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Lutte contre l’antibiorésistance : les anticorps monoclonaux, une ressource en or

Publié le 17 février 2024
Par Yves Rivoal
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Avec la phagothérapie et les peptides antimicrobiens, les anticorps monoclonaux constituent l’une des pistes les plus explorées par la communauté scientifique pour lutter de manière préventive contre le développement de l’antibiorésistance. Explications.

 

« Je suis convaincu que, parmi toutes les molécules à notre disposition pour sortir des antibiotiques et de l’antibiorésistance à grande échelle, les anticorps monoclonaux constituent probablement la piste la plus prometteuse et la plus avancée en matière de développement », explique Bruno François, médecin réanimateur et coordinateur du centre d’investigation clinique du centre hospitalier universitaire de Limoges (Haute-Vienne). D’abord parce qu’ils visent le pathogène, et non l’hôte, en se focalisant sur une ou deux cibles spécifiques de la bactérie pour s’attaquer aux facteurs de virulence. Autrement dit, ils la désarment, mais sans la tuer. Cette stratégie se révèle très efficace lorsque l’on parvient à identifier la bonne cible, celle qui est la seule impliquée ou prédominante dans l’invasivité ou la pathogénie de la bactérie. Là où les choses se compliquent, c’est lorsque cette dernière dispose de plusieurs armes. Si vous n’en retirez qu’une, vous ne l’atteignez pas complètement. »

Atouts majeurs

 

Les anticorps monoclonaux ont d’autres atouts majeurs à faire valoir. « Ils n’entraînent pas de phénomènes de résistance puisqu’ils se contentent de désarmer la bactérie en ciblant ses systèmes d’attaque, sans toucher à ses défenses, souligne Bruno François. L’autre gros intérêt, c’est qu’il y a très peu d’interactions médicamenteuses, et comme ces anticorps sont parfois synergiques avec les antibiotiques, nous pourrons les utiliser en cotraitement. » « Les anticorps monoclonaux se distinguent également par leur très grande spécificité et par le fait qu’ils sont en général bien tolérés, note Axelle Amen, enseignante à la faculté de pharmacie de Grenoble (Isère). Les premiers anticorps monoclonaux étaient d’origine murine, car obtenus par injection d’antigènes à des souris. Ils étaient reconnus comme du “non-soi” par le système immunitaire, et détruits, ce qui s’accompagnait d’une perte d’efficacité du traitement. Désormais, les anticorps monoclonaux de dernière génération ont une structure totalement humaine et sont par conséquent bien tolérés par le système immunitaire. Ils ne sont donc pourvoyeurs que d’effets indésirables relativement légers, notamment à la zone d’injection, à l’inverse des antibiotiques qui provoquent souvent des effets indésirables systémiques. » « Ils présentent enfin l’avantage d’avoir une très longue demi-vie, ajoute Bruno François. Avec une seule injection, l’efficacité peut aller jusqu’à six mois. Cela représentera un réel avantage pour le traitement de pathologies chroniques ou aiguës pour lesquelles il faut aujourd’hui prendre des antibiotiques plusieurs fois par jour. »

 

Trois traitements ont déjà été mis sur le marché. « Le premier, le bezlotoxumab (Zinplava), est un anticorps monoclonal humain antitoxine B qui neutralise l’activité de la bactérie Clostridium difficile. Il est administré aux adultes à haut risque de récidives d’infection par cette bactérie, précise Axelle Amen. Les deux autres, le raxibacumab (ABthrax) et l’obiltoxaximab (Nyxthracis), sont des anticorps dirigés contre la toxine de Bacillus anthracis. Ils sont indiqués dans la prévention ou dans le traitement de la maladie du charbon. Ils ont donc vocation à être utilisés par les forces militaires dans le cadre du risque bioterroriste. »

Cibles prioritaires

 

