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Un long tissu de connaissances face à l’endométriose

Publié le 10 février 2024
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La stratégie nationale de lutte contre l’endométriose a été lancée en 2022. L’objectif est de mettre l’accent sur la recherche pour améliorer le diagnostic et la prise en charge de cette maladie qui touche 1 femme sur 10. La situation progresse, mais doucement.

 

 

L’endométriose est une pathologie complexe qui provoque des lésions inflammatoires dans ou en dehors du bassin selon les cas. Un phénomène de menstruations rétrogrades pourrait en être la cause. Il existe quatre types de lésions d’endométriose : les lésions pelviennes dans le péritoine correspondent à l’endométriose superficielle ; les kystes ovariens ; dans le cas de lésions atteignant le rectum et la vessie, on parle d’endométriose profonde ; et l’endométriose extrapelvienne (environ 5 % des cas) décrit des lésions qui ont migré en dehors du bassin.

 

Les causes de l’endométriose sont encore mal connues, mais les facteurs environnementaux tels que les perturbateurs endocriniens comme les bisphénols et les plastiques, par exemple, auraient une incidence sur l’apparition des lésions. Les pistes génétique et immunologique sont aussi étudiées. Les symptômes, notamment des règles douloureuses invalidantes, ont un fort impact sur la qualité de vie des patientes. Pendant les épisodes douloureux, certaines sont dans l’impossibilité de se rendre au travail ou à l’école. De plus, même s’il est difficile d’établir des statistiques exactes, cette maladie serait une cause d’infertilité féminine.

Un nouvel outil de diagnostic

 

Jusqu’ici, le diagnostic consistait en un interrogatoire de la patiente et un examen clinique, des examens d’imagerie (échographie endovaginale et imagerie par résonance magnétique, IRM) en seconde intention, et la cœlioscopie en troisième intention. Afin de proposer un diagnostic plus précoce aux patientes, la société Ziwig a mis au point un test salivaire. Endotest combine deux technologies : « l’identification de centaines de milliers de biomarqueurs, les microARN et un séquençage ultrarapide avec l’intelligence artificielle », explique Sofiane Bendifallah, chirurgien gynécologique à l’Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). 

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Les dernières recommandations du 8 janvier de la Haute Autorité de santé (HAS) placent Endotest en troisième intention ; il viendrait remplacer la cœlioscopie. « L’intérêt du test salivaire réside dans la “non-invasivité”, la rapidité et la fiabilité, poursuit Sofiane Bendifallah. Les études effectuées sur 1 140 patientes ont démontré la fiabilité du test à 95 %. » Il réduirait ainsi l’errance thérapeutique des patientes. « Endotest permet de diagnostiquer l’endométriose en 10 jours », souligne Erick Petit, radiologue spécialiste de l’endométriose à l’hôpital Paris Saint-Joseph. 

 

Cependant, la HAS, qui reconnaît « le caractère novateur » du test, a besoin de plus de données cliniques pour accorder un remboursement pérenne. C’est pourquoi il sera pris en charge grâce au forfait innovation qui permet de financer de manière dérogatoire un accès précoce, tout en colligeant les données manquantes. « Pour le remboursement pérenne, nous devons nous assurer que le test soit sûr, vérifier la spécificité et la sensibilité pour éviter les faux positifs et les faux négatifs, ainsi que l’utilité clinique pour savoir s’il permet de réduire les cœlioscopies inutiles. Il nous faudra aussi préparer la partie logistique, afin de garantir un accès égal sur tout le territoire », énumère Cédric Carbonneil, adjoint à la directrice de l’évaluation et de l’accès à l’innovation de la Haute Autorité de santé.

Absence d’innovations

 

Dans l’attente d’avancées thérapeutiques majeures, les traitements de référence sont, en première intention, les contraceptifs progestatifs – mais ils présentent un risque de méningiome qui nécessite une surveillance par IRM cérébrale au bout d’un an de traitement, avec un contrôle dans les cinq ans après la première imagerie si le traitement est poursuivi – , les œstroprogestatifs ou microprogestatifs, ou les systèmes intra-utérins (SIU) au lévonorgestrel à 52 mg. Les contraceptifs permettent « de mettre le cycle menstruel “en pause” pour éviter les règles douloureuses. Mais les traitements hormonaux ne permettent pas de stopper l’évolution de l’endométriose et ils sont incompatibles avec un projet de grossesse », prévient Sofiane Bendifallah.  

