Il m’est avis qu’il y a eu préavis

LES FAITS

Le 3 janvier 2000, M. S. est engagé comme ingénieur, statut cadre, par la société EB. Lors de cette embauche, employeur et salarié s’accordent pour une reprise de l’ancienneté de M. S. Le 12 septembre 2018, M. S. démissionne. En janvier 2019, il saisit le conseil de prud’hommes pour faire requalifier sa démission en prise d’acte de la rupture de son contrat de travail. Cette procédure permet d’appliquer à la rupture les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner l’employeur au paiement de diverses sommes.

LE DÉBAT

L’article L. 1451-1 du Code du travail dispose que le salarié, confronté à des manquements graves de son employeur, peut prendre acte de la rupture de son contrat. Dès que l’employeur a connaissance des faits qui lui sont reprochés par le salarié, le contrat est rompu. En pratique, les magistrats ont reconnu la valeur d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à une prise d’acte donnée à la suite des faits de harcèlement, au non-paiement du salaire ou encore à la non-organisation des visites médicales obligatoires.

En l’espèce, le débat ne portait pas sur la prise d’acte, mais plutôt sur l’indemnité de préavis. La prise d’acte rompt le contrat immédiatement sans que le salarié n’exécute une période de préavis. Lors de la requalification des faits, les magistrats condamnent donc l’employeur à payer au salarié une indemnité correspondant à cette période. En l’espèce, M. S. n’a pas quitté l’entreprise le 12 septembre, date à laquelle il a informé son employeur, mais le 5 octobre. La société EB estime donc qu’il a effectué une partie de son préavis, période qui doit être décomptée de l’indemnité due. Le 30 mai 2022, la cour d’appel de Toulouse (Haute-Garonne) ne suit pas le raisonnement de l’employeur. Les magistrats estiment que la période de travail de M. S. située entre le 12 septembre et le 5 octobre ne peut pas être qualifiée de préavis, puisque la rupture est une prise d’acte. Ils condamnent donc l’entreprise à verser à M. S. 15 925 €, correspondant à trois mois de salaire brut. La société EB forme un pourvoi en cassation.

LA DÉCISION

Le 24 janvier 2024, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel de Toulouse. Selon elle, les magistrats ont mal interprété le droit en vigueur. Elle rappelle que l’article L.1234-5 du Code du travail impose à l’employeur de verser au salarié n’exécutant pas son préavis une indemnité correspondant au salaire qu’il aurait dû percevoir. L’article ajoute que, dans le cas d’un licenciement pour faute grave, cette indemnité n’est pas due. La jurisprudence antérieure de la Cour de cassation précise que cette indemnité doit être versée uniquement lorsque l’employeur a unilatéralement décidé de dispenser le salarié d’exécuter son préavis ou lorsque cette inexécution lui est imputable.

Au-delà de ces rappels, les hauts magistrats soulignent que la société EB apportait des preuves du versement d’un salaire à M. S. pour la période du 12 septembre au 5 octobre, date de son départ effectif. Cette période, située entre la remise de la lettre de démission et son départ effectif, doit être assimilée à un préavis. Ces quelques jours doivent donc être déduits des trois mois dus. Cette décision de bons sens permet de clarifier la situation dans un cas de rupture déjà conflictuel.

À retenir

Le salarié constatant des manquements graves de son employeur peut donner sa démission en prenant acte puis saisir le juge pour faire requalifier la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié n’a pas de préavis à exécuter dans l’hypothèse d’une prise d’acte.

Il percevra une indemnité de préavis réduite s’il en a exécuté une partie.