Les nombreux travaux de recherche en cours se concentrent essentiellement sur des bactéries figurant sur la liste d’agents pathogènes jugés prioritaires par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : Enterococcus faecium, Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniae, Acinetobacter baumannii, Pseudomonas aeruginosa et Enterobacter species (Eskape). « Les deux axes de recherche les plus avancés portent sur Staphylococcus aureus, qui fait l’objet d’un essai de phase 3, et Pseudomonas aeruginosa qui est lui en phase 2, précise Bruno François. Sur Acinetobacter baumannii, Klebsiella pneumoniae et Escherichia coli, les travaux sont moins avancés car ces pathogènes disposent de beaucoup plus de cibles. Pour les désarmer, il faudra développer des anticorps plurispécifiques, ce qui complique la donne. A ma connaissance, il n’y a pas d’anticorps monoclonal en développement pour Enterococcus faecium. »

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Dans le cadre de la thèse en microbiologie et immunologie qu’il a obtenue en 2022 à l’Institut de biologie structurale (IBS) de Grenoble, Jean-Mathieu Desveaux a, lui, travaillé sur l’isolement d’anticorps monoclonaux humains à visée thérapeutique dirigés contre le système de sécrétion de type III de Pseudomonas aeruginosa. « Nos travaux ont démontré que cette approche était prometteuse puisque grâce à une stratégie de tri de lymphocytes B mémoire spécifiques d’un antigène recombinant, nous avons réussi à isoler un anticorps ciblant la protéine PcrV et inhibant le système de sécrétion de type III de Pseudomonas aeruginosa, explique-t-il. Si cet anticorps monoclonal a eu une activité in vitro sur cinq variants de PcrV présents dans plus de 80 % des isolats cliniques, des études précliniques devront maintenant être menées afin de démontrer qu’il a un avenir en matière de développement vers des applications thérapeutiques. »

 

Bruno François se montre optimiste quant à la capacité de la communauté scientifique de faire émerger de nouveaux anticorps monoclonaux efficaces pour lutter contre l’antibiorésistance. « Nous disposons déjà de PCR Multiplex afin de documenter les bactéries quasiment en temps réel, quel que soit le fluide concerné, rappelle-t-il. Grâce à cette capacité de caractérisation, nous serons capables dans un avenir très proche de prédire la résistance et la virulence d’une bactérie puisque cette documentation est déjà quasiment disponible au lit du malade. Ce qui nous manque, ce sont les armes à mettre en face, car contrairement à l’oncologie, où les médecins ont à leur disposition une centaine d’anticorps monoclonaux différents, pour les bactéries résistantes, nous n’en sommes malheureusement pas là, faute de financement. »

Manque de volonté

 

Le développement d’un nouvel anticorps monoclonal nécessite en effet d’investir des dizaines et des dizaines de millions d’euros. « Or, aujourd’hui, le retour sur investissement est jugé insuffisant par les firmes pharmaceutiques qui préfèrent se focaliser sur l’oncologie, constate Bruno François. Tous les grands groupes comme Pfizer, AstraZeneca ou Sanofi avaient des programmes monoclonaux. Ils les ont soit mis au placard, soit revendus. Et les quelques acteurs qui restent présents sont peu nombreux et tous en difficulté financière. Les derniers à mettre de l’argent sur la table sont des opérateurs non-gouvernementaux ou des agences de type Barda [Biomedical advanced research and development authority, NdlR] aux Etats-Unis. »

 

Ce manque d’appétence et de volonté politique pour lutter contre l’antibiorésistance attriste le chercheur. « D’autant qu’il ne manque pas grand-chose. Si demain, l’OMS ou la fondation Bill-et-Melinda-Gates décidait de mettre le “paquet” sur ce sujet et si les autorités de régulation du médicament accordaient des autorisations d’accès précoce à ces molécules, cela pourrait aller très vite. D’ici cinq ans, nous pourrions voir arriver les premiers monoclonaux anti-infectieux sur le marché à visée préventive ou curative, d’abord à l’hôpital, puis, dans un second temps, probablement à l’officine. »