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© Getty Images/iStockphoto
Modèles miniatures : tout devient « organoïde » dans notre vie
Pouvoir tester des médicaments sur des modèles miniatures de foie, de rein, de cœur, d’intestin et même de cerveau humains ne relève plus de la science-fiction. Depuis une dizaine d’années, les organoïdes ouvrent la voie à des applications inédites et, par la même occasion, invitent les chercheurs à relever de nouveaux défis.
Imiter des structures et des fonctions
Ils sont parfois qualifiés de « mini-organes », par souci de simplification et de compréhension. Une appellation « erronée et excessive », met en garde Nathalie Vergnolle, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et pharmacologue de formation. « Il ne s’agit pas d’organes à part entière, plutôt de structures cellulaires en trois dimensions qui reproduisent une partie des qualités fonctionnelles et structurelles d’un organe », précise-t-elle. Le point de départ ? Des cellules souches prélevées directement au sein de l’organe à partir duquel on souhaite produire l’organoïde, ou bien des cellules souches pluripotentes induites (IPS), issues de tissus matures, reprogrammées et capables de se différencier en tous les types cellulaires possibles. « Les cellules sont ensuite mises en culture dans des milieux spécifiques, le plus souvent dans un matrigel qui contient un ensemble d’éléments, comme des facteurs de croissance, où elles prolifèrent, s’auto-assemblent et se différencient », poursuit la chercheuse, également directrice de l’Institut de recherche en santé digestive à Toulouse (Haute-Garonne), où sont fabriqués des organoïdes d’intestin, de vessie, de foie, de trompe et d’épididyme humains.
Ces assemblages cellulaires en 3D, dont les plus volumineux mesurent à peine quelques millimètres, reproduisent certaines fonctions de l’organe de départ. Certaines, pas toutes. « Un foie humain possède environ 40 fonctions connues. Elles ne se retrouvent jamais intégralement dans un organoïde de foie. D’ailleurs, quand on décrit un organoïde, nous devons toujours préciser quelles fonctions il est en capacité de reproduire », souligne Jean-Luc Galzi, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui a animé la création du réseau national de recherche sur les organoïdes. Des fonctions plus complexes s’obtiennent en combinant plusieurs organoïdes entre eux – on parle alors d’« assembloïdes » – ou en les disposant sur des supports qui permettent de mimer un système de vascularisation ou d’innervation artificiel, des contraintes mécaniques, etc. Ces « organoïdes sur puce » font l’objet d’un programme de financement annoncé dans le cadre du plan France 2030, au titre des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) – de l’ordre de 48 millions d’euros.
Un potentiel révolutionnaire
Comparés à ceux d’autres modèles de recherche, les avantages des organoïdes sont nombreux. « Ce sont principalement des structures formées à partir de cellules humaines, détaille Nathalie Vergnolle. Ils correspondent à des modèles physiologiques ou pathologiques, selon le type des cellules initiales. » Les structures organoïdes pathologiques présentent plusieurs intérêts. Elles permettent ainsi de comprendre les mécanismes en cause dans la survenue des maladies ou de réaliser des tests pharmacologiques à visée prédictive. Le modèle le plus développé à ce jour est celui des tumoroïdes, formés à partir de cellules cancéreuses. « Cette étape est déjà en partie franchie. Les tumoroïdes créés à partir de cellules prélevées par biopsie peuvent servir d’outils prédictifs de la réponse du patient à telle ou telle approche thérapeutique et ainsi orienter vers le meilleur choix de traitement anticancéreux », explique Nathalie Vergnolle.
En recherche fondamentale, les organoïdes sont d’ores et déjà utilisés pour identifier les cibles potentielles d’une nouvelle molécule ou pour tester ses toxicités. Les études s’effectuent essentiellement sur des organoïdes de foie, de rein et de cœur dans le développement d’un candidat-médicament, soit les organes où les toxicités médicamenteuses se révèlent en priorité. « Ces applications se restreignent à des domaines pour lesquels nous avons déjà assez d’indications sur la pharmacocinétique et la pharmacodynamie de la molécule. C’est-à-dire quand on connaît déjà dans quels organes des toxicités sont susceptibles d’apparaître », complète Jean-Luc Galzi.
