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Le don d’organes

Publié le 20 mars 2018
Par Florence Dijon-Leandro
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Offrir ses organes pour soigner, voire sauver une autre personne compatible est un acte marqué par la générosité, mais très réglementé et par essence limité.

Définitions

• Un don d’organes met en jeu deux individus : le donneur, chez qui un ou plusieurs organes (voir Dico+) sont prélevés de son vivant ou après sa mort, et le receveur, chez qui ce ou ces mêmes organes sont défaillants. Il implique deux grandes étapes, le prélèvement chez le donneur, suivi de la greffe chez le receveur.

• Les organes sont principalement le rein, le foie, le cœur, les poumons, le pancréas et l’intestin. Il est alors plus juste de parler de transplantation et de transplant plutôt que de greffe et de greffon car l’opération chirurgicale va rétablir la continuité vasculaire selon le principe d’anastomose, c’est-à-dire la connexion entre les vaisseaux sanguins du donneur et ceux du receveur, à la différence de nombreux tissus greffés sans anastomose : cornée, peau…

• Les buts sont variés. En palliant l’insuffisance terminale d’un organe, il devient possible d’éviter un décès, mais aussi d’augmenter l’espérance ou la qualité de vie, ou de réduire les coûts par rapport à des alternatives thérapeutiques, telle la dialyse pour l’insuffisance rénale.

Principes immunologiques

• Il existe deux grands systèmes permettant à l’organisme de distinguer ce qui lui est propre, le soi, de ce qui lui est étranger, le non soi.

→ Le système ABO. Il s’exprime essentiellement à la surface des globules rouges et est à l’origine des groupes sanguins A, B, AB et O.

→ Le système HLA pour Human Leukocyte Antigen, plus vaste et plus complexe, comprend des molécules de classe I et de classe II propres à chaque individu, un peu comme une carte d’identité, et participant à la réponse immune adaptative.

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• Pour limiter le risque de rejet, donneur et receveur doivent être ABO-compatibles et au maximum HLA-compatibles. Le rejet est un processus immunologique par lequel l’organisme d’un receveur réagit contre l’organe d’un donneur considéré comme étranger. Si celui-ci est sévère, il peut aboutir à une destruction du transplant. Le risque est fortement diminué grâce aux traitements immunosuppresseurs.

Attention, cette règle de base s’applique cependant de façon variable selon les organes. Par exemple, le foie est un organe « permissif », où la compatibilité HLA est moins importante, et peut même être mise de côté dans certains cas, notamment pour lutter contre la pénurie d’organes (voir encadré).

Quel cadre législatif ?

• Le don d’organes est particulièrement encadré e n France, et régi par plusieurs lois successives. Les lois de bioéthique datent de 1994 et ont été révisées en 2004, puis 2011.

• Les grands principes sont la gratuité et l’anonymat du don, et l’absence de publicité, hors campagnes de sensibilisation. Le prélèvement sur donneur décédé doit se faire selon des bonnes pratiques, avec la nécessité de restaurer le corps avant de le rendre à la famille.

• Le principe de consentement présumé ou implicite signifie que toute personne majeure est considérée consentante au prélèvement de ses organes et tissus après sa mort si elle n’en a pas manifesté le refus de son vivant. Un décret en vigueur depuis le 1er janvier 2017 précise les différentes modalités de refus et rappelle l’existence d’un registre national des refus ou « registre du non » : www.registrenationaldesrefus.fr.

• Sur les prélèvements d’organes sur donneur vivant, la loi précise que le don d’organes s’adresse à la famille proche, conjoint, frères et sœurs, enfants, au concubin ou aux amis du donneur. Dans ces deux derniers cas, il est nécessaire de prouver une vie commune ou des liens affectifs étroits et stables depuis au moins deux ans. La procédure est longue, à la fois médicale, le rapport bénéfice/risque devant être favorable pour le donneur et le receveur, et administrative, devant un comité « donneur vivant » d’experts et un tribunal de grande instance. Le consentement n’est plus implicite mais au contraire profondément explicite.

L’ensemble de ces mesures permet notamment d’éviter de nombreuses dérives telles que la commercialisation du don, le trafic d’organes ou le tourisme de transplantation.

Du donneur vers le receveur

• La majorité des prélèvements se fait grâce aux donneurs décédés, principalement en état de mort encéphalique ou mort cérébrale, état caractérisé par l’arrêt total et définitif de la perfusion sanguine, et donc de l’activité cérébrale. L’arrêt circulatoire ou cardio-respiratoire inopiné ou contrôlé est une autre situation possible. Dans les deux cas, il faut faire vite, notamment pour réduire le temps d’ischémie froide (voir Dico+).

