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Des adultes à l’école

Publié le 22 février 2018
Par Anne-Gaëlle Harlaut
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Professionnel de santé, pâtissier ou rayonniste en reconversion, certains adultes souhaitent devenir préparateurs en pharmacie. La démarche n’est pas aisée, mais les résultats sont là, portés par une forte motivation. Reportage au Centre de formation professionnelle de la pharmacie de Paris.

Vous pensez parfois changer de métier ? Eux rêvent de faire le vôtre ! De plus en plus d’adultes optent pour la formation de préparateur en pharmacie. Reconversions, virages à 180°, ils viennent de tous les horizons pour empoigner le mortier. Au Centre de formation professionnelle de la pharmacie Paris Île-de-France (CFPP), la tendance est telle qu’ils sont plus d’une centaine, réunis dans des classes presque exclusivement constituées d’adultes.

« Qui peut me donner la concentration molaire d’une solution de 12 g de NaCl dans 500 ml d’eau ? » Silence… On griffonne, on sort les calculatrices, la réponse ne tarde pas à tomber. L’ambiance est studieuse ce vendredi après-midi dans le cours de chimie de Madame Chaumont. « C’est presque toujours le cas avec les classes d’adultes, ça bosse dur ! », plaisante l’enseignante. Il y a maintenant plus de quinze ans que le CFPP réunit ses élèves adultes en classes spécifiques. « Leur nombre a progressivement augmenté et on est actuellement sur deux classes entières ou presque sur chaque niveau », précise Nicole Pothier, responsable pédagogique du CFA. En théorie, si ce n’est leur âge de 26 ans au moins, rien ne les différencie des autres élèves : mêmes cours, mêmes examens, même alternance en pharmacie et même diplôme à la fin. La grande différence est administrative.

Alors que les « jeunes » sont majoritairement en contrat d’apprentissage, sauf dans le cadre de l’expérimentation qui prolonge l’âge du contrat d’apprentissage à 30 ans dans certaines régions (voir Porphyre n° 535), les plus de 26 ans doivent signer un contrat de professionnalisation. Soit c’est un CDD de 24 mois, la majorité, soit c’est une période de professionnalisation pour les élèves en CDI. Pour entrer en formation, l’adulte doit donc trouver, comme le « jeune », un titulaire employeur qui acceptera de le rémunérer plus qu’un apprenti, sur la base du Smic (voir tableau p. 23) et sans exonérations de charges (sauf pour les 45 ans et plus).

Cherchent aussi employeur

« Trouver cet employeur est la première difficulté et l’inquiétude principale des adultes qui viennent aux portes ouvertes de l’école », assure Florence Le Goffic, chef du service administratif. À moins d’être déjà salarié de l’officine ou d’avoir un parent titulaire, il faut s’attendre à plusieurs refus. « On est trop cher, plaisante Karima (voir témoignage p. 23). Il faut vraiment s’imposer, montrer sa motivation. » Malgré tout, les employeurs se trouvent puisque le nombre de contrats de professionnalisation augmente. « Ma titulaire a déjà pris plusieurs adultes, elle voulait quelqu’un de mûr, de responsable », poursuit Karima. Un choix guidé par la satisfaction, comme le confirme Florence Le Goffic : « On a moins d’employeurs déçus avec les adultes, ça se passe très bien dans la majorité des cas. » Une fois l’employeur déniché, la formation a de quoi séduire : courte, diplômante, rémunérée et avec la quasi-certitude de déboucher sur un emploi. « Avec un projet professionnel établi et une employabilité à 95%, c’est une très bonne opportunité de reconversion pour des adultes qui ont envie de travailler », estime Philippe Plisson, nouveau directeur du CFPP depuis la rentrée.

De tous horizons

Côté reconver s ion, les classes d’adultes pianotent sur une large gamme, tant au niveau de l’âge, de 26 à 52 ans, que du parcours personnel. Il y a ceux qui sont déjà « du milieu », anciens élèves préparateurs non diplômés, rayonnistes en pharmacie, aides-soignants ou brancardiers qui ne trouvent pas d’évolution dans leur métier… « On a même déjà eu un pédiatre et un médecin anesthésiste », confie Philippe Klusiewicz, enseignant depuis trente ans au CFA. Les professionnels étrangers qui n’ont pas d’équivalence de leur diplôme en France sont également bien représentés. Salima était pharmacienne en Algérie, Karima diplômée de biologie, Olaide pharmacien au Sénégal, Carmen ingénieur dans l’environnement en Roumanie, etc.