Les tests sur les organoïdes ont également pour vocation d’élargir les indications thérapeutiques de médicaments déjà approuvés. Illustration tangible avec l’un des traitements contre la mucoviscidose mis au point par le laboratoire Vertex, le VX-770 : « Les molécules sont développées et le plus souvent testées chez des patients présentant la mutation la plus fréquente du gène CFTR, en cause dans la maladie. En observant les effets de l’un de ses médicaments sur un organoïde formé à partir des cellules d’une personne qui présentait une autre mutation, le laboratoire a été en mesure d’en prouver l’efficacité et a obtenu une autorisation d’utilisation pour ce sujet donné », éclaire l’expert du CNRS, membre du comité de pilotage du groupement de recherche organoïdes.
Cette méthodologie pourrait ouvrir la voie à un nouveau type d’essais cliniques, comme l’envisage Nathalie Vergnolle : « À ce jour, les molécules que l’on souhaite tester sont proposées à des cohortes de patients sélectionnés. Il est possible d’imaginer des études cliniques avec une approche similaire au départ, la sélection d’une population de patients chez lesquels on prélèverait simplement des cellules afin de créer des organoïdes. Les tests s’effectueraient ensuite sur ces structures cellulaires, in vitro. » Un avenir pas encore totalement concrétisé, puisque la fiabilité et la reproductibilité des protocoles doivent encore être travaillées.
Des bénéfices et des limites
Le développement exponentiel de la recherche clinique sur les organoïdes soulève de nombreuses interrogations. Peuvent-ils remplacer les modèles de recherche existants, notamment les expérimentations animales ? Sur ce sujet, la Food and Drug Administration, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, a ouvert une brèche en permettant l’autorisation de mise sur le marché de médicaments testés sur des organoïdes, sans forcément passer par les tests réglementaires sur les animaux. Cette étape n’a pas été franchie en France, ni en Europe. « À mon sens, on ne peut pas mettre en opposition les deux modèles, ils sont complémentaires, analyse Jean-Luc Galzi. Un organoïde ne pourra jamais remplacer un organisme entier. Nous ne pouvons pas reproduire exactement les interactions entre les différents organes, l’innervation, la vascularisation, l’impact du système immunitaire, etc. » Cependant, il semblerait que les recherches cliniques sur les organoïdes soient utiles pour prédire certaines toxicités hépatiques chez l’humain, avec une meilleure fiabilité que le modèle animal. Ces conclusions ont été révélées par une étude menée aux États-Unis sur 11 molécules testées sur des « foies sur puce » et publiée fin 2022 dans la revue Communications Medicine*.
Si l’on veut espérer étendre les recherches pharmacologiques impliquant des organoïdes, l’autre défi majeur à relever réside dans leur reproductibilité. « Il n’est déjà pas facile pour un seul chercheur d’obtenir systématiquement des organoïdes avec les mêmes propriétés, en raison de paramètres cachés qui restent encore à comprendre. Les différences peuvent donc être très importantes d’un laboratoire à un autre, d’autant plus que les méthodes de fabrication ne sont pas du tout standardisées », reconnaît Jean-Luc Galzi.
Selon lui, les organoïdes mettent en lumière un enjeu éthique majeur, celui de l’accord donné par les patients. « Il est possible de former ces structures à partir de cellules IPS et, potentiellement, de fabriquer n’importe quoi : un organoïde de foie ou de rein, mais aussi des gamètes, des embryons, etc. Nous devons produire un travail important afin d’assurer que le consentement recueilli est réellement éclairé, et informer parfaitement de toutes les possibilités d’utilisation des cellules prélevées, avec un cadre réglementaire strict et scrupuleusement respecté », conclut le chercheur.
* Ewart L., Apostolou A., Briggs S. A. et al, « Performance assessment and economic analysis of a human Liver-Chip for predictive toxicology », Commun. Med. 2, 154 (2022), urls.fr/jG-d1U.
À retenir
- Les organoïdes sont des structures cellulaires auto-organisées en 3D, formées à partir de cellules souches prélevées chez des sujets sains ou malades.
- Ils présentent plusieurs intérêts dans la recherche sur les médicaments : visée prédictive de la réponse d’un traitement, tests de toxicité, recherche de cibles pour de nouvelles molécules, etc.
- Parmi les enjeux de ce nouveau domaine de recherche figurent la standardisation des procédés de fabrication et un meilleur encadrement du recueil des consentements éclairés des sujets.
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