Lorsqu’un ou plusieurs organes sont disponibles chez un donneur décédé, l’Agence de la biomédecine est chargée de les redistribuer de façon efficace et équitable, en respectant des règles strictes. L’appariement donneur-receveur se fait en fonction d’un score informatique obtenu d’après les critères médicaux et logistiques. Certains patients bénéficient de priorités locales ou nationales, notamment en cas de pronostic vital engagé, si ce sont des enfants ou des patients hyperimmunisés (voir Dico+).

• Le receveur doit être joignable en permanence e t prêt à se rendre à l’hôpital pour y être greffé.

• La temporalité des transplantations effectuées à partir de donneurs vivants est très différente, puisqu’il s’agit le plus souvent d’un acte programmé. Ces dons concernent surtout le rein car le donneur peut vivre normalement avec un seul rein, mais parfois aussi le foie car il est possible de donner un lobe hépatique.

Faire face à la pénurie

Chaque année, plus de 200 personnes sur liste d’attente meurent sans avoir pu bénéficier d’un don. De nombreuses pistes sont évoquées afin d’augmenter le nombre de prélèvements.

• Diminuer les taux d’opposition aux prélèvements d’organes sur personnes décédées, de l’ordre de 30 % en France. Les effets du décret du 1er janvier 2017 concernant le consentement implicite n’ont pas encore été analysés.

• Augmenter le nombre de donneurs vivants, par exemple en élargissant le cercle des proches donneurs potentiels ou en améliorant la sensibilisation du grand public à cette pratique.

• Développer le don croisé : A et C voudraient donner un rein, de leur vivant, respectivement à B et D mais ne sont pas compatibles. En revanche, A peut donner à D et C à B.

• Élargir les critères d’acceptation des transplants : les organes prélevés sont dits « à critères élargis » quand les donneurs présentent certaines comorbidités – âge avancé, maladies chroniques… – autrefois rédhibitoires, mais qui aujourd’hui n’empêchent plus le prélèvement en faveur de receveurs âgés.

• Passer outre la compatibilité ABO : cela se fait au prix d’un traitement supplémentaire de désensibilisation lourd et démarré avant la réalisation de la greffe.

• Améliorer les techniques de prélèvement : par exemple, rendre possible un partage du foie, ou split. La greffe pédiatrique bénéficie déjà de cette technique. Le foie du donneur est coupé en deux parties inégales, l’une plus petite pour greffer un enfant et l’autre plus grosse destinée à un adulte.

En parler autour de soi

• Les équipes de coordination des greffes sont confrontées, d’une part, à une famille endeuillée qui a du mal à envisager un prélèvement d’organes sur le défunt et, d’autre part, à une machinerie qui doit se mettre en route très vite.

• D’après le principe de consentement implicite, le prélèvement d’organes peut se faire dès l’instant où la personne ne s’est pas opposée au don d’organes de son vivant. Il peut donc théoriquement avoir lieu sans l’accord de la famille.

• D’où l’intérêt de faire connaître son choix, à l’oral ou à l’écrit, même en bonne santé et si la mort semble lointaine. La carte de donneur n’a pas de valeur officielle mais est un indicateur majeur qui facilite le travail des équipes.

Avec l’aimable participation du Dr Tristan Legris, néphrologue, praticien hospitalier au centre de néphrologie et de transplantation rénale de l’hôpital de la Conception à Marseille (13).

Dico +

→ Organe : ensemble de cellules formant une structure bien identifiée, vascularisée et assurant une fonction particulière.

→ Ischémie froide : temps entre le prélèvement et la transplantation, et au cours duquel l’organe n’est pas perfusé.

→ Patient hyperimmunisé : porteur de nombreux anticorps anti-HLA, diminuant la chance d’obtenir un organe compatible. Ils peuvent se développer en cas de grossesse, de transfusion ou de greffe antérieure.

Les greffes en chiffres

→ 5 891 greffes d’organes ont eu lieu en 2016, dont 3 615 rénales (576 à partir d’un donneur vivant), 1 322 hépatiques (dont 5 à partir d’un donneur vivant), 477 cardiaques, 371 pulmonaires, 90 pancréatiques, 13 cardiopulmonaires et 3 intestinales.

→ 22 617 patients sur liste d’attente, mais 6 083 patients en contre-indication temporaire de greffe au 1er janvier 2016.

→ 1 770 donneurs en état de mort encéphalique, par exemple suite à un AVC ou à un traumatisme crânien. Âge moyen de ce type de donneur en 2016 : 56,1 ans, et en progression constante.

En savoir +

→ À commander : affiches, plaquettes d’information, cartes de donneur… sur les sites www.agencebiomedecine.fr et www.cespharm.fr

→ À lire : Le Cœur d’une autre, de Tatiana de Rosnay (Ed. Livre de poche).

→ À voir : Tout sur ma mère, de Pedro Almodóvar ; 21 grammes, d’Alejandro González Iñárritu ; Réparer les vivants, de Katell Quillévéré (adaptation du roman éponyme de Maylis de Kerangal).

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