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Des nouveautés dans la substitution aux opiacés

Publié le 28 septembre 2018
Par Christine Julien
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De nouvelles galéniques pour les médicaments de substitution aux opiacés et des kits contre les overdoses arrivent en France. Pour mieux comprendre leur intérêt, retour sur l’histoire de la substitution et de la réduction des risques.

« Certains pensaient qu’un médicament pouvait guérir les « drogués ». Que le simple fait de remplacer un opioïde par un autre, mieux contrôlé, allait régler le problème », se souvient Stéphane Robinet, ex-titulaire strasbourgeois, cofondateur de Pharm’addict et pharmacien en Csapa (voir glossaire). Alors que les médicaments de substitution aux opiacés n’ont jamais été des traitements de l’addiction, mais « des médicaments qui s’inscrivent dans une approche globale de réduction des risques », rappelle Thierry Kin, directeur des opérations chez Ethypharm, laboratoi re impliqué notamment dans la douleur et les addictions. Et dans ce sens, force est de reconnaître que les deux médicaments de substitution aux opiacés (MSO), la méthadone sirop, commercialisée en 1995, et la buprénorphine haut dosage (BHD) en comprimé sublingual, commercialisée en 1996, ont bien fait leur boulot. Ces MSO ont permis de prendre en soin les per sonnes dépendantes à l’héroïne. Ils ont aussi contribué à faire chuter les overdoses et à endiguer la transmission du VIH, dont les usagers de drogues par voie intraveineuse étaient les victimes désignées. Depuis 1995, la seule nouveauté notable a été la gélule de méthadone en 2008. Dix ans après, ça bouge du côté des labos.

La palette s’élargit

Depuis les premiers MSO, les pratiques en addictologie ont évolué, passant du sevrage au maintien d’une consommation contrôlée, et de l’abstinence à la réduction des risques. Parce que l’arrêt du MSO n’est plus une « obligation », parce que la dissolution du comprimé sublingual de BHD est longue et sa prise fastidieuse, parce que l’envie irrépressible de consommer la substance, le « craving », nécessite des adaptations de dosages, mais aussi parce que certains patients voudraient une BHD injectable, des laboratoires pharmaceutiques répondent à la demande. Et la première nouveauté en France sera sans doute Orobupré du laboratoire Ethypharm, qui a obtenu son AMM le 6 novembre 2017, et dont le prix est celui des génériques du Subutex. Ce médicament, qui existe déjà en Angleterre sous le nom d’Espranor, est une BHD sous forme de lyophilisat oral avec une dissolution rapide et une meilleure biodisponibilité.

Orobupré est proposé en 2 dosages, 2 et 8 mg, et fond en 15 secondes environ sur la langue. Il faut ensuite ne pas déglutir (avaler sa salive) pendant 2 minutes et ne pas boire ni manger durant les 5 minutes qui suivent. En comparaison, la dissolution de Subutex sous la langue dure 5 à 10 minutes mais offre l’avantage d’un dosage à 0,4 mg intéressant pour les décroissances posologiques.

Parce qu’il se dissout et est absorbé plus rapidement, Orobupré peut potentiellement avoir une meilleure biodisponibilité objectivée par une posologie maximale fixée à 18 mg. « Orobupré n’est pas interchangeable avec les autres médicaments contenant de la buprénorphine en raison d’une biodisponibilité différente », indique le RCP. Cela signifie qu’on peut passer d’un traitement à l’autre, mais pas forcément à la même posologie fixe et avec une adaptation possible. Pour sa part, Thierry Kin, d’Ethypharm, estime que cette forme peut « améliorer le confort de prise des usagers et celui des professionnels, notamment dans le cadre d’une prise supervisée » durant laquelle le soignant attend aussi 10 minutes la dissolution. Cette nouvelle forme peut séduire les nouveaux patients ou ceux, déjà substitués au Subutex, qui souhaitent un temps de dissolution plus rapide. Certains objecteront que sa galénique est propice à l’injection, mais toutes les BHD s’injectent sans trop de problème aujourd’hui.

