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Bataille de chiffonniers autour de la borréliose de Lyme
Les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la borréliose de Lyme, rendues publiques le 20 juin, ont exacerbé les tensions qui règnent autour de la maladie. Le désaccord qui persiste entre les experts ne doit cependant pas masquer leur objectif commun : la volonté de prendre en charge « tous » les patients. Et de les prendre (enfin ?) au sérieux.
Pour un débat apaisé, on repassera. Co-construites avec des sociétés savantes et des associations de patients pour élaborer le programme national de diagnostic et de soins (PNDS) contre la maladie de Lyme, les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) publiées le 20 juin 2018 ne font, au final, pas consensus. Les experts se livrent une bataille de chiffonniers, à coups de communiqués. La Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), principale partenaire de la HAS, prend ses distances. Motif : le manque de précisions du texte. Officiellement, elle demande le temps de la relecture. Officieusement, elle semble avoir besoin de régler d’abord ses divergences internes sur le sujet.
Dans le camp adverse, la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques (FFMVT), qui réunit médecins, chercheurs et associations de patients, ayant aussi participé aux discussions, s’insurge contre les revirements et les manigances des uns et des autres.
De l’urgence à publier sans consensus
En l’absence de consensus, pourquoi la HAS a-t-elle publié les recommandations ? Déjà, justifie l’instance, par respect pour le travail effectué depuis 18 mois par tous les acteurs concernés pour établir le PNDS. Ensuite, parce que ces recommandations étaient très attendues. Par le patient d’une part, pour avoir une prise en charge adaptée, et par les professionnels de santé d’autre part, essentiellement les médecins de premier recours, souvent démunis, pour bénéficier de lignes directrices et d’outils sur lesquels s’appuyer dans leur pratique, « y compris dans des circonstances où les données de la science peuvent ne pas être formelles », précise la HAS. Initiative ô combien nécessaire, puisque « seulement un tiers des malades diagnostiqués ont le bon traitement », rappelle le Dr Cédric Grouchka, du collège de la HAS.
Ces recommandations ne sont pas « parfaites », reconnaît la HAS, qui insiste : le patient reste sa priorité. « On protège le patient de trois risques », explique Cédric Grouchka. Primo : l’errance diagnostique, « porteuse d’angoisse extraordinaire, de souffrance ». Secundo : éviter aux patients « de tomber dans les filets de charlatans [ … ] qui abusent de leur faiblesse et de leur souffrance ». Tertio : l’antibiothérapie au très long cours, « une bêtise sans nom, totalement inutile et extrêmement dangereuse ». Hasard du calendrier (ou pas), le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, publié la veille, appuie l’urgence, puisqu’il marque une nette hausse dans l’incidence de la borréliose de Lyme en France en 2016 (84 000 cas/100 000 habitants en médecine de ville, versus 55 000 cas/100 000 habitants entre 2009 et 2015). Et s’il fallait voir aussi une pression des patients, invités à la table des discussions ? Ce ne serait pas la première fois que les instances sanitaires cèdent à la volonté des malades. « Non ! », tranche catégoriquement la HAS. Les autres partenaires, également interrogés sur ce sujet, n’ont pourtant pas tous ce ressenti.
