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Pourquoi les e-cigarettes au cannabidiol sont autorisées ?

Publié le 22 février 2018
Par Anne-Gaëlle Harlaut
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Des fabricants d’e-cigarettes au cannabidiol (CBD), improprement appelées joints électroniques, ont été condamnés par la justice en raison d’allégations santé mais pas à cause de la composition de leurs produits.

Que s’est-il passé ?

Les créateurs de Kanavape, première société française à commercialiser une cigarette électronique au cannabidiol (CBD), en 2014, ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Marseille (13) le 9 janvier 2018 à dix-huit et quinze mois de prison avec sursis, 10 000 € d’amende et 5 000 € de dommages et intérêts à l’Ordre des pharmaciens.

Qu’est-ce que le cannabidiol ?

C’est l’un des nombreux cannabinoïdes de la plante Cannabis sativa, retrouvé dans la variété indica utilisée comme drogue et dans la variété sativa employée dans la confection textile. Au contraire du tetrahydrocannabinol (THC), considéré comme stupéfiant et présent en très faible concentration dans la variété sativa, le CBD n’a pas les mêmes propriétés psycho-actives et n’entraîne pas d’effet euphorisant.

Est-ce lui dans le « joint électronique »?

Pas d’amalgames ! Le joint électronique comporte un e-liquide à base de THC et est commercialisé dans des pays qui en ont dépénalisé l’usage, mais ce n’est pas le cas en France. Chez nous, les e-liquides contiennent presque que du CBD issu de cultures légales de chanvre et dilué en général à du glycérol, à des concentrations de 10, 30,50, 100…mg/ml. Il faut donc parler d’e-cigarette au CBD (de 25 à 70 € le flacon).

Est-ce légal en France ?

Oui. Au contraire du THC, le CBD n’est pas classé substance stupéfiante. Tout extrait du cannabis est illicite, mais la Direction générale de la Santé (DGS) précise que « certaines variétés de cannabis, dépourvues de propriétés stupéfiantes, peuvent donner lieu, par dérogation, à des utilisations à des fins industrielles et commerciales sous certaines conditions : la variété doit être inscrite sur un arrêté, avoir une teneur inférieure à 0,2 % en THC et seules les graines et fibres peuvent être utilisées. » Cette réglementation, conçue pour l’industrie textile, alimentaire ou cosmétique, offre un cadre légal au vapotage du CBD comme produit de consommation courante.

Pourquoi condamner Kanavape ?

Parce qu’ils avaient positionné leur produit « dans un champ médical, en faisant notamment le lien entre Kanavape et l’Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine », dixit le parquet. D’où les infractions au code de la santé publique : absence d’AMM, publicité et exercice illégal de la pharmacie.

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Quels sont les effets du CBD ?

Il interagit avec les récepteurs cannabinoïdes cérébraux, avec une affinité 100 fois plus faible que le THC, et sérotoninergiques. Le CBD serait sédatif, anxiolytique, antipsychotique, antiépileptique, relaxant, anti-émétique, immunomodulateur, anti-inflammatoire… Associé au THC, il en réduirait les effets psychotropes.

Quels sont ses usages en France ?

Il est une molécule phare du cannabis thérapeutique, associé au THC dans Sativex(1) et seul dans Epidiolex(1). Vapoté ou ajouté à une huile, « en pratique, trois usages sont constatés : pour l’effet “bien-être”, en auto-thérapeutique dans des affections très variées comme la sclérose en plaques, le glaucome, la maladie de Charcot et la dépression, et par les utilisateurs chroniques de cannabis qui désirent s’en affranchir », explique Nicolas Bonnet, directeur du Respadd (voir encadré).

Aide-t-il au sevrage du cannabis ?

Il semblerait. « Un faisceau de preuves va dans le sens d’une action du CBD sur les addictions en général, cannabis mais aussi tabac, alcool… L’action serait dopaminergique, en stimulant la satisfaction, ce qui facilite le maintien de l’abstinence. Certains Csapa(2) le conseillent déjà », précise Nicolas Bonnet.

Est-ce une substance dangereuse ?

Son profil toxicologique est réduit, voire nul. Avec des effets indésirables tels que somnolence, fatigue, diarrhées, modification de l’appétit. Selon l’Organisation mondiale de la santé, « à l’état pur, le cannabidiol ne semble pas présenter de potentiel d’abus, ni être nocif pour la santé. »(3)

Comment s’assurer de sa pureté ?

La DGS assure que des contrôles d’e-liquides seront mis en œuvre. « Le Respadd travaille avec des experts à des recommandations pour commercialiser ces produits, purifiés, si possible sans THC, avec des contrôles et un étiquetage obligatoire. Des normes officielles comme gage de sécurité », explique le pharmacien.

(1) Sativex : AMM dans la spasticité due à la sclérose en plaques, en cours de commercialisation. Epidiolex sol. buvable 100 mg/ml : sous autorisation temporaire d’utilisation dans les épilepsies réfractaires.

(2) Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.

(3) Recommandations de la 39e réunion du comité d’experts sur la dépendance aux drogues de l’OMS, novembre 2017.

NOS EXPERTS INTERROGÉS

→ Nicolas Bonnet, pharmacien spécialisé en santé publique, directeur du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (Respadd).

→ Direction générale de la Santé.

→ Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Repères

→ 2014 : premières cigarettes électroniques au cannabidiol (CBD) commercialisées.

→ Quelques marques d’e-liquides : CBD Sativa, Greeneo, Harmony, Weedeo…

→ La lettre du respadd de janvier 2018 fait un point complet et scientifiquement documenté sur le cannabidiol : état des lieux, effets et usages, mise au point de l’Organisation mondiale de la santé…

À lire sur www.respadd.org > Ressources > La lettre du Respadd