Agressions et vols : qui protège les pharmaciens ?

© Getty Images/iStockphoto - Robber pointing a gun at an pharmacist to steal prescriptions.

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Agressions et vols : qui protège les pharmaciens ?

Publié le 25 novembre 2024 | modifié le 28 novembre 2024
Par Elisabeth Duverney-Prêt
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Entre frustrations des patients et hausse des actes délictueux, les pharmacies font face à une insécurité croissante. Les professionnels appellent à une reconnaissance de leur exposition et à des mesures de protection adaptées.

Les officines, qui accueillent chaque jour près de quatre millions de Français pour des prescriptions, des conseils ou des vaccinations, se retrouvent au cœur d’une crise de tensions croissantes. Ce lieu d’échanges, pierre angulaire du système de santé de proximité, subit de plein fouet les frustrations accumulées par un public parfois désorienté ou mécontent. Ordonnances mal rédigées, produits en rupture de stock, cartes Vitale défaillantes ou hausse perçue des coûts de santé – comme en témoigne le renoncement de 36 % des Français à acheter certains médicaments faute de remboursement – alimentent un climat délétère. Si ces irritations restent le plus souvent verbales, elles débouchent de plus en plus fréquemment sur des actes délictueux.

Les pharmaciens exercent une profession à risques

Vols à l’étalage, cambriolages nocturnes, escroqueries par fausses ordonnances : les pharmacies sont désormais la cible d’une délinquance protéiforme et en nette augmentation. Selon l’Ordre national des pharmaciens, les signalements d’agressions et de vols en officine ont bondi de 30 % en 2023, une tendance qui se maintient en 2024. Ces chiffres, alarmants, ne reflètent pourtant qu’une partie de la réalité, car de nombreux professionnels hésitent encore à porter plainte, souvent par manque de temps ou par crainte de représailles.

Les forces de l’ordre confirment cette hausse, particulièrement marquée dans les départements urbains tels que la Gironde, la Haute-Garonne ou les Bouches-du-Rhône. Bien que les infractions concernent majoritairement des vols et des escroqueries, les agressions physiques, bien que minoritaires, traduisent l’exposition particulière de cette profession. « Les pharmaciens exercent une profession à risque », explique le capitaine Fanny Tabellion, référente nationale des référents sûreté au sein de la gendarmerie, citant des facteurs aggravants comme les permanences de nuit, la présence de produits de valeur ou encore l’accueil de publics parfois vulnérables ou en situation de dépendance.

Un appel à la reconnaissance des risques

Face à cette insécurité grandissante, les syndicats de pharmaciens appellent à des mesures fortes. À commencer par une reconnaissance officielle de leur métier comme profession à risques, à l’instar des bijoutiers ou des buralistes. Ce statut permettrait aux officines d’accéder à des aides financières pour financer des équipements de sécurité plus performants.

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Car protéger une pharmacie a un coût. Vigiles, portiques antivol, systèmes de vidéosurveillance ou solutions d’intelligence artificielle sont autant de dispositifs indispensables mais coûteux. « Certains systèmes, comme les caméras connectées à des logiciels d’analyse comportementale, permettent de détecter des situations suspectes, mais ils nécessitent encore des améliorations pour éviter les fausses alertes », explique Christophe Besnard, directeur du réseau Pharmacie Lafayette. Malgré ces outils, l’investissement demeure un obstacle pour de nombreuses officines, particulièrement dans les zones rurales où les marges sont souvent plus faibles.

Prévenir l’agressivité et former les équipes

Au-delà de la technologie, la formation et la prévention sont des leviers essentiels pour garantir la sécurité en officine. Des initiatives comme celles de l’URPS Grand-Est permettent aux pharmaciens d’acquérir des compétences pour gérer les différents types d’agressivité rencontrés au comptoir : patients mécontents, voleurs opportunistes ou agresseurs malveillants. « Il s’agit d’apprendre à reconnaître les signaux d’une situation qui dégénère et à adopter les bons réflexes : interrompre l’échange, se protéger ou s’éloigner du danger », précise Julien Gravoulet, secrétaire général de l’URPS.

De leur côté, les forces de l’ordre proposent des audits de sûreté gratuits pour les officines, axés sur des mesures simples mais efficaces : améliorer l’éclairage extérieur, renforcer les portes et les rideaux métalliques ou encore installer des systèmes d’alarme et de détection de mouvements. « Tout est pensé pour dissuader et retarder les actes malveillants », souligne le capitaine Tabellion, qui insiste aussi sur l’importance de définir des protocoles internes pour gérer les situations d’urgence.

Lever le frein des plaintes

Un obstacle persistant limite toutefois l’efficacité des mesures : la sous-déclaration des faits. Les syndicats, l’Ordre des pharmaciens et les forces de sécurité exhortent les professionnels à signaler systématiquement les agressions et les vols. « Chaque plainte est essentielle, car elle nous permet d’adapter nos propositions aux pouvoirs publics et de mieux cibler nos interventions », insiste Gildas Bernier, référent sécurité de l’Ordre.

Pourtant, beaucoup de pharmaciens doutent de l’utilité de ces démarches. « Malgré des arrestations en flagrant délit, les sanctions se limitent souvent à des rappels à la loi, même pour des récidivistes », déplore Cyril Colombani, porte-parole de l’USPO et pharmacien à Roquebrune-Cap-Martin. Un sentiment d’abandon renforcé par le gel d’un projet de loi, adopté en mars dernier par l’Assemblée nationale, qui prévoyait des sanctions renforcées contre les agressions envers les professionnels de santé.

Une profession en première ligne

Au-delà des pharmacies, ces violences traduisent une crise plus large, révélatrice des tensions sociales et économiques qui pèsent sur le système de santé. En première ligne, les pharmaciens se retrouvent à jongler entre leur rôle de soignants et celui de garants de la sécurité. Si des solutions commencent à émerger, elles restent insuffisantes face à l’ampleur des défis. La reconnaissance du statut de profession à risque et une mobilisation collective sont devenues indispensables pour protéger ces acteurs essentiels du parcours de soins.