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Investir dans une pharmacie

Publié le 11 janvier 2018 | modifié le 31 décembre 2024
Par Francois Pouzaud
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Un pharmacien titulaire peut prendre des participations comme associé investisseur dans une SEL de pharmacie, dans le but d’installer un jeune diplômé qui, sans son concours financier, n’aurait jamais pu l’acquérir seul. L’intérêt pour l’investisseur ? Il développe de la croissance externe, avec l’espoir de réaliser une opération patrimoniale intéressante à long terme avec une plus-value sur la revente des parts ou du fonds.

QUELLE PHARMACIE CIBLER ?

L’objectif de l’investisseur peut être d’investir dans une pharmacie proche de la sienne afin de contrôler la concurrence dans sa zone de chalandise… et d’éviter qu’elle ne tombe dans les mains d’un repreneur plus dynamique que le cédant. De plus, il peut s’instaurer une vraie dynamique de groupe entre les deux officines si elles sont complémentaires en termes d’offres et de spécialisations. Et rien n’empêche par la suite de regrouper ces officines.
Si la pharmacie est située dans un quartier plus éloigné ou une autre ville, l’investisseur a plutôt intérêt à jeter son dévolu sur une officine petite ou moyenne présentant un fort potentiel de développement.

QUEL JEUNE INSTALLER ?

Très souvent, le jeune à installer a été l’adjoint de l’investisseur. Cette formule présente de nombreux avantages. Pour l’investisseur, c’est une façon de remercier un adjoint de qualité qu’il connaît bien et de son implication en tant que collaborateur. En outre, ce titulaire lui a transmis des méthodes de travail, des compétences en gestion et en management…
L’investisseur peut également être intéressé par un adjoint qu’il ne connaît pas dans un projet de reprise avec un partenaire financier de la pharmacie où il travaille. En effet, connaissant l’officine de l’intérieur, son environnement et la patientèle, l’adjoint possède une solide appréciation de l’outil et de son potentiel.

COMMENT TROUVER UN ADJOINT À INSTALLER ?

Les investisseurs peuvent se rapprocher de tous les partenaires de l’officine : cabinets de transactions, experts comptables, répartiteurs…
Le jeune peut également être présenté par un groupement à un investisseur membre du réseau. Plusieurs enseignes (Giphar, Leader Santé, Giropharm…) organisent des « speed meeting » ou ont mis au point un service global d’accompagnement dont l’objectif est de faire se rencontrer adjoints et adhérents, associés investisseurs potentiels. Le jeune s’installe, moyennant, bien sûr, son adhésion au groupement ou à l’enseigne.

QUELS APPORTS DE L’ASSOCIÉ INVESTISSEUR ?

Il ne se contente pas seulement d’apporter des capitaux, voire de se porter caution. Son soutien doit aider le jeune titulaire à acquérir les bases d’une bonne gestion, par exemple en le guidant dans ses référencements et commandes afin de ne pas surcharger les stocks et la trésorerie. Il peut aussi le conseiller dans sa politique de prix, lui faire partager ses expériences professionnelles. Si les deux officines sont proches, il sera également possible de mutualiser les achats.

RACHAT DE FONDS OU DE PARTS ?

En pratique, les associés rachètent soit un fonds (ils constituent une SEL pour l’occasion), soit des titres d’une SEL qui accueille déjà un fonds. L’exploitant aura vraisemblablement intérêt à interposer une SPF-PL entre lui et la SEL cible.

EN CAS D’ACHAT DE FONDS

L’emprunt est souscrit par la SEL nouvelle. Les résultats futurs de la société permettront de le rembourser.
La banque peut nantir le fonds de commerce pour garantir le remboursement de l’emprunt.
Si la société a la capacité de remonter des dividendes, ils ne seront pas taxés (ou quasiment pas) dans la SPF-PL, ce qui permettra à l’exploitant de se constituer un certain pécule pour investir dans une autre SEL ou préparer le rachat futur des titres détenus par l’investisseur.
En cas de cession de titres de la SEL, la plus-value n’est quasiment pas taxée au niveau de la SPF-PL, alors qu’en l’absence de SPF-PL, la plus-value serait taxée à l’IRPP (impôt sur les revenus des personnes physiques).

