », tranche Béatrice Martin. En fait, tous déplorent que la décision ait été prise « à Paris », sans concertation en amont avec les médecins et les infirmières. Pourtant, la vaccination par les pharmaciens pourrait être une solution dans des cas bien précis de désert médical. « Ce n’est pas aux politiques de décider de changer les contours d’une profession. Les médecins savent très bien que leur métier va évoluer. La modification des contours des exercices doit se construire entre professionnels de santé, en examinant les conséquences pour le patient, en matière de responsabilité des professionnels et en termes financiers », remarque Jean-Paul Ortiz. Médecins et infirmières regrettent qu’il n’y ait pas de lieux d’échanges et de dialogue entre professionnels de santé dans les territoires, en-dehors des URPS (Union régionale des professionnels de santé). Reste que tous insistent sur le même point : chaque professionnel a sa place. Et doit rester à sa place.

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REGARDS CROISÉS


CLAUDE LEICHER, PRÉSIDENT DE MG FRANCE

Claude Leicher, président de MG France
« Pour assurer la sécurité de la délivrance, la personne qualitative est le pharmacien. Il faut mettre en place une responsabilité partagée entre le prescripteur et le pharmacien par des protocoles et des procédures. Ils concerneraient notamment les médicaments de la réserve hospitalière ou les molécules comme le valproate de sodium avec, dans ce cas, une responsabilité conjointe entre le médecin, le pharmacien et le biologiste. A l’hôpital, le pharmacien a un rôle croissant. Il doit en être de même en ville. »


CATHERINE KIRNIDIS, PRÉSIDENTE DU SNIIL

Catherine Kirnidis, présidente du SNIIL
« C’est vrai que les entretiens pharmaceutiques des patients sous anticoagulants nous agacent, mais nous avons conscience que le pharmacien voit 100 % de la population, ce qui n’est pas notre cas. Le pharmacien doit se positionner en conseil de 1er recours et sur les prescriptions. Quand nous voyons chez certains patients des stocks de médicaments, dix boîtes de Previscan ou d’antalgiques, forcément, on s’interroge. C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de coordination et d’efficience pour l’utilisation des médicaments. »


EVE-MARIE CABARET, INFIRMIÈRE LIBÉRALE (LOIRET)

Eve-Marie Cabaret, infirmière libérale (Loiret)
« La première mission du pharmacien, c’est la vérification des interactions médicamenteuses. Son rôle est aussi primordial en matière d’iatrogénie. Cela rejoint l’objectif des entretiens pharmaceutiques qu’on pourrait étendre à d’autres traitements : antidiabétiques, antihypertenseurs, somnifères… Je pense que le pharmacien pourrait aussi adapter la posologie de certains médicaments comme Seroplex ou certaines classes d’antalgiques. »


CATHERINE DIAMANTIDIS, INFIRMIÈRE LIBÉRALE (RHÔNE)

Catherine Diamantidis, infirmière libérale (Rhône)
« Les pharmaciens nous aident beaucoup en nous relayant des informations et en nous signalant des surconsommations de médicaments. En matière d’anticoagulants, les missions doivent être précises car les médecins nous laissent le rôle de l’ajustement des posologies, et nous suivons les INR. »


PATRICK JACQUET, MÉDECIN ORL (INDRE-ET-LOIRE)

Patrick Jacquet, médecin ORL (Indre-et-Loire)
« Dans ma spécialité, le problème est que les pharmaciens ne réalisent plus de préparations. Et ce qui me gêne aussi, ce sont les conseils donnés par certains officinaux pour vendre leurs produits. Les pharmaciens devraient se recentrer sur l’aspect « médicament », avec un espace de confidentialité et des conseils en matière de prévention. »


THIERRY LABARTHE, MÉDECIN GÉNÉRALISTE (ILLE-ET-VILAINE)

