4/7 – Cas pratique : analyse et intervention sur une ordonnance

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4/7 – Cas pratique : analyse et intervention sur une ordonnance

Publié le 17 février 2025 | modifié le 18 février 2025
Par Stéphanie Satger
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Dans leur exercice quotidien, le pharmacien d’officine et son équipe sont fréquemment amenés à réaliser des interventions pharmaceutiques (IP). Toutes les étapes de la dispensation peuvent faire l’objet d’IP, comme l’illustre cet exemple d’analyse d’ordonnance. 

Le cas

Éric R., 59 ans, agriculteur, est atteint d’un diabète de type 2 depuis une quinzaine d’années. Son père, qui était lui aussi diabétique, est décédé d’un infarctus du myocarde à l’âge de 65 ans. Son métier manuel lui provoque régulièrement des crises d’arthrose des doigts. Il a consulté son médecin traitant pour renouveler son traitement chronique et, n’ayant pas pu obtenir un rendez-vous rapide chez le dentiste, en a profité pour évoquer un abcès dentaire.

Point de vigilance : la prescription est-elle recevable ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 9 « prescription non conforme » (support ou prescripteur, manque d’informations ou de clarté, voie d’administration inappropriée).

La prescription est-elle cohérente ?

Que comporte la prescription ?

La sitagliptine et la metformine sont deux principes actifs antihyperglycémiants.

En prévention des complications cardiovasculaires chez les patients à risque, une association de molécules est prescrite : de l’acétylsalicylate de lysine (aspirine), antiagrégant plaquettaire ; du ramipril, un inhibiteur de l’enzyme de conversion à effet vasodilatateur ; de l’atorvastatine, un hypocholestérolémiant.

L’amoxicilline est un antibiotique appartenant à la famille des bêtalactamines.

Points de vigilance : la prescription recense-t-elle tous les médicaments attendus ? N’y a-t-il pas de doublon ? Les médicaments prescrits sont-ils adaptés à la pathologie ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 5 « oubli de prescription » ; 7 « prescription d’un médicament non justifié » ; 8 « redondance ».

Est-elle conforme aux stratégies thérapeutiques de référence ?

Oui, le traitement chronique suit les recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) de 2021 sur la prévention du risque cardiovasculaire. Selon les recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de 2011, la prise en charge d’un abcès dentaire repose sur la prescription d’amoxicilline en première intention.

Point de vigilance : la thérapeutique mise en place est-elle conforme aux recommandations en vigueur ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 1 « contre-indication/ non-conformité aux référentiels ».

Y a-t-il des interactions ?

Aucun des médicaments n’augmente le risque hémorragique lié à la prise d’aspirine ni ne présente une activité d’inhibiteurs du cytochrome P450 3A4, qui majorerait les effets indésirables de l’atorvastatine tels que la rhabdomyolyse. L’association de ramipril et de sitagliptine majore le risque de survenue d’un angio-œdème. Cette interaction a déjà été discutée antérieurement avec le prescripteur, qui a maintenu sa prescription.

Point de vigilance : y a-t-il des interactions entre les différentes molécules prescrites ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 3 « interaction médicamenteuse » (association à prendre en compte, précaution d’emploi, association déconseillée, association contre-indiquée, publiée).

Les posologies sont-elles cohérentes ?

Oui, pour le traitement chronique. En prévention primaire du risque cardiovasculaire, la dose journalière d’acétylsalicylate de lysine s’élève à 75 mg, et celle d’atorvastatine, à 10 mg. Chez les patients atteints d’un diabète de type 2 insuffisamment contrôlé par la metformine seule, l’association avec de la sitagliptine à 100 mg par jour (répartie en 2 prises) permet d’améliorer l’équilibre glycémique. La dose à 10 mg de ramipril correspond à la dose journalière maximale.

En revanche, pour la prise en charge de l’abcès dentaire, la posologie recommandée de l’amoxicilline est de 2 g par jour répartis en 2 prises pendant 7 jours.

Point de vigilance : les posologies sont-elles conformes aux monographies et/ou aux recommandations en vigueur ?

Identification d’un problème : oui. La durée du traitement antibiotique de 10 jours est inadaptée.

Codages : 2 « problème de posologie » et 7 « prescription d’un médicament non justifié » (un médicament est prescrit sur une durée trop longue sans risque de surdosage). L’amoxicilline est recommandée en cas d’abcès dentaire, ce n’est donc pas une non-conformité aux référentiels. L’intervention est codée 1 « adaptation posologique ».