En matière de MSO, d’autres nouveautés sont prévues. Sublocade, une forme retard de BHD, devrait suivre, et une demande d’AMM pour une BHD injectable pourrait être déposée. On parle aussi de nouvelles associations BHD-naloxone (Zubsolv) ou de BHD implant. S’ajoutent à cela deux dispositifs de naloxone, antidote contre les overdoses, disponibles en dehors du cadre hospitalier : Nalscue en intra-nasal, déjà doté d’une AMM (voir plus loin), et Prenoxad en intramusculaire.

Ces nouveaux traitements sont-ils le signe d’une meilleure prise en compte du problème de l’addiction ? Ces personnes « addicts » deviendraient-elles des patients comme les autres ?

Des relations apaisées

Dans les années 1990, « on nous a dit que, grâce à ces médicaments, nous allions éradiquer le VIH chez les injecteurs. Ce rôle de santé publique face à la violence du sida a été notre motivation », se souvient René Maarek, titulaire à Montreuil (93), membre de SOS Addictions, cofondateur de Pharm’addict, formateur en entretien motivationnel et… combattant des premières heures, à une époque où les rapports avec les usagers de drogue n’étaient pas sereins. « J’ai commencé en 1996 et j’avais peur de ces patients parce qu’ils étaient agressifs. Et pourquoi l’étaient-ils ? Parce qu’ils nous prenaient pour des monstres indifférents à leur sort. Ils étaient en train de crever et on ne faisait rien pour eux. Et s’il n’y avait pas eu le courage de Michèle Barzach (voir l’Histoire des usagers de drogue, encadré page suivante), il est possible qu’on leur refuserait encore la vente de seringues », s’interroge le pharmacien, qui se souvient encore des « toxicos » qui aiguisaient leur seringue sur le trottoir en face de la pharmacie. Des situations et des questionnements qui ont amené René Maarek à se former aux addictions et à penser qu’aujourd’hui son regard a changé : « ce ne sont plus des « toxicos » mais des patients insérés que rien ne distingue des autres. ».

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De son côté, Stéphane Robinet, extitulaire, cofondateur de Pharm’addict avec René Maarek, a un avis plus nuancé. « Il y a 20-25 ans, c’était très compliqué d’être “toxicomane”. Aujourd’hui la vie est toujours difficile pour certains mais, grâce à la déstigmatisation des addictions et l’évolution des représentations chez les professionnels de santé, les choses sont apaisées. Même si tout n’est pas rose, il y a plus de possibilités de lien entre les professionnels et les usagers. Le terme de toxicomane ne veut plus dire grand-chose. On parle plus d’addictions et on se rend compte que les conduites addictives concernent au final une grande partie de la population. » Monsieur ou madame tout-lemonde, en quelque sorte.

Les travaux sur les addictions ont certainement contribué à une meilleure connaissance de cet autre qui s’est accroché à un produit rencontré sur sa route. Pour William Lowenstein, addictologue, Président de SOS Addictions, « la dépendance est une réelle maladie fonctionnelle du cerveau. Plus tôt elle est traitée, plus la réversibilité de l’addiction sera possible ». L’addictologue balaie l’image de dépressifs et de losers qui collait à la peau des héroïnomanes dans les années 1970. « L’addiction au stade de dépendance est une maladie du “trop”. Je dirais que 9/10 des personnes addicts ont de trop belles qualités qui font leur vulnérabilité. Elles sont plus rapides, plus sensibles, plus réactives. Des personnes qui ont un trop gros appétit de vie. Comme disent nos confrères anglo-saxons, “addiction is an excessive appetite” (un appétit excessif) qui va conduire à la dépendance. Et c’est la dépendance qui risque de conduire au stade “métastasé” de l’addiction avec des personnes vraiment en mauvais état. L’addiction est plus une maladie de l’hyper que de l’hypo. »

Et ceux qui continuent de consommer malgré les MSO ?

La BHD et la méthadone ne guérissent pas de l’addiction à l’héroïne, comme les substituts nicotiniques n’empêchent pas de fumer tous les accros au tabac. Ces médicaments de substitution « stabilisent le problème pharmacologique », explique Stéphane Robinet, « mais les autres problèmes sont là et il faut aussi les prendre en compte ».

