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[VIDÉO] Financiarisation de l’officine : « Le pharmacien doit rester maître de son exercice »

Publié le 6 mars 2025
Par Christelle Pangrazzi
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L’évolution du financement des officines pose aujourd’hui une question centrale : jusqu’où la recherche de rentabilité peut-elle influencer l’indépendance des pharmaciens ? Si le besoin d’investissement pour moderniser les officines est indiscutable, l’entrée de capitaux extérieurs soulève des inquiétudes quant à la gouvernance de l’exercice officinal et son impact sur la santé publique.

Face aux évolutions du secteur – digitalisation, nouveaux services, restructuration du réseau – les pharmacies ont besoin de financements conséquents. Cette nécessité est d’autant plus forte dans un contexte où les marges se réduisent sous l’effet des baisses de prix imposées par le Comité économique des produits de santé (CEPS).

« Le réseau officinal a besoin de financement pour se restructurer, s’organiser, investir. Et là-dessus, il n’y a pas de débat », affirme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil de l’Ordre des pharmaciens.

L’accès à des capitaux permet aux pharmaciens d’investir dans des fonds et du matériel (robots, logiciels, nouveaux agencements) et de développer des services à valeur ajoutée pour les patients. Toutefois, la question devient sensible lorsque ces financements viennent d’investisseurs extérieurs dont les objectifs ne sont pas nécessairement alignés avec ceux des professionnels de santé.

Le risque d’une perte d’indépendance

Dans d’autres domaines de la santé – biologie médicale, radiologie, chirurgie dentaire – l’entrée massive d’investisseurs a modifié en profondeur les pratiques, en plaçant la rentabilité au cœur des décisions. La pharmacie pourrait suivre le même chemin.

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Carine Wolf-Thal met en garde : « La question se pose quand ces financements font perdre l’indépendance du professionnel de santé. Quand il n’est plus en capacité de gérer son entreprise au bénéfice du patient et de la santé publique, mais plutôt pour des raisons de rentabilité et de retour sur investissement. »

Les exigences des investisseurs – ratios de chiffre d’affaires, limitations des dépenses, choix d’investissements conditionnés – risquent de restreindre la liberté des pharmaciens dans leur exercice. « Un investisseur peut imposer des obligations de rentabilité, des contraintes sur la masse salariale ou limiter les investissements. Dans ce cas, le professionnel de santé n’est plus indépendant. »

L’assurance maladie, financeur indirect des investisseurs ?

Un autre enjeu majeur réside dans le financement des officines par l’Assurance Maladie. « Là où ça pose problème, c’est quand l’Assurance Maladie devient, au fond, une sorte de partenaire financier d’investisseurs, qui ne sont d’ailleurs souvent même pas sur le territoire français », alerte Carine Wolf-Thal.

Elle rappelle que la Sécurité sociale est un bien commun et que les remboursements doivent servir en priorité la santé publique. « L’Assurance Maladie est là pour prendre en charge les besoins des Français, pas pour enrichir des financements privés. »

Des financements à encadrer pour préserver l’indépendance officinale

Loin de refuser toute évolution, l’Ordre des pharmaciens insiste sur la nécessité de trouver un équilibre. « Oui, pour des financements, mais des financements vertueux, qui préservent l’indépendance du pharmacien. Il doit pouvoir faire les bons choix au bénéfice de la santé publique et du patient, et non pas au bénéfice d’investisseurs extérieurs. »

L’enjeu est donc de garantir que l’officine reste avant tout un espace de santé, et non un simple modèle économique régi par des logiques financières.