EN CAS D’ACHAT DE TITRES DE LA SEL

Ceux-ci sont acquis par la SPF-PL qui portera l’emprunt. Cette formule présente des avantages et des inconvénients :
– les droits d’enregistrement sont de 3 % sur la valeur des titres rachetés, au lieu de 5 % en cas de rachat de fonds, et sont mêmes quasi inexistants lorsqu’il s’agit d’une SELAS,
– l’emprunt est souscrit par la SPF-PL et non par la personne physique en direct, de sorte que les remontées de dividendes de la SEL ne seront pas taxées en pratique. De même, les plus-values sur cession des titres de la SEL par la SPF-PL ne sont quasiment pas taxées,
– les garanties bancaires sont plus compliquées à mettre en œuvre, car la banque prête à la SPF-PL et ne peut nantir le fonds détenu par la SEL fille. 

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DEUX RÉMUNÉRATIONS POSSIBLES

L’investisseur et l’exploitant entendent bénéficier d’un retour sur leurs investissements. Il importe donc de définir les modalités pratiques de la rémunération.
La rémunération du travail, mensuelle ou annuelle, rémunère l’implication quotidienne de l’associé exploitant, titulaire de l’officine.
La rémunération du capital est annuelle et différée, en fonction des bénéfices résultant de l’arrêté des comptes. Une partie des résultats peut être distribuée sous forme de dividendes. Leur répartition est proportionnelle aux droits sociaux détenus par chacun des associés. Normalement, la société distribue des dividendes quand, par exemple, il n’y a plus d’emprunt et/ou que la trésorerie nécessaire à l’exploitation est largement excédentaire.
S’il n’y a pas de dividendes et que les résultats sont employés aux remboursements des emprunts, pour conforter la trésorerie ou investir, la société prend de la valeur. La rémunération du capital sera alors perçue de manière différée, à l’occasion de dividendes ou de la cession de titres ultérieurs.

LES DIFFÉRENTES ÉTAPES

Les associés définissent dès le départ, dans le règlement intérieur, les conditions de rémunérations du travail et du capital. Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet Adequa, recommande d’adopter une démarche en trois étapes, à adapter au cas par cas, pour rémunérer à sa juste valeur la contribution de tous les associés, que ce soit par leur travail ou par les capitaux qu’ils ont apportés :
– définir une rémunération fixe annuelle pour le titulaire,
– prévoir une rémunération complémentaire annuelle, versée éventuellement au titulaire si les résultats dépassent un certain objectif. Elle sera calculée en fonction de la rentabilité de l’entreprise (de la performance commerciale et de gestion ou de l’EBE, par exemple). C’est la partie variable de la rémunération du titulaire,
– si la situation de la trésorerie est bonne, il pourra être envisagé une distribution de dividendes.

LA RENTABILITÉ DES CAPITAUX INVESTIS

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Prendre une participation dans une SEL en tant qu’associé investisseur est le moyen de « réinvestir » ses économies avec un taux de rendement qui sera bien meilleur que les autres placements traditionnels. « Le taux de rendement dépendra principalement de la valeur de la société à la sortie – intégrant la valeur actualisée du fonds, le niveau d’endettement, la trésorerie, les stocks et autres dettes et créances d’exploitation –, et des dividendes qui auront été versés entre temps », expose Olivier Delétoille.
Même en cas de baisse de la valeur du fonds de commerce, l’investisseur peut espérer un taux de rendement honorable du simple fait du désendettement de la société.
Si l’associé investisseur sort au bout de 6 ans, le taux de rendement est moindre (notamment en raison des frais d’installation supportés dès la première année). Si l’affaire est prospère, plus la durée de détention de l’investisseur est longue, meilleure est la rentabilité des capitaux investis. 