Polyconsommation, comorbidités psychiatriques, difficultés sociales et professionnelles, infections, dans les soins en addictologie… « Il faut mettre en place un certain nombre de priorités et avancer avec la personne en fonction de ses priorités. Ce dont on ne s’est peut-être pas rendu compte au début des MSO dans les années 1990. C’est d’ailleurs pour ça que les théories de l’époque tournaient autour de l’abstinence. Si héroïne = problème, plus d’héroïne = plus de problèmes. Mais ce n’est pas comme ça. On s’en est aperçu au fur et à mesure. C’est sur l’humain qu’il faut travailler, pas sur le produit ».

D’accord, mais il n’est pas toujours facile de délivrer un Subutex ou un générique accompagné d’un kit d’injection. « Ce sont des choses que j’arrive à faire sans problème aujourd’hui mais c’était compliqué au début », relate Stéphane Robinet. « Cela fait partie du même soin. Quelqu’un qui vous demande à la fois un MSO et une seringue pour réduire les risques d’une injection est entré complètement dans une relation de soin avec vous. ». Il suggère de penser aux fumeurs. « Ce n’est pas parce qu’un fumeur s’est collé trois patchs dans le dos qu’il ne va pas fumer si l’envie est trop forte. On ne va pas lui supprimer ses patchs pour autant. »

Et ceux qui s’injectent les MSO ?

« Un adepte de l’héroïne fumée – on dit “chasser le dragon” – qui ne se l’injecte pas ne va pas d’un coup devenir “injecteur” de BHD ! L’injecteur n’est pas un pervers qui a envie de se trouer la peau », avance Stéphane Robinet. Deux raisons selon lui expliquent l’injection de BHD chez une personne substituée. D’un, « c’est parce qu’elle a appris à consommer les substances par voie intraveineuse dans un groupe qui consommait comme ça ». Et de deux, « il faut être clair. La biodisponibilité de la BHD par voie orale est très mauvaise, de l’ordre de 15 à 20 % dans le meilleur des cas. Et la prise est contraignante. Ce n’est pas aisé de garder un comprimé sous la langue sans déglutir pendant 10 minutes ». Du coup, pour celui qui pratique l’injection, « rien de plus simple que de faire dissoudre un comprimé de BHD et d’obtenir une biodisponibilité autour de 95-100 % ». Autre hypothèse, il est aussi possible que le traitement per os ne soit pas adapté. William Lowenstein préconise de « sortir d’une pyramide de l’idéal », précisant que « le plus grand nombre va très bien répondre aux MSO, mais ils seront insuffisants pour d’autres. Il faudra alors réfléchir à la présence d’un problème neuropsychiatrique associé, d’un problème social très lourd, ou à la présence d’autres facteurs. En attendant, ne les handicapons pas en les laissant s’infecter ou risquer une overdose ».

Et ceux qui continuent les MSO indéfiniment ?

La persistance de la prise de Subutex ou de méthadone pendant 10, 15 ou 20 ans est une autre source d’agacement tant pour les familles que pour les professionnels de santé. « Les familles veulent un mari ou un enfant « normal », qui arrête au plus vite les médicaments », pointe René Maarek, formateur en entretien motivationnel. « Je leur dis que c’est une erreur. Qu’il y a un risque de rechute si vous poussez trop vite à l’arrêt. Mieux vaut faire des efforts pour être heureux que faire des efforts pour se passer de médicament. La dépendance est une maladie chronique. Dirions-nous à un diabétique d’arrêter son insuline parce qu’il en prend depuis longtemps ? » René Maarek reconnaît avoir évolué sur ce point. « Les MSO, à quoi servent-ils ? À soigner ? À guérir ? Cela veut dire quoi, guérir, si ce n’est améliorer l’état de santé et la vie sociale de quelqu’un qui est dans un état critique ? Si pour ça, on doit lui donner du Subutex toute sa vie, quel est le problème ? » Le pharmacien ajoute qu’aujourd’hui, « on parle moins de sevrage mais plutôt de mieux gérer le “craving”, cette envie irrépressible du produit. Et les 16 mg de BHD sont plus adaptés au sevrage qu’au craving, où il faut être sûr de bloquer tous les récepteurs aux opioïdes, ce qui nécessite des doses plus élevées ». Il évoque Zurich ou Liverpool, où il a vu « des pharmaciens vendre de l’héroïne. Pourquoi pas ? Moi ce qui m’importe est de sortir les gens de leur souffrance ».

