Lupus : l’espoir des CAR-T cells

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Lupus : l’espoir des CAR-T cells

Publié le 1 mars 2025
Par Romain Loury
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Maladie auto-immune rare, le lupus systémique a vu sa prise en charge s’améliorer ces dernières années. Si les biothérapies pour la traiter ont connu un lancement tardif, la maladie rencontre un regain d’intérêt et fait désormais figure, parmi les maladies auto-immunes, de pionnière dans l’étude des CAR-T cells.

Affectant plusieurs organes (peau, articulations, rein, cœur, système nerveux, poumons, etc.), le lupus systémique survient le plus souvent chez des femmes (90 % des patients), avec un pic de fréquence entre 30 et 39 ans. Maladie longtemps associée à un faible pronostic (53 % de survie à cinq ans au début des années 1950), les chances se sont nettement améliorées au cours des dernières décennies, atteignant désormais 90 % à dix ans, rappelle le Pr Laurent Arnaud, du service de rhumatologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg (Bas-Rhin).

La raison ? « Des progrès thérapeutiques, une meilleure reconnaissance de la maladie, un diagnostic plus précoce, poursuit-il. Il demeure toutefois une surmortalité, qui ne diminue plus, comme si on avait atteint une sorte de plafond. C’est peut-être lié au fait que les traitements ont leurs limites ou que le système de santé ne répond pas suffisamment à cette problématique. » En France, on estime que le diagnostic est établi, en moyenne, un an après la survenue des premiers symptômes. « La plupart d’entre eux sont polymorphes, ils peuvent toucher tous les tissus et tous les organes. La maladie se rencontre donc dans des circonstances très diverses, avec des présentations souvent peu spécifiques, telles que des douleurs articulaires. C’est en partie ce qui explique le retard au diagnostic », avance Laurent Arnaud, qui appelle à « un nouveau paradigme de la prise en charge, mais aussi diagnostique et thérapeutique ».

Diagnostic et prise en charge

L’affection demeure mal connue de nombreux médecins, en particulier des généralistes. « Ils ne sont pas trop au fait du lupus, et il est fréquent que certains d’entre eux m’appellent pour me demander vers qui orienter un patient », explique Johanna Clouscard, présidente de l’association Lupus France. Elle-même touchée, son généraliste « ne voudra pas [la] voir pour [son] lupus, parce qu’il connaît très peu cette maladie, par manque de formation ». Pour améliorer la prise en charge, l’État a mis en place, dans le cadre des plans nationaux maladies rares, la filière de santé des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares (FAI2R), qui regroupe 33 centres de référence et 93 centres de compétence répartis sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié, début 2024, un protocole national de diagnostic et de soins sur le lupus systémique de l’adulte et de l’enfant, afin d’homogénéiser l’accompagnement.

Côté traitements, le lupus a longtemps été à la traîne de la révolution des biothérapies, loin derrière la polyarthrite rhumatoïde (PR) et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Il aura fallu attendre 2011 pour qu’une première biothérapie, le belimumab (Benlysta), obtienne une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’Union européenne. Depuis, un autre traitement ciblé, l’anifrolumab (Saphnelo, usage hospitalier), a été homologué en 2022. Quant au rituximab (MabThera), sans indication officielle dans le lupus, il constitue une option hors AMM1. Soit deux biothérapies disposant d’une AMM dans le lupus, alors que la PR en compte actuellement une quinzaine.

Une maladie complexe

Selon le Pr Éric Hachulla, chef du service de médecine interne et d’immunologie clinique du CHU de Lille (Nord) et coordonnateur de la filière FAI2R, « les industriels se sont d’abord concentrés sur la PR pour développer leurs biothérapies. C’est resté ainsi pendant 10 à 15 ans. Comme il y a désormais saturation dans le domaine de la PR, ils s’intéressent un peu plus à d’autres maladies auto-immunes, comme le lupus et le syndrome de Sjögren ». Autre explication, la complexité du lupus : « Il s’agit d’une maladie protéiforme, qui n’est pas aussi simple à évaluer que la PR, où l’on peut compter le nombre d’articulations douloureuses et gonflées. Cela rend plus difficile l’identification d’un objectif principal à atteindre lors des essais thérapeutiques.»

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Du fait du caractère polymorphe de la maladie, la recherche a en effet longtemps été freinée dans l’évaluation de son activité. Selon Laurent Arnaud, « on comprend mieux maintenant comment mener des essais dans le lupus. Toutefois, nous avons connu ces dernières années une série d’échecs thérapeutiques : environ 25 molécules ont été développées jusqu’en phase 2 ou en phase 3, sans finalement atteindre le critère de jugement, ce qui a engendré beaucoup de déceptions. Les causes de ces échecs sont variées, notamment un problème de design des protocoles, ou le fait que les patients recevaient beaucoup de corticoïdes, ce qui a pu masquer un éventuel effet des traitements testés ».

