Innovation thérapeutique : la France face au paradoxe d’un pipeline prometteur mais d’une attractivité en berne

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Innovation thérapeutique : la France face au paradoxe d’un pipeline prometteur mais d’une attractivité en berne

Publié le 19 mars 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Alors que les innovations thérapeutiques se multiplient dans le pipeline mondial, la France peine à maintenir son attractivité en matière de recherche clinique. Ce constat ressort du croisement de deux études récentes : une présentation d'Iqvia sur les innovations pharmaceutiques à venir et la 14e enquête annuelle du Leem (Les industries du médicament) sur l'attractivité de la France pour la recherche clinique.

Selon les données présentées par Iqvia le 18 mars 2025, plus de 660 nouvelles molécules font actuellement l’objet d’essais cliniques dans le monde. Si toutes n’atteindront pas le marché en raison du taux d’échec inhérent au développement pharmaceutique, cette activité de recherche « extrêmement dynamique » promet des avancées significatives dans plusieurs domaines thérapeutiques.

Parmi les innovations attendues en 2025 figurent notamment :

– de nouveaux anticorps bispécifiques, dont un traitement pour le cancer des voies biliaires ;

– les premiers vaccins personnalisés à ARN messager ;

– un nouveau traitement contre la douleur (suzetrigine) ;

– un premier antibiotique oral en plusieurs années pour les infections urinaires.

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Des avancées dans le traitement des maladies rares (syndrome de Barth, syndrome de la chilomicronémie, mucoviscidose)

L’intelligence artificielle joue désormais un rôle majeur dans ces développements, avec « plus de 60 molécules identifiées par IA en essai clinique en 2025 » selon Yann Rateau de Meursac principal consulting analytics chez Iqvia.

Une France qui stagne au 3 rang européen

Paradoxalement, alors que ce pipeline d’innovations est prometteur, la 14e enquête du Leem sur l’attractivité de la France pour la recherche clinique révèle une situation préoccupante. La France stagne au 3e rang européen, derrière l’Espagne et l’Allemagne, et ne maintient cette position que « grâce aux essais de phase précoce en oncologie ».

Plus inquiétant encore, l’Europe dans son ensemble perd du terrain face aux autres puissances mondiales. Avec seulement 19 % des essais mondiaux, l’Europe se positionne loin derrière le continent américain (28 %) et l’Asie (60 %).

Des délais qui pénalisent l’accès à l’innovation

Les deux études convergent sur un point critique : les délais d’accès à l’innovation. Iqvia pointe des délais médians de 146 jours pour l’évaluation par la Commission de la Transparence, auxquels s’ajoutent 196 à 226 jours de négociation de prix. Au total, plus de 500 jours s’écoulent entre la demande de remboursement et l’accès effectif des patients aux traitements.

De son côté, le Leem souligne des délais d’autorisation des essais cliniques supérieurs à 100 jours en Europe, contre 31 jours souhaités pour les essais les plus innovants via un « fast track européen ».

Thierry Hulot, président du Leem, alerte : « Les lourdeurs administratives et l’accumulation des réglementations freinent notre compétitivité. La France ne doit pas continuer à se laisser distancer par ses concurrents européens. »

L’enjeu crucial de l’accès des patients aux innovations

Selon le Leem, ces retards et cette perte d’attractivité ont des conséquences directes sur les patients : « sans des changements rapides, ce sont les patients européens – et en particulier les patients français – qui risquent d’être pénalisés » dans leur accès aux innovations thérapeutiques.

Cette réalité est particulièrement préoccupante dans les domaines où les innovations sont les plus nombreuses selon Iqvia : l’oncologie, les maladies rares et les médicaments de thérapie innovante.

Des pistes d’amélioration identifiées

Pour inverser cette tendance, le Leem propose plusieurs mesures concrètes :

– un « fast track européen » réduisant les délais d’autorisation des essais cliniques de 100 à 31 jours ;

– une meilleure interface entre les réglementations européennes ;

– une simplification de la contractualisation au niveau national ;

– l’accélération de la décentralisation et de la digitalisation des essais.

Ces propositions rejoignent indirectement les observations d’Iqvia sur les difficultés d’accès au marché. L’étude Iqvia révèle également un durcissement des conditions d’accès précoce aux médicaments, avec 52 % des demandes refusées en 2024.

Un leadership à reconquérir

Il y a une décennie, la France était leader européen de la recherche clinique. Le Leem rappelle que la situation n’est pas irréversible et s’appuie sur le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité européenne, qui reconnaît le secteur pharmaceutique comme « un pilier stratégique – contributeur à la R&D et à la balance commerciale ».

L’Allemagne montre la voie avec son « german medical research act » qui accélère les autorisations, simplifie la décentralisation et établit un lien entre le prix des médicaments et la présence des essais cliniques sur son territoire.

Le projet de loi de simplification de la vie économique, bientôt examiné à l’Assemblée nationale, est perçu comme « une première étape nécessaire » par le Leem pour restaurer l’attractivité de la France dans ce domaine stratégique.