Le Résumé des caractéristiques du produit du Subutex vient d’ailleurs d’être revu, la posologie maximale est portée de 16 à 24 mg (voir actu p. 9).

Qu’attendre des formes retard de BHD ?

Autre nouveauté qu’il faudra attendre sans doute un peu, Sublocade, une BHD sous forme injectable à libération prolongée permettant une injection mensuelle. Sublocade a été lancé aux États-Unis depuis fin février 2018 par le laboratoire Indivior qui détient, entre autres, Subutex, Suboxone, Nalscue… Sublocade est une forme réfrigérée liquide qui peut se conserver 7 jours à température ambiante. La BHD sous forme liquide y est associée à une protéine biodégradable. Lorsque Sublocade est injecté en sous-cutané, il se constitue un petit nodule qui, en se résorbant, libère peu à peu la BHD. Cette libération progressive dans le sang donnerait un plateau stable de BHD. Sublocade est disponible en 100 et 300 mg. En pratique, le patient devra prendre de la BHD par voie sublinguale durant 7 jours avant de se voir administrer 300 mg par mois durant 2 mois. Ensuite, tout dépend de la réponse. Si le patient est stabilisé, on passe au dosage 100, sinon on continue à 300.

Camurus, une société suédoise, a développé aussi une forme dépôt de buprénorphine, qui se présentera sous deux formes, l’une destinée à un traitement d’une semaine; la seconde, pour un mois. Elles sont en cours d’enregistrement.

La forme retard pose question

Côté professionnels de santé et usagers, la circonspection est de mise sur les BHD retards. Et si la personne doit prendre des opiacés pour une douleur ? Et si elle continue ses consommations d’opiacés avec sa dose retard ? Certains y voient un intérêt pour les patients très stabilisés, en fin de traitement, et qui en ont assez de prendre une BHD sublinguale, ou pour les personnes incarcérées. Pour Fabrice Olivet d’Asud, association d’usagers, « les formes dépôts visent les professionnels et les milieux fermés séduits par l’hypothèse de l’option sécuritaire. On parle d’administrations supervisées, c’est-à-dire administrées par des professionnels de santé et qui réduisent à zéro l’autonomie du patient. Or l’expérience montre que c’est justement cette autonomie qui est une condition majeure d’une réussite d’un traitement de substitution aux opiacés ». La forme injectable sera-t-elle mise à disposition des patients, administrée en centre ou à l’officine comme l’était la prise de méthadone au début ? Quoi qu’il en soit, la décision devra revenir au patient, qui devra avoir été au préalable bien informé.

Les overdoses ne sont pas oubliées

Qui dit opiacés, licites ou illicites, dit risque d’overdoses en raison de leurs puissants effets dépresseurs respiratoires. Il y aurait plus de 300 décès annuels en France, dont très peu semble-t-il chez des patients sous MSO en situation de soins.

Des études montrent que les décès par overdose surviennent le plus souvent au domicile, 1 à 3 heures après l’administration du produit opiacé et 8 fois sur 10 en présence d’un témoin. Plusieurs programmes de distribution de l’antidote naloxone existent dans le monde, aux USA, en Norvège… En Écosse, des kits d’injection intra-musculaire de naloxone sont donnés aux détenus qui sortent de prison depuis 2010. Et les études montrent que la diffusion communautaire est efficace. Nalscue, du laboratoire Indivior, forme nasale de naloxone, en ATU depuis juillet 2016, a déjà son AMM en France et est en attente de prix. Mundipharma arrive, lui, avec un kit nasal Nixoid, un peu plus dosé que Nalscue. Nous savons par ailleurs qu’Ethypharm va de son côté mettre sur le marché Prenoxad, une naloxone intra-musculaire facile à injecter à travers un vêtement et à moins de 30 euros.

