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© Institut Curie
Des progrès dans le traitement des cancers rares
L’incidence annuelle de ces maladies est inférieure à 6 cas pour 100 000 personnes, ce qui représente 2 à 3 % des 450 000 nouveaux cas de cancers diagnostiqués chaque année en France. Les principaux obstacles à franchir pour la compréhension et le diagnostic des cancers rares, les traitements prometteurs… Le Pr Steven Le Gouill, directeur de l’ensemble hospitalier de l’Institut Curie, témoigne de la mobilisation de la recherche pour contrer ces affections.
Malgré leur grande diversité, les cancers rares ont-ils des traits communs ?
S’il y a évidemment des exceptions, ces maladies touchent le plus souvent des tissus dont l’homéostasie cellulaire est très stable, c’est-à-dire qui sont peu sujets à un renouvellement cellulaire important. Lorsqu’une dérégulation est provoquée par un facteur exogène comme le tabac ou les rayons ultraviolets, on sait qu’il faut rechercher un cancer du poumon ou de la peau. Les causes étant souvent moins connues ou évidentes dans les cancers rares, leur recherche est souvent négligée. Nous sommes donc loin d’avoir tout compris de ces affections, notamment parce que, pendant longtemps, les moyens qui leur ont été consacrés ont été moins nombreux. Désormais, grâce aux progrès immenses en matière de biotechnologies et à l’étude moléculaire des cellules cancéreuses, les connaissances accumulées en oncologie sont plus transversales qu’avant : les découvertes réalisées dans l’étude de cancers fréquents peuvent bénéficier aux cancers rares et inversement. Les raisons pouvant expliquer pourquoi certaines cellules ont un génome ou une régulation très stable alors que d’autres non restent encore imparfaitement comprises.
La rareté est-elle synonyme d’errance diagnostique ?
L’errance est de moins en moins importante. Les patients comme les médecins sont plus sensibilisés et vigilants lorsque des symptômes touchent un organe ou un tissu qui est fréquemment le siège d’un cancer. C’est ainsi que l’errance est potentiellement plus longue en cas de sarcome qu’en cas de tumeur du poumon même si les communautés médicales sont de mieux en mieux formées. Il est donc essentiel de communiquer autour de ces cancers, car cela permet à un médecin généraliste ou spécialiste d’y penser plus facilement, même s’il n’y a jamais été confronté au cours de sa carrière.
Qu’en est-il de l’errance thérapeutique ?
On a beaucoup progressé en 20 ans. De nos jours, une maladie rare ne signifie pas absence de traitement. La leucémie myéloïde chronique (LMC), qui touche environ 500 personnes par an en France, en est un exemple emblématique. Après la description de l’origine de cette maladie, liée à la translocation de deux gènes, l’imatinib (Glivec) a été développé et a bouleversé le pronostic : autrefois mortelle, la LMC est actuellement une pathologie chronique contrôlée chez la majorité des patients, qui retrouvent la plupart du temps une espérance de vie comparable à celle de la population générale. Plus récemment, l’ibrutinib (Imbruvica), un inhibiteur de la tyrosine kinase de Bruton (BTK), a prouvé son efficacité contre le lymphome à cellules du manteau en empêchant la prolifération des cellules tumorales. En clinique, ce traitement améliore significativement la survie et la qualité de vie des patients. Ces deux exemples montrent que les cancers rares peuvent constituer de très bons modèles pour concevoir des médicaments, car leur mécanisme d’oncogenèse peut s’appliquer dans d’autres modèles tumoraux plus fréquents. À l’inverse, certains médicaments initialemment élaborés pour lutter contre des tumeurs fréquentes ont ensuite pu constituer une ligne de traitement efficace pour certains cancers rares. Les développements des combinaisons entre les différents traitements aujourd’hui disponibles – chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, thérapies ciblées antitumorales et immunothérapie – permettent également d’amplifier la puissance des stratégies thérapeutiques aussi bien dans les tumeurs fréquentes que dans les tumeurs rares. L’errance thérapeutique n’est donc pas forcément liée à la rareté.
Quels sont les progrès apportés par l’immunothérapie ?