Le SPPT pour encadrer la prise en charge
Motif principal de la discorde : la notion de symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique ou SPPT (voir encadré). La HAS se félicite de cette « étape indispensable », même si elle est bien consciente des incertitudes qui entourent Lyme. Les incertitudes, justement, sont tout l’enjeu du débat et cristallisent l’opposition de deux courants de pensée. Pour les infectiologues de la Spilf, le SPPT constitue « un ensemble de symptômes mal défini », qui « n’existe pas dans la littérature médicale internationale et pourrait conduire à des excès de diagnostics susceptibles d’orienter les patients vers des prises en charge inadéquates ». C’est vrai, le concept est flou : le SPPT s’applique à tout patient souffrant de symptômes diffus, à condition d’avoir été potentiellement exposé aux tiques. Ce n’est pas un problème pour la HAS : « Nous ne disons et nous ne pensons pas que ces symptômes sont liés à une maladie de Lyme ». Et d’expliquer : la démarche qu’implique le SPPT devrait permettre de prendre en charge et d’établir un diagnostic pour 90 % des patients qui souffrent ou pensent souffrir d’un Lyme. Le diagnostic posé ne sera pas forcément un Lyme, ce que confirme l’étude récente du Pr Eric Caumes, d’ailleurs membre de la Spilf : après une consultation pour borréliose de Lyme supposée chez 301 patients à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (Paris) entre 2014 et 2017, un autre diagnostic a finalement été posé dans 90 % des cas, notamment des troubles psychosomatiques, une fibromyalgie…
La FFMVT, de son côté, se réjouit de cette « avancée positive », mais qui ne va pas assez loin : le début d’une reconnaissance du « Lyme chronique » tant décrié ? Et de s’insurger : oui, le SPPT est connu, il était déjà mentionné dans le rapport du Haut Conseil de la santé publique de 2014 sur la borréliose de Lyme. Quand on sait que le président de la commission spécialisée en charge des maladies transmissibles n’était autre que le Pr Christian Perronne, vice-président de la FFMVT et fervent défenseur d’un « Lyme chronique », les détracteurs ont beau jeu de douter du bien-fondé de l’argument.
Quoi qu’il en soit, les recommandations de bonne pratique de la HAS priment. Avancée positive ou imprudence ? Des études complémentaires sont nécessaires pour trancher. Les tergiversations autour de ces recommandations prouvent au moins une chose : la protection contre les tiques reste indispensable. C’est d’ailleurs le seul point qui fait consensus.
FAUT-IL S’ATTACHER AU SPPT ?
La notion de symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT) s’applique aux patients exposés à une piqûre de tique – sans piqûre obligatoire – et présentant plusieurs fois par semaine depuis plus de six mois une triade de signes :
– syndrome polyalgique ;
– fatigue persistante avec réduction des capacités physiques ;
– plaintes cognitives.
Chez le patient répondant aux critères, un diagnostic différentiel doit d’abord être effectué. En l’absence de diagnostic, et quelle que soit la sérologie, un traitement antibiotique d’épreuve sera proposé : doxycyline à 200 mg par jour pendant 28 jours (en première intention). Si le patient ne répond pas au traitement d’épreuve, il entrera dans des protocoles de recherche. Peu de patients devraient être finalement concernés, selon la Haute Autorité de santé (HAS), qui assume jusqu’au bout l’inclusion du SPPT dans ses recommandations : « Aujourd’hui, les données scientifiques ne sont pas suffisantes ni pour rejeter son existence ni pour la reconnaître. Ce n’est pas une posture, ce n’est pas un compromis. C’est une conclusion rationnelle, scientifique, à un moment donné. »
La HAS s’engage par ailleurs à réunir les experts tous les six mois et à effectuer une mise à jour de ses recommandations au moins tous les deux ans, en fonction de l’évolution des connaissances.
À RETENIR
• La Haute Autorité de santé (HAS) a publié ses recommandations de bonne pratique concernant la borréliose de Lyme le 20 juin 2018, malgré l’absence de consensus entre les différents partenaires. L’objectif est de prendre en charge rapidement tous les patients et d’éviter les errances médicales.
• Les partenaires se désolidarisent de la HAS, relançant ainsi le débat autour de la borréliose de Lyme.
• Le principal motif de discorde est la reconnaissance du symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT) : peu précis dans sa définition, il permet cependant d’encadrer la stratégie diagnostique et thérapeutique des patients souffrant ou pensant souffrir de la maladie de Lyme.
REPÈRES
MESURES DE PRÉVENTION DES MALADIES VECTORIELLES À TIQUES
Par anne-Hélène collin – Infographie : walter barros
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