Et puis, il y a les autres, qui n’auraient sans doute jamais pensé délivrer une ordonnance ! Sarah, titulaire d’un BEP pâtisserie, a déclaré une allergie à la farine. Adieu les gâteaux, il faut se réorienter. Un bac ST2S (sciences et technologies de la santé et du social), un CAP Petite enfance, un emploi de rayonniste en pharmacie et, finalement, un licenciement économique qui l’a décidée à franchir le pas du CFA. Ou encore Aurélie, titulaire d’un bac littéraire qui, après des études d’histoire de l’art, d’archéologie et un master d’histoire, n’a pas trouvé l’emploi convoité dans un musée : « Je m’étais donné trois ans pour trouver mais la filière culturelle est bouchée. »

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Dans ces reconversions à 180°, ces personnes arrivent souvent au CFPP par hasard. Une annonce pour la journée portes ouvertes, du bouche-à-oreille… Dans le cas de Carmen, c’est sa prof de français qui lui a parlé de la formation, et c’est son mari pharmacien qui l’a prise sous son aile ! Par ailleurs, Philippe Plisson exprime un regret : « Nous n’avons pas assez de dossiers de financement par le Fongecif, peut-être trois ou quatre seulement. La formation de préparateur en pharmacie reste confidentielle. C’est une micro-niche qui manque de notoriété et de communication envers le grand public, et même dans les centres de financement. »

Pas si facile

« Revenir sur les bancs de l’école vingtneuf ans après mon diplôme, ça relevait du défi », avoue Salima, doyenne de la classe (voir témoignage p. 21). Et la recherche d’un employeur n’est pas la seule difficulté pour les adultes. La formation est dense, il faut emmagasiner beaucoup de connaissances sur deux ans, il y a du travail à la maison… « Une reprise d’études à un certain âge est laborieuse, contrairement aux plus jeunes », remarque Philippe Klusiewicz. Certains évoquent la peur d’échouer, d’autres une mémorisation difficile, d’autres encore n’ont pas de bagage scientifique…, mais la plus grande difficulté reste la gestion très serrée pendant deux années d’une vie d’étudiant, de salarié, mais également familiale avec, pour beaucoup, un conjoint et des enfants. « Tout est calculé, programmé, le travail, les devoirs de mon fils à la maison… et les miens. Je ne peux plus me dire facilement que je vais prendre quelques heures pour moi », confie Karima. Ce choix demande des sacrifices et une organisation familiale au cordeau. Seule souplesse concédée, les élèves en contrat de professionnalisation peuvent passer certaines matières en fin de première année, et moduler ainsi la somme de travail sur les deux ans de la formation.

Retrouver des contraintes scolaires peut aussi, pour certains, être difficile. « Les règles sont les mêmes pour tous au CFA. L’interdiction du portable, le port obligatoire de la blouse ou encore la justification obligatoire de toute absence, même pour un enfant malade, c’est parfois difficile à l’âge adulte », admet Nicole Pothier, la responsable pédagogique.

Enfin, certains élèves ne maîtrisent pas encore complètement le français et peinent davantage. Malgré son diplôme d’ingénieur qui facilite les apprentissages, Carmen avoue encore quelques difficultés à s’exprimer en français, dans les cours et au comptoir. « Finalement, j’apprends beaucoup plus au contact des patients et à l’école que dans mon emploi précédent d’assistante dentaire. » Sans compter qu’une deuxième langue peut se muer en avantage, « un atout indéniable pour certains titulaires qui ont une partie de leur patientèle non francophone », rappelle Nicole Pothier.