L’immunothérapie, dont l’introduction en clinique a commencé il y a une vingtaine d’années, a considérablement renforcé sa place dans l’arsenal antitumoral. Cette accélération s’explique d’abord par une meilleure compréhension du fonctionnement du système immunitaire et des mécanismes d’échappement des cellules tumorales. Les approches en immunothérapie sont de plus en plus ciblées. On est passé d’anticorps monoclonaux à des anticorps bispécifiques puis trispécifiques, voire quadrispécifiques, qui sont en développement. Cela signifie que l’on cible plus largement la cellule tumorale et donc on réduit ses capacités d’échappement. Plus récemment, Les cellules CAR-T, qui sont des lymphocytes T modifiés afin de reconnaître une cible tumorale spécifique, ont démontré leur intérêt contre les cancers du sang, mais il faudra établir s’ils ont un même potentiel thérapeutique contre les tumeurs solides. Transfecter les lymphocytes T n’est pas si complexe. D’ailleurs, des machines ambulatoires sont en cours de conception pour produire ces lymphocytes directement au lit du patient. Le plus difficile est de parvenir à ces cellules modifiées selon les normes de qualité pharmaceutique pour en faire un médicament utilisable en clinique.
Quelques exemples d’avancées significatives dans les tumeurs rares ?
Prenons l’ibrutinib, un traitement de première classe conçu grâce à la compréhension des mécanismes moléculaires impliqués dans les lymphomes des cellules du manteau et la maladie de Waldenström. Il agit comme un « interrupteur » en bloquant le signal de survie des cellules tumorales. Ce traitement en comprimés représente une avancée majeure pour les patients. Un autre exemple est celui des anticorps anti-PD1 qui ont prouvé leur efficacité chez les adolescents et jeunes adultes atteints par la maladie de Hodgkin, une innovation qui est aussi efficace dans des tumeurs plus fréquentes comme celles touchant le poumon ou le sein. Cependant, il reste un défi majeur : les cellules cancéreuses parviennent souvent à déployer des moyens de résistance et à acquérir une grande plasticité pour échapper aux stratégies thérapeutiques. Cela souligne l’importance d’approches mêlant différents traitements pour continuer à contrer ces mécanismes d’échappement.
Comment travaillez-vous dans ce contexte ?
À Curie, nous avons mis en avant trois types de cancer – les cancers de l’œil, les sarcomes et les lymphomes –, mais nous sommes mobilisés aussi sur d’autres formes rares, comme ceux de l’enfant ou encore les thymomes. Dans les cancers de l’œil, les approches innovantes d’irradiation se développent afin d’éviter d’endommager la rétine saine et les tissus cérébraux à l’arrière de l’œil. C’est, par exemple, le cas de la protonthérapie dans le rétinoblastome de l’enfant. Dans la prise en charge des sarcomes, qui proviennent du tissu osseux ou des tissus mous, la chirurgie reste un pilier central, cependant les recherches actuelles visent à comprendre pourquoi et comment ces tumeurs se forment en affectant différents tissus (os, tissus de soutien, etc.). Car en fonction de ces derniers, les traitements diffèrent. Enfin, nous pouvons parler des lymphomes qui, eux aussi, constituent un ensemble hétérogène de plus de 80 types différents de cancer du système lymphatique. Certains, comme les lymphomes folliculaires, sont liés à une dérégulation de la mort cellulaire, tandis que d’autres, comme les lymphomes du manteau, impliquent des processus de prolifération cellulaire. En comprenant tous ces mécanismes spécifiques à chaque type de cancer (rare ou pas), les traitements seront de plus en plus adaptés donc toujours plus efficaces avec moins d’effets secondaires à court et moyen termes.
Les chercheurs sont mobilisés pour surmonter les obstacles inhérents aux cancers rares et le plus souvent en collaboration, car, seul, un centre de recherche se heurte rapidement à un plafond de verre. Une des principales difficultés est de pouvoir prendre en charge des effectifs de patients suffisants pour mener des essais cliniques. Les collaborations nationales, et souvent internationales, sont incontournables. Par exemple, pour un essai conduit sur le lymphome à cellules du manteau, le recrutement a été très rapide grâce au réseau déjà fonctionnel des centres concernés en France, mais aussi en Belgique et en Angleterre. Ces réseaux permettent une mobilisation rapide, dès qu’une approche thérapeutique prometteuse émerge. Ces collaborations favorisent également la création de bases de données pour des études ancillaires (annexes au projet initial présenté), qui aident rétrospectivement à comprendre pourquoi certains patients répondent mieux que d’autres. Et des actions de sensibilisation et de communication comme celles qui accompagnent la nouvelle campagne nationale de mobilisation et d’appel à la générosité de l’Institut Curie, « Une Jonquille contre le cancer » (du 11 au 23 mars 2025 dans toute la France), sont très importantes pour maintenir les efforts de recherche, au service des patients.
Bio express
- 1996. Doctorat en médecine avec spécialisation en hématologie et en biologie des cellules sanguines
- 2018. Chef du service d’hématologie au centre hospitalier universitaire de Nantes (Loire-Atlantique)
- 2021. Directeur de l’ensemble hospitalier de l’Institut Curie
- 2022. Professeur à la faculté de médecine de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
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