Autant d’écueils qui, s’ils sont loin d’être tous levés, sont désormais mieux compris. De nombreux agents biologiques sont en cours de développement dans le lupus et deux d’entre eux, l’obinutuzumab (Gazyvaro, usage hospitalier) et le dapirolizumab pegol, ont récemment obtenu des résultats positifs de phase 32. Longtemps l’un des parents pauvres de la rhumatologie, le lupus bénéficie d’un regain d’intérêt, en témoigne le nombre de publications et de communications lors des congrès médicaux internationaux.

Éruption de nouvelles recommandations

Si l’hydroxychloroquine demeure le traitement de première ligne, les recommandations publiées en 2023 par l’Eular et l’ACR, sociétés savantes européenne et américaine3, proposent une utilisation plus précoce des biothérapies. « De plus en plus, on considère les agents biologiques après échec de la corticothérapie et de l’hydroxychloroquine. On peut tout de même utiliser le méthotrexate, car il permet des résultats assez remarquables sur les symptômes articulaires et cutanés. Mais ensuite, plutôt que d’utiliser un immunosuppresseur fort [de type conventionnel, c’est-à-dire non biologique], on teste le bélimumab ou l’anifrolumab », explique Éric Hachulla.

Autre nouveauté des recommandations internationales, l’appel à réduire la corticothérapie afin d’en limiter les nombreux effets indésirables, et si possible de l’arrêter. « L’objectif est de ne pas maintenir un traitement au long cours avec plus de 5 mg par jour de prednisone [dans les précédentes recommandations, en 2019, ce seuil était de 7,5 mg par jour, NDLR]. D’où la nécessité d’ajouter un immunosuppresseur [conventionnel ou biologique] pour permettre l’épargne cortisonique », explique Laurent Arnaud. Une stratégie dont la compréhension paraît encore insuffisante : selon les résultats de l’étude française LUPIN-F, évaluant l’usage de corticoïdes dans le lupus, 11,7 % des patients pris en charge n’ont droit à aucun autre traitement que les corticoïdes, pas même de l’hydroxychloroquine, et ce à des doses souvent très supérieures à celles recommandées.

L’espoir des CAR-T 

Piste thérapeutique très prometteuse, les cellules T à récepteur antigénique chimérique (CAR-T cells) ont permis une amélioration spectaculaire chez les quelques dizaines de patients lupiques traités à ce jour, avec plusieurs cas de rémission maintenue sans intervention supplémentaire. Actuellement indiquée contre certains cancers hématologiques, cette technique consiste à prélever les lymphocytes B du patient par leucaphérèse, puis à les modifier génétiquement ex vivo par introduction d’un gène codant pour un récepteur chimérique, le CAR, ou chimeric antigen receptor. Celui-ci porte, dans sa partie extracellulaire, des fragments d’anticorps dirigés contre un antigène à cibler, par exemple ceux présentés en surface des cellules tumorales.

Une fois réinjectés au patient, les lymphocytes T modifiés, désormais CAR-T cells, se multiplient, puis s’attaquent à l’antigène ciblé par le CAR, détruisant les cellules porteuses. Dans les maladies auto-immunes, dont le lupus, les CAR-T cells sont ciblées contre le récepteur CD19 des lymphocytes B, producteurs d’anticorps, donc responsables du processus auto-immun. Les CAR-T cells induiraient une réinitialisation de cette population cellulaire, qui, lorsqu’elle se reconstitue au bout de quelques semaines, présente un profil très différent, dénué de lymphocytes autoréactifs. Selon Éric Hachulla, « cela permet des rémissions incroyables, parfois prolongées, même avec un arrêt des traitements. C’est peut-être un espoir de guérison pour certains patients, il faudra le démontrer » .

Ces trois anticorps monoclonaux sont dirigés contre la cytokine Baff, ou B-cell activating factor, activant les lymphocytes B (belimumab), contre la sous-unité 1 du récepteur à l’interféron de type I, IFNAR1 (anifrolumab), et contre la molécule de surface CD20 des lymphocytes B (rituximab).

2 L’obinutuzumab est un anticorps monoclonal dirigé contre le CD20, tandis que le dapirolizumab pegol cible le ligand du CD40 (CD40L), impliqué dans l’activation des lymphocytes B.

3 Eular : European League Against Rheumatism ; ACR : American College of Rheumatology.

À retenir

  • Le lupus systémique, ou lupus érythémateux disséminé, est une maladie auto-immune rare (41 cas sur 100 000 personnes en France) qui affecte de nombreux organes.
  • En raison de son caractère polymorphe, son diagnostic demeure difficile et l’utilisation des biothérapies contre cette maladie n’a connu qu’un début tardif
  • Plusieurs essais de petite taille suggèrent une grande efficacité de la thérapie cellulaire par les CAR-T cells, avec plusieurs cas de rémission maintenue sans traitement.