Résolution du problème : contacter le médecin prescripteur pour valider la proposition de raccourcir à 7 jours la durée de traitement et terminer de coder l’IP, notamment la partie « devenir de l’intervention. »

Le traitement nécessite-t-il une surveillance biologique ?

Oui. Le traitement par ramipril requiert un suivi régulier de la kaliémie, dont la fréquence dépend de la fonction rénale. L’évaluation de la fonction rénale (débit de filtration glomérulaire, ou DFG) est indiquée au minimum 1 fois par an avec la prise de ramipril et de metformine. Ces contrôles sont renforcés en cas de situation d’aggravation (diabète, déshydratation, décompensation cardiaque, entre autres). Le patient précise que son médecin généraliste lui a déjà prescrit des analyses biologiques.

Point de vigilance : le patient est-il informé du suivi clinique et biologique à respecter au cours de son traitement ?

Identification d’un problème : non.

Codage à envisager si problème : 10 « monitorage à suivre ».

La dispensation est-elle possible ?

Approvisionnement

Kardégic 75 mg est en rupture d’approvisionnement au moment de la délivrance. Les informations trouvées dans le service DPRuptures (accessibles depuis le logiciel de gestion de la pharmacie) indiquent une indisponibilité durant plusieurs semaines. Le patient précise qu’il n’a plus de Kardégic 75 mg en stock chez lui.

Point de vigilance : les médicaments prescrits sont-ils disponibles ?

Identification d’un problème : Kardégic 75 mg est manquant pour une durée indéterminée.

Analyse du problème : élaborer une solution de remplacement. Il existe 2 spécialités (Resitune et Aspirine Protect) ayant la même indication que Kardégic. Resitune, commercialisé sous forme de flacon, peut être difficile à ouvrir pour Éric, qui souffre d’arthrose digitale. Aspirine protect 100 mg en blister présente la même efficacité que Kardégic 75 mg en sachet (recommandations ESC, 2019).

Codages : le problème est codé 6.1 « médicament ou dispositif non reçu par le patient – indisponibilité ». L’intervention est codée 6 « changement de médicament ».

Résolution du problème : contacter le médecin prescripteur pour qu’il valide la proposition et termine de coder l’IP, notamment la partie « devenir de l’intervention ».

Quels conseils donner ?

En cas d’oubli

Éric présente une bonne adhésion globale à son traitement. Rappeler que les doses oubliées doivent être prises dès que possible mais ne doivent pas être doublées le lendemain.

Points de vigilance : le patient adhère-t-il à son traitement ? Connaît-il la conduite à tenir en cas d’oubli ?

Identification d’un problème : non.

Codage IP à envisager si problème : 6.2 « médicament ou dispositif non reçu par le patient – inobservance ».

Sensibiliser aux principaux effets indésirables

Des saignements abondants et persistants ou des signes d’hémorragie interne, liés à la prise d’aspirine, requièrent une consultation médicale. Le traitement par ramipril est parfois à l’origine d’une toux sèche qui peut nécessiter d’avoir recours à un autre antihypertenseur (le plus souvent un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II). Par ailleurs, l’apparition d’un angio-œdème impose l’arrêt du ramipril. L’atorvastatine peut être responsable de troubles digestifs, de céphalées et de sensations vertigineuses. Si des atteintes musculaires apparaissent, le dosage de la créatine phosphokinase est nécessaire.

L’association sitagliptine/metformine (Velmetia) provoque principalement des troubles digestifs peu graves, qui peuvent être atténués par la prise du comprimé en fin de repas. Des douleurs abdominales aiguës et intenses (rares cas de pancréatites) exigent l’arrêt de Velmetia. Une dyspnée, associée à des douleurs abdominales, à des crampes musculaires et à de la fatigue, impose une prise en charge rapide et l’arrêt de la metformine.

Point de vigilance : les traitements sont-ils à l’origine d’effets indésirables ?

Identification d’un problème : non.

Codage IP à envisager si problème : 4 « effet indésirable ».

Réalisé par Julien Gravoulet, Felicia Ferrera Bibas, Sandrine Masseron, Éric Ruspini, Jean-Didier Bardet, Guillaume Gory-Delabaere, Cécile Bourrier, Stéphanie Satger, pharmaciens et pharmaciennes d’officine, membres de la Société française de pharmacie clinique (SFPC)

Article issu du cahier Formation du n°3544, paru le 11 janvier 2025