 

Le traitement de deuxième intention repose sur le diénogest, un antigonadotrope, ou les analogues de la GnRH en association avec un œstrogène avant le troisième mois, pour compenser les effets secondaires comme la perte de densité osseuse. Les traitements hormonaux peuvent aussi être prescrits en association avec la chirurgie lorsqu’elle est envisagée, même si, à l’heure actuelle, Erick Petit remarque qu’« on opère moins de 20 % des patientes car cela n’est pas forcément adapté ». 

 

Le traitement symptomatologique des douleurs « nécessite la prescription d’antalgiques opoïdes ou non, ou d’antispasmodiques », poursuit Sofiane Bendifallah. Des douleurs neuropathiques ont aussi été décrites par les patientes qui requièrent parfois « la prescription d’antidépresseurs ou de neuroleptiques, complète Erick Petit. Les thérapies antalgiques non médicamenteuses comme la neurostimulation présentent aussi un intérêt ». 

 

La recherche pour la mise au point de nouveaux traitements médicamenteux se poursuit, mais « les études précliniques concernant les interleukines 8 menées sur les primates n’ont pas donné de résultats concluants et la piste des antibiotiques n’est pas viable car cela impliquerait de les administrer en continu », expose Ludivine Doridot, enseignante et chercheuse à l’université Paris Descartes, dont les travaux portent sur les liens entre le système immunitaire et l’endométriose. « On observe une corrélation entre les maladies immunitaires et l’endométriose. Par exemple, les patientes traitées pour des pathologies de la thyroïde présentent des endométrioses plus sévères », ajoute-t-elle.

Des soins de supports

 

Les établissements de santé spécialisés dans la prise en charge de la maladie proposent aux patientes des ateliers d’éducation thérapeutique (ETP) afin de mieux en gérer les symptômes. « Les soins de support, tels que l’ostéopathie, l’acupuncture et la pratique sportive, permettent d’améliorer la qualité de vie des patientes », explique Erick Petit. L’alimentation anti-inflammatoire est recommandée pour une prise en charge globale de plusieurs maladies inflammatoires chroniques, les cancers ou la maladie d’Alzheimer, par exemple. Il est ainsi conseillé de privilégier la consommation de crucifères (brocolis, choux de Bruxelles, etc.), de poissons gras et d’oléagineux, car ils contiennent des oméga 3 antioxydants et diminuent le processus inflammatoire. 

 

Une étude épidémiologique lancée en 2018 par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) permet de « documenter le vécu des patientes et l’impact de la maladie, de déterminer ses facteurs de progression et la réponse aux traitements », détaille Marina Kvaskoff, épidémiologiste au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP) à Villejuif (Val-de-Marne). Cette cohorte qui inclut plus de 10 000 femmes atteintes d’endométriose permet de mieux comprendre la pathologie : « Nous effectuons un suivi relatif aux symptômes douloureux, à la qualité de vie et de traitements. Cette année, nous allons évaluer l’incidence de différentes stratégies d’adaptation utilisées par les patientes, comme l’alimentation, les neurostimulateurs électriques transcutanés (Tens) ou les compléments alimentaires », annonce la chercheuse. Les patientes peuvent s’inscrire en ligne sur le site compare.aphp.fr afin d’intégrer cette étude longitudinale et devenir actrices de la recherche sur l’endométriose. 

 

Pour les patientes qui auraient difficilement accès aux ateliers d’éducation thérapeutique, il existe un support digital, l’application Lyv, présentée au dernier congrès mondial sur l’endométriose à Edimbourg (Ecosse) en mai 2023. « Elle autonomise les patientes et propose un accompagnement par un club de médecins experts avec des sessions en visio, pris en charge par certaines mutuelles », précise Erick Petit. 

 

Même si la recherche clinique pour la mise au point de nouveaux traitements en est à ses balbutiements, la nécessité de mieux comprendre l’endométriose par la recherche épidémiologique, entre autres, permet de documenter le vécu des patientes afin de leur apporter des réponses trop longtemps restées en suspens.