Les associés doivent définir les conditions financières de la sortie de l’associé investisseur et dans quelle perspective.

DANS QUEL DÉLAI ?

Il peut être prévu une date précise mais ce n’est pas vraiment obligatoire.

A QUEL PRIX ?

« Cette question est en pratique largement éludée ou bâclée au moment du montage du dossier parce que, évidemment, elle est technique », remarque Olivier Delétoille. Cet expert-comptable relève parfois dans les accords préalables des mentions manifestement peu réfléchies ou insuffisamment précises telles que : « “D’accord entre les parties, la valeur des parts sera fixée en fonction de la moyenne des prix de cession des officines de pharmacie sur le département, par référence au chiffre d’affaires, sous déduction d’un abattement de 10 % ”. Cette rédaction ne tient pas compte d’événements récents ou des paramètres liés à l’évolution de l’environnement microéconomique (ouverture d’un cabinet médical à proximité par exemple) et macroéconomique (évolution de l’économie de l’officine en général). »

ET S’IL Y A MÉSENTENTE SUR LE PRIX ?

Dans les pactes d’associés, il est parfois mentionné que « si les parties ne s’accordent pas sur la valeur, la pharmacie ou les titres de la SEL seront mis en vente sur le marché ». Cette rédaction ne tient pas compte du fait que les associés ne sont pas dans la même situation : pour l’exploitant, il s’agit de son outil de travail alors que l’investisseur, lui, veut se rémunérer pour les risques qu’il a consentis.
Aussi, la question de la valorisation du fonds (et de la société) peut être soumise à un tribunal arbitral à défaut d’accord entre les parties sur le prix. Chaque partie désigne son expert. Les deux experts en désignent un troisième. Tous les trois vont se pencher sur la question et fixer une valeur, après avoir recueillie les positions techniques des uns et des autres. Cette évaluation s’impose aux parties. Elle génère des honoraires d’expertise, certes (entre 15 et 20 k€), mais elle permet d’écarter les contentieux, notamment judiciaires, lents, lourds et bien plus onéreux.

COMMENT FINANCER LA SORTIE DE L’INVESTISSEUR ?

Pour la sortie, les solutions mises en œuvre dépendront des attentes de l’associé exploitant, de ses finances et de celles de la SEL :
– l’exploitant peut racheter les titres de l’investisseur (via une SPF-PL qui souscrit les financements) ou la SEL rachète elle-même les titres de l’associé investisseur (par réduction de capital et la SEL souscrit l’emprunt pour financer l’opération),
– l’investisseur peut céder à un autre exploitant, et la pharmacie sera cogérée par deux titulaires, ou à un autre investisseur,
– tous les associés, investisseurs et exploitants, cèdent en même temps la SEL. 
franck l’hermitte

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Règlement intérieur et pacte d’associés
Il est important de fixer les règles de fonctionnement de la société entre les associés exploitants et investisseurs, de prévoir les modalités de cession des participations et d’anticiper les conflits par des mécanismes de sortie. « L’important est de trouver un juste équilibre entre les droits et les obligations de chacun des associés. Si cet équilibre ne peut être trouvé, il devra être mis fin à ce projet d’association sans dommages collatéraux », expose Annie Cohen-Wacrenier, avocate au cabinet ACW Conseil.
Le règlement intérieur est destiné à régir les relations entre associés dans le fonctionnement quotidien de l’officine. Le pacte d’associés, quant à lui, définit les conventions spécifiques entre les associés. « Il a pour vocation de gérer les périodes conflictuelles qui se nourrissent des rancœurs et ne sont jamais bonnes conseillères. Une fois la mésentente installée, il est trop tard pour définir des règles de sortie de l’association et aucune issue autre que judiciaire n’est envisageable », précise cette avocat.