Motivés par l’urgence

« Les classes d’adultes, c’est du gâteau pour les enseignants », confie Philippe Klusiewicz. Et son avis semble partagé par l’ensemble de l’équipe pédagogique. Une ambiance studieuse, toujours très agréable, des élèves intéressés… Martine Chaumont s’enthousiasme : « C’est toujours un plaisir de travailler avec ces classes. C’est un constat que l’on fait chaque année, depuis plus de quinze ans. » Pas d’attitude anti-profs ou de défiance vis-à-vis de l’autorité. Le comportement est respectueux, l’autodiscipline est la règle et permet l’humour et la convivialité. « On a davantage une relation de collègues que de prof/élèves, confie Philippe Klusiewicz. C’est un public plus exigeant aussi, qui pose beaucoup de questions. »

Au final, les résultats sont bons, avec un taux de réussite d’environ 85%. Plus « doués », les adultes ? Pas du tout. Les profs s’accordent sur une même hétérogénéité de niveau que dans une classe de jeunes. La différence réside dans la motivation. « Pour les adultes, cette formation est presque toujours un vrai choix. Ils sont extrêmement motivés, ont une forte volonté de travail et de réussite », poursuit l’enseignant.

Motivation qui est aussi corrélée à une notion d’urgence : « Souvent, il s’agit d’une seconde chance, voire d’une dernière chance professionnelle. C’est comme un ultimatum. Pas question de redoubler ou d’échouer », explique Nicole Pothier. Et Salima d’ajouter : « Les jeunes ont du temps. Ils ont le droit à l’erreur, pas nous ! » Certains adultes sont poussés par l’urgence de faire « quelque chose » de leur vie professionnelle, d’autres par une pression administrative. « L’âge et le fait d’en avoir un peu “bavé” donnent le recul nécessaire pour comprendre l’importance de cette formation », constate Philippe Klusiewicz.

Un stress positif qui a également des limites : « Ils craquent plus facilement car il y a urgence à réussir. Il faut les rassurer, être à l’écoute, être présent. » Néanmoins, l’ambiance est bonne. Ce n’est pas spécifique aux classes d’adultes mais l’équipe pédagogique constate plus facilement un maillage d’entraide entre élèves : « L’hétérogénéité fait leur richesse. Il y a une grande solidarité entre eux, ils sont dans le même bateau, rament dans le même sens. »

La force de l’âge

Ancien chauffeur de taxi ou pharmacien dans leur pays, tous arrivent avec une expérience professionnelle qui va compter, notamment au comptoir. « L’âge donne confiance aux patients, mais surtout on est plus à l’aise que les jeunes, grâce à nos expériences professionnelles passées et personnelles. Le conseil en est facilité », estime Karima. Quel qu’il soit, un bagage professionnel donne une habitude de travail et aide à dépasser ses appréhensions. Philippe Klusiewicz, qui anime deux fois par semaine un atelier chorale au CFA, fait le même constat : « Ce sont surtout des adultes qui viennent. Ils ont dépassé ce stade post-ado où chanter a un côté ringard. Ils ont moins peur du jugement et ça les aide encore davantage à être à l’aise au comptoir. »

Finalement, la formation de préparateur ne serait-elle pas plus appropriée pour des adultes ? « Non, poursuit l’enseignant, les jeunes ont d’autres atouts. S’ils se mettent à travailler, ça carbure aussi. C’est avant tout un problème de motivation ! » Et Martine Chaumont de conclure : « Les classes d’adultes sont très intéressantes et peuvent être un levier pour la profession. Ces adultes motivés réussissent bien, même ceux qui n’ont pas un fort niveau de départ, et ils font des apprentis sympathiques, puis de très bons préparateurs. »

Fiche signalétique du CFPP

→ Statut : association loi 1901, créée en 1948.

→ 829 élèves au total, dont 110 adultes.

→ 30 enseignants.

→ Adresse : 59, rue Planchat, 75020 Paris.

→ Contacts : Tél : 01 43 56 30 30, mail : cfpp@cfpp.org

→ Site Internet : www.cfpp.org

« C’est la dernière chance »

Nom : Salima Sanchez.

Âge : 52 ans.

Officine : Rosny-sous-Bois (93).

Parcours : diplôme de pharmacien en Algérie. En France depuis vingt ans. Visiteuse médicale six mois, responsable de parapharmacie, puis d’un rayon parapharmacie en officine durant près de dix ans. Mariée, trois enfants.

