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Mucoviscidose et CFTR : la bonne inspiration
Longtemps une maladie mortelle dès l’enfance, la mucoviscidose, liée à une mutation du gène CFTR (voir encadré), a vu son pronostic évoluer très favorablement depuis une dizaine d’années. De 19,5 ans en 2012, l’âge moyen des patients français a atteint 25,2 ans en 2022. Selon Thierry Nouvel, directeur général de l’association Vaincre la mucoviscidose, « le tournant, c’est la généralisation du dépistage néonatal en 2002. Parallèlement, un réseau de centres spécialisés [les centres de ressources et de compétences de la mucoviscidose, ou CRCM, au nombre de 45, NDLR] a été établi. Cela a permis un suivi multidisciplinaire au long cours par des pédiatres, des pneumologues, etc., et une structuration de la filière mucoviscidose ».
À l’origine de la mucoviscidose
Codée par un gène identifié en 1989, la protéine CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) est un canal ionique présent dans la membrane cellulaire de diverses muqueuses, qui permet l’échange d’ions chlorures entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. L’altération du gène conduit à une protéine CFTR non fonctionnelle, voire absente, d’où une diminution de l’eau excrétée au niveau des muqueuses, et un épaississement du mucus qui les protège. Parmi les principaux symptômes qui en découlent, ceux de nature pulmonaire, tels qu’une toux chronique, des difficultés respiratoires, des infections, une dégradation de la fonction respiratoire… ou encore des effets digestifs (douleurs abdominales, diarrhées, faible poids, retard de croissance chez l’enfant), du fait d’un blocage de la sécrétion d’enzymes au niveau des canaux pancréatiques, obstrués par le mucus.
Ce renforcement de la prise en charge s’est d’abord appuyé sur des traitements symptomatiques (aérosolthérapie, cures d’antibiotiques, kinésithérapie respiratoire, extraits pancréatiques, etc.), les seuls qui existaient alors, avec la greffe pulmonaire en ultime recours. La donne a changé en 2012, avec l’arrivée d’un médicament novateur agissant sur la protéine CFTR, l’ivacaftor (Kalydeco), le premier à cibler la cause de la maladie. Malgré son efficacité, il n’était actif que sur quelques mutations de CFTR, présentes chez 2 % des patients. Par la suite, d’autres modulateurs de CFTR (lumacaftor + ivacaftor dans Orkambi, tezacaftor + ivacaftor dans Symkevi) sont arrivés sur le marché, produits également par le laboratoire Vertex. Ciblant d’autres profils de mutation, ils ont permis d’élargir la population cible.
Un nouveau pas a été franchi en 2021 avec la commercialisation de la trithérapie Kaftrio (elexacaftor/tezacaftor/ivacaftor), hautement efficace, active chez plus de 9 patients sur 10 (1). Selon le Pr Pierre-Régis Burgel, directeur du centre de référence maladies rares (CRMR) de la mucoviscidose à l’hôpital Cochin (Paris), « l’arrivée de Kaftrio a révolutionné la prise en charge, en matière de mortalité comme de greffe pulmonaire. Depuis 2020, le nombre de nouvelles transplantations pour mucoviscidose en France a été divisé par 10. Nos malades se trouvaient dans un état de santé préoccupant, certains étaient inscrits sur une liste de transplantation, en réanimation avec de fortes doses d’oxygène. Après quelques jours de Kaftrio, ils allaient mieux : bien que demeurant atteints d’une maladie grave, nombreux sont ceux qui n’avaient plus besoin d’oxygénothérapie. Les modulateurs de CFTR permettent un désencombrement bronchique très rapide, avec des patients qui arrêtent de cracher et de tousser dès les premières heures de traitement. On a transformé une maladie mortelle en maladie chronique grave, sans encore guérir les malades ».
92 % des patients éligibles en France
La trithérapie Kaftrio, à prendre en association avec Kalydeco, est indiquée chez les patients âgés de plus de 2 ans, porteurs d’au moins une mutation F508del (2), la plus fréquente des près de 2 000 mutations de CFTR. En France, environ 82 % des patients sont porteurs de F508del et sont donc éligibles à ce traitement. Du moins parmi les non-transplantés pulmonaires : chez les greffés, porteurs d’un poumon non mucoviscidosique, les modulateurs de CFTR ont peu d’effet.