CLAUSES À FAIRE FIGURER DANS UN RÈGLEMENT INTÉRIEUR

Désignation des dirigeants. Seuls les associés qui engagent leur diplôme peuvent être désignés dirigeant de la société :
– temps de travail de l’associé professionnel exploitant,
–amplitude horaire de l’officine,
–gardes.
Les absences. Congés annuels, congé maladie, modalités de remplacement, rémunération de l’associé malade. « En cas de maternité, il faut discuter de la rémunération et du nombre de jours d’absence car le droit du travail ne s’applique pas », met-en garde Séverine Dehaes, avocate du cabinet Pharmadvis.
Rémunération, et s’il y a lieu prise en charge par la SEL des cotisations obligatoires et facultatives de l’associé exploitant ; un complément de rémunération variable peut être envisagé. « Une rémunération fixée sur une durée minimale de travail peut permettre d’éviter les excès », conseille-t-elle.
Réunions entre associés – droit d’information de l’associé extérieur. Un équilibre est à trouver entre l’indépendance du professionnel exploitant et l’associé extérieur qui, en général, réalise des investissements financiers importants et est caution auprès des établissements financiers. « Il faut mettre en place une transmission des données importantes de la pharmacie par le titulaire à l’investisseur, programmer des réunions entre associés (thème et périodicité à fixer) pour discuter de l’évolution de la pharmacie, sans attendre la réunion annuelle d’approbation des comptes », préconise Séverine Dehaes.
Décisions à caractère professionnel. En principe, elles relèvent de la seule compétence de l’associé exploitant.
Décisions à caractère administratif et financier. Il peut être prévu que certaines décisions, en ce qu’elles engagent la société sur le plan financier, ne peuvent être prises que moyennant une majorité renforcée, permettant ainsi à l’associé non exploitant de garder le contrôle sur ses décisions.
Embauche de personnel supplémentaire. Les associés devront parfois embaucher un pharmacien supplémentaire en raison du chiffre d’affaires de l’officine. En outre, des mécanismes de contrôle sur les frais liés à la masse salariale peuvent être prévus.

CLAUSES À FAIRE FIGURER DANS UN PACTE D’ASSOCIÉS

L’associé non exploitant n’est pas supposé avoir une quelconque activité dans l’officine dans laquelle il détient une participation. « La loi lui interdit même de mettre ne serait-ce que le pied dans l’officine, souligne Annie Cohen-Wacrenier. De la même façon, la loi limite les apports en comptes courants (une fois sa participation pour l’associé non exploitant, trois fois sa participation pour l’associé exploitant), de sorte que les choses pourraient être claires : l’exploitant exploite et l’investisseur investit. Mais la pratique des affaires révèle d’autres usages dont il faut tenir compte et qui, précisément, peuvent être envisagés dans le pacte d’associés. »
Comptes courants d’associés. Les sommes éventuellement mises à disposition de la société par l’un des associés sont inscrites au passif du bilan comme étant une dette de la société à l’égard de l’un des associés. Il se peut que, soit lors de la création de la société, soit pendant son exploitation, l’un des associés apporte plus d’argent qu’un autre ; il pourra donc être prévu que les comptes courants des associés ne pourront être remboursés que lorsqu’ils seront de montants équivalents. Ces sommes peuvent également produire des intérêts.
Obligation de cession et valorisation des participations. Les associés peuvent convenir dès le départ que l’associé extérieur s’oblige à céder tout ou partie de sa participation à l’associé exploitant afin, qu’à terme, il détienne la quasi-totalité du capital social de la société. Un calendrier des cessions pourra donc être fixé ; de même, il est impératif de fixer la méthode de valorisation, afin que l’associé exploitant ne paie que le juste prix, qui tiendra nécessairement compte de la valeur ajoutée de son travail.
Droit de préemption. Chaque associé disposera d’un droit prioritaire d’acquérir les parts de son associé.
Mécanismes de gestion des crises. Il n’est pas possible de contraindre un associé à céder sa participation s’il ne veut pas le faire. Dès lors, il faut envisager un mécanisme obligeant les associés, en cas de crise avérée (qui reposera donc sur des éléments objectifs mettant en péril la bonne marche de l’entreprise), de céder le fonds de commerce exploité par la société ou de céder leur participation. 