« Obtenir l’équivalence de mon diplôme en France était trop long, trop contraignant et je suis déjà pharmacien. Pour mon ego, je n’avais pas envie de recommencer. J’ai choisi la parapharmacie pour rester dans ce secteur mais le côté médical, l’ordonnance me manquaient… Le plus logique était de reprendre la formation de préparateur. Mon employeur m’encourageait, ma famille aussi. Mais chaque année, je repoussais, à cause des contraintes familiales quand les enfants étaient petits, mais aussi par peur de ne pas être capable de m’y remettre, de décevoir les autres et moi-même. Au CFPP, je suis la doyenne de la classe mais ça se passe bien. Nous sommes particulièrement impliqués dans les classes d’adultes. Les apprentissages sont plus difficiles que pour les jeunes mais nous travaillons beaucoup. Nous voulons apprendre car nous n’avons pas le droit à l’erreur. Pour moi, c’est la dernière chance. C’est en tout cas enrichissant de venir d’horizons très différents, on s’entraide. Et je considère que j’ai de la chance. Ma formation m’a donné de l’avance et, finalement, je n’avais pas oublié ! »

Son conseil. « Ne pas attendre. Mon seul regret est de ne pas l’avoir fait plus tôt. »

« Le soutien de la famille est essentiel »

Nom : Karima Abdenouri.

Âge : 40 ans.

Officine : Paris Ve.

Parcours : études universitaires de biologie en Algérie, option contrôle qualité. Diplôme de visiteuse médicale, visiteuse médicale en Algérie pendant sept ans. Arrivée en France il y a six ans. Mariée, un enfant.

« L’avantage d’être adulte dans cette formation, c’est l’expérience. À l’école d’abord car si on a déjà un bagage scientifique, c’est plus facile pour les apprentissages. On a tous des parcours différents et on peut s’entraider. Avec les professeurs, on est plus à l’aise, il y a plus de confiance, certains ont notre âge ! C’est comme une petite famille… À l’officine aussi, les patients viennent plus facilement vers nous que vers les apprentis. L’âge inspire confiance et l’expérience de la vie comme le fait d’être maman facilitent le conseil. La plus grande difficulté pour moi est la gestion du temps. Il faut gérer à la fois l’école, l’officine, mais également la maison, avec la famille et toute sa logistique ! Je rentre parfois à 21 heures… Avant de signer mon contrat, la titulaire m’a demandé s’il y avait de la stabilité dans ma famille. Je comprends maintenant pourquoi. Sans l’aide et le soutien de mon mari, je n’aurais pas pu le faire. »

Son conseil. « Trouver un employeur s’avère plus difficile pour les contrats de professionnalisation. Mieux vaut s’y prendre à l’avance, plusieurs mois avant de déposer son dossier au CFPP. »

« Un vrai plus pour le relationnel »

Nom : Florent Yem.

Âge : 32 ans.

Officine : Bobigny (93).

Parcours : petits boulots divers, dont livreur, taxi, restauration… Baccalauréat en candidat libre en 2016. En 2e année au CFPP.

« Mon père est pharmacien, ma sœur aussi, mon frère est préparateur… Quand j’ai voulu reprendre mes études, la pharmacie s’est imposée, comme un choix personnel et une histoire de famille ! J’étais rayonniste. Il a fallu lâcher mon emploi, mon appart et mon indépendance, retourner chez mes parents pour étudier. C’est un gros sacrifice. Avec l’âge, la mémorisation est plus difficile, c’est sans doute physiologique mais, techniquement, la maturité aide à appréhender les cours différemment, dans la façon de se concentrer, de prendre des notes, de creuser les points que je ne comprends pas… Je ne le faisais pas avant. L’ambiance est bonne dans notre classe. On s’entraide, on est plus mûrs, plus concernés, moins dissipés peut-être. J’ai l’exemple d’un élève qui a demandé à intégrer notre classe d’adultes parce qu’il avait du mal à se concentrer dans une classe de jeunes. Le point positif indéniable de l’âge, c’est le relationnel. Quand on a l’expérience de petits boulots dans le commercial, c’est plus facile pour la communication au comptoir. On a moins d’appréhension pour le contact avec les patients. »

Son conseil. « Ne pas hésiter à se lancer et se préparer psychologiquement à être dans un monde de filles à l’école (rires). Moi, ça ne me gêne pas du tout ! »