Cette proportion a depuis été revue à la hausse. Lors de travaux menés sur des lignées cellulaires présentant d’autres mutations, Vertex en a identifié 177 qui répondent au traitement, désormais intégrées à l’indication en vigueur aux États-Unis. Tel n’est pas le cas dans l’Union européenne, où l’Agence européenne des médicaments (EMA) exige des essais cliniques, et pas seulement des résultats in vitro. « C’est la doctrine de l’EMA. Or dans le cas de mutations ultra-rares sur une maladie rare, la conduite d’essais cliniques traditionnels devient impossible », souligne Thierry Nouvel.
En France, des travaux menés par le CRMR de la mucoviscidose ont révélé que, parmi les non-porteurs de F508del, 54 % répondaient malgré tout au traitement par Kaftrio. Sur la base de ces résultats, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a instauré en mai 2022 un programme d’accès compassionnel pour ces patients, étendu en juin 2023 aux plus de 6 ans, indépendamment de la sévérité de la maladie. Chez ces patients, le traitement est testé pendant deux mois, avant que le médecin statue sur l’opportunité de le poursuivre, en fonction de son efficacité. Résultat : au lieu des 82 % porteurs de la mutation F508del, ce sont désormais 92 % des non-greffés qui pourraient bénéficier du traitement.
Une fonction digestive encore très altérée
Malgré ces avancées, beaucoup reste à faire pour améliorer la prise en charge des patients. Notamment quant à la fonction digestive, sur laquelle les modulateurs de CFTR s’avèrent peu efficaces, du fait d’atteintes irréversibles des organes. « Si on démarre le traitement chez l’adulte ou l’enfant de plus de 6 ans, l’insuffisance pancréatique exocrine demeure, et il faut poursuivre le traitement par enzymes pancréatiques. Parmi les patients, environ 20 % sont diabétiques du fait de l’atteinte pancréatique : en général, ce diabète ne disparaît pas sous modulateur de CFTR. De même pour les 5 % de patients atteints d’une cirrhose hépatique, dont on ne voit pas l’amélioration », explique Pierre-Régis Burgel.
Autre point critique, la survenue d’effets psychologiques, en particulier des cas de dépression chez certains patients. Dans sa version 2022, le registre français de la mucoviscidose fait état d’une « légère dégradation » de la santé mentale, avec 9,5 % de patients suivis pour dépression, contre 8,8 % en 2021. Une évolution pour laquelle la base de données indique ne pas pouvoir « faire la part entre les effets secondaires du nouveau modulateur de CFTR, et les réactions paradoxales de certains patients peu armés pour construire un avenir ». Au-delà de la santé mentale, la sécurité à long terme de ces médicaments demeure méconnue.
Une nouvelle trithérapie (vanzacaftor/tezacaftor/deutivacaftor), dont le dossier d’autorisation de mise sur le marché est en cours d’évaluation aux États-Unis, devrait prochainement arriver sur le marché. Bien que ses résultats au test de la sueur (qui mesure sa salinité, donc l’activité de la CFTR) soient supérieurs à Kaftrio, les bénéfices cliniques observés s’avèrent similaires. Par ailleurs, d’autres pistes (thérapie génique, thérapie inhalée par ARNm codant pour la CFTR, etc.) sont à l’étude, dans le cadre d’essais précoces de phases 1 et 2. Objectif : apporter une solution aux 8 % de non-répondeurs aux modulateurs de CFTR, notamment en raison de mutations causant l’absence complète de cette protéine. Des patients qui, selon Thierry Nouvel, n’ont d’autre choix, depuis 2012, que de « voir passer des trains qui ne s’arrêtent pas en gare ».
(1) Ce médicament était disponible depuis décembre 2019 dans le cadre d’un programme d’accès compassionnel.
(2) En France, la population des 2 à 5 ans, objet d’une récente extension d’indication, dispose pour l’instant du médicament via un régime d’accès précoce.
À retenir
- La mucoviscidose est une maladie liée à une mutation du gène CFTR.
- L’arrivée de médicaments ciblant certaines mutations de ce gène a profondément modifié l’évolution de la maladie.
- Un faible nombre de patients ne répond pas aux traitements actuels. Les recherches continuent.
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