Thierry Labarthe, médecin généraliste (Ille-et-Vilaine)
« En tant que président d’une association interprofessionnelle, je pense que le binôme médecin-pharmacien est essentiel en matière d’iatrogénie et d’observance. Les entretiens pharmaceutiques, permettent de répéter aux patients les informations délivrées par le médecin de façon succincte. Le pharmacien a une légitimité pour tout ce qui relève du médicament, du bon usage et de la bonne utilisation des dispositifs médicaux. En matière de prévention, tous les acteurs doivent être impliqués dans le dépistage de l’obésité, le tabagisme, la contraception. »


JEAN-FRANÇOIS LE PODER, CARDIOLOGUE (MORBIHAN)

Jean-François Le Poder, cardiologue (Morbihan)
« Les temps ont changé. Avec la carence médicale, le pharmacien peut entrer plus facilement dans le jeu, mais chacun doit rester à sa place. Le rôle du pharmacien est de délivrer les médicaments et de conseiller les patients. Sur les génériques, le pharmacien doit être vigilant pour que les patients ne se trompent pas entre leurs boîtes. »


BÉNÉDICTE VERMOOTE, MÉDECIN GÉNÉRALISTE (NORD)

Bénédicte Vermoote, médecin généraliste (Nord)
« Le problème, c’est que les pharmaciens font un peu de médecine et nous un peu de pharmacie, mais ils ne sont pas bons médecins et nous ne sommes pas bons pharmaciens. Les pharmaciens ne sont pas des soignants. Pour la prescription ou non de génériques, nous prenons en compte la psychologie des patients. Les pharmaciens doivent comprendre cette dimension humaine dans nos ordonnances. »


MARIE ALÉOS-GUÉGAN, DERMATOLOGUE (MORBIHAN)

Marie Aléos-Guégan, dermatologue (Morbihan)
« Les relations avec les pharmaciens sont parfois difficiles. Par exemple, lorsqu’ils ne délivrent pas les pansements hydrocolloïdes que je prescris. Selon moi, ils orientent souvent les personnes vers les produits les plus chers. »


FLORENCE BOURGUIGNON, GYNÉCOLOGUE (MORBIHAN)

Florence Bourguignon, gynécologue (Morbihan)
« Les pharmaciens pourraient avoir un rôle de conseil plus grand en matière de contraception et de contraception d’urgence. Ils ont tendance à délivrer toujours la même pilule du lendemain, qui n’est pas la plus efficace dans certains cas. Lors d’un oubli de pilule, ils n’apportent pas toujours la bonne réponse. Une formation pourrait les rendre plus compétents. »


BÉATRICE MARTIN, INFIRMIÈRE LIBÉRALE (CREUSE)

Béatrice Martin, infirmière libérale (Creuse)
« Le pharmacien pourrait jouer un plus grand rôle en matière de prescription. Il pourrait avoir le droit de prescrire certains médicaments car il a un œil plus averti que le médecin. Quant à la prévention, elle est insuffisante de manière générale. Mais il faut voir quel type de prévention peut être mise en place selon les professions. »


EVELYNE CHARTIER, MÉDECIN GÉNÉRALISTE (PUY-DE-DÔME)

Evelyne Chartier, médecin généraliste (Puy-de-Dôme)
« En matière de prévention, de dépistage et de conseil, la limite de l’exercice pour le pharmacien, c’est la vente. Le pharmacien peut jouer un rôle dans le sevrage tabagique, par exemple, mais cela ne doit pas déboucher systématiquement sur une délivrance de produits. Dans le même temps, je préfère que le pharmacien donne des conseils et vende des médicaments d’automédication, plutôt que le patient puisse les acheter dans les grandes surfaces. »


ERIC HENRY, MÉDECIN GÉNÉRALISTE (MORBIHAN)

Eric Henry, médecin généraliste (Morbihan)
« Je trouve que les pharmaciens ont perdu leur aura, leur « couleur » scientifique, car ils centrent leur valeur sur la vente des médicaments non remboursés et la parapharmacie. Ils perdent de leur crédibilité et pourtant, ils ont un rôle à jouer en matière de prévention et dépistage. En pharmacovigilance aussi, car nous n’avons pas le temps et ce n’est pas notre cœur de métier. Dans l’organisation de demain, chacun doit avoir sa place sans pour autant déshabiller Paul pour habiller Jacques. »