Lors de sa séance du 25 juin 2015, la commission des stupéfiants et psychotropes de l’ANSM rendait un avis favorable pour l’usage de la naloxone. En soulignant qu’elle devait être « largement accessible aux usagers », un de ses membres suggérant la nécessité « d’associer les pharmaciens à l’information et la formation ». La petite révolution de toutes ces formes de naloxone est le « take-home », pour que l’usager d’opioïde l’ait sur lui et qu’en cas de besoin, un tiers puisse lui administrer immédiatement. La naloxone est disponible depuis 1977 et elle est déjà exonérée.

Et pourquoi pas une forme intraveineuse de BHD ?

La grande nouveauté serait le dépôt d’une AMM pour une BHD injectable intraveineuse. « Nous sommes en train de la formuler », indique Ethypharm. Cette BHD avec 100 % de biodisponibilité serait un « plus », notamment pour les patients injecteurs estimés à 10 000 personnes environ, en sachant cependant que cette forme nécessiterait plusieurs injections par jour.

Lyophylisat, forme retard, naloxone « take-home », pour Stéphane Robinet, « ces arrivées de nouveaux médicaments sont l’occasion de faire un point avec les patients ». Et de conserver ce lien avec des patients un peu comme les autres…

Un Csapa c’est quoi ?

Un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) est une structure pluri-disciplinaire avec médecin, infirmier, assistante sociale, psychiatre, etc. Un Csapa assure des actions de prévention et de soins aux personnes, mêmes mineures, atteintes de conduites addictives, quel qu’en soit l’objet. Lieu d’accueil anonyme et gratuit, d’écoute, d’information, de soin et d’accompagnement, un Csapa a le statut d’établissement médico-social et est financé par l’assurance maladie. Il peut être géré par une association comme Aides, etc. ou un établissement de santé. Un Csapa peut délivrer des médicaments qu’il commande à un grossiste ou issus de la pharmacie hospitalière dont il dépend. Dans le cas d’une structure privée, il faut un pharmacien.

La réduction des risques : pourquoi ? comment ?

Les objectifs et les modalités des activités de réduction des risques en direction des consommateurs de stupéfiants sont décrits par un décret en 2005* :

Objectifs :

→ prévenir les infections sévères, aiguës ou chroniques ;

→ prévenir les intoxications aiguës, notamment les surdoses mortelles ;

→ prévenir et prendre en charge les troubles psychiatriques associés à ces consommations ;

→ orienter les consommateurs vers les services d’urgence, de soins généraux, de soins spécialisés et vers les services sociaux ;

→ améliorer leur état de santé physique et psychique et leur insertion sociale : logement, accès aux services et aux dispositifs sociaux…

Exemples d’interventions :

→ information sur les risques associés à l’usage de drogue et leur prévention, conseils personnalisés sous forme d’entretiens ;

→ orientation et accompagnement vers les services de soins ou vers les services sociaux, éducation à la santé, aide à l’accès aux droits ;

→ distribution de boissons et de nourriture ;

→ offre de services d’hygiène (toilettes, douches, machines à laver…)

→ hébergement d’urgence, dispensation de soins infirmiers ;

→ distribution et promotion de matériel d’hygiène et de prévention, récupération du matériel usagé et traitement des déchets septiques…

* Décret du 14 avril 2005 approuvant le référentiel national des actions de réduction des risques en direction des usagers de drogue et complétant le code de la santé publique.

De la répression à la réduction des risques, histoire des usagers de drogues

Les premières « bad experiences »

Au XIXe siècle, la médecine utilise la cocaïne comme anesthésique local et contre les maladies respiratoires. La morphine, puis l’héroïne, sont prescrites contre la toux ou l’asthme. Peu à peu, les médecins constatent des détournements de leur usage. Les premières réglementations pour limiter les dangers de l’accoutumance se mettent en place. En France, la loi du 12 juillet 1916 réprime l’usage en société, le commerce et la détention frauduleuse de « substances vénéneuses » et réserve leur seul usage légal à une médecine sous haute surveillance. Les produits visés sont l’opium, la morphine, l’héroïne, la cocaïne, le haschich ainsi que leurs sels et leurs dérivés.

Les années 1970, le « Flower Power », la répression et la substitution

Dans les années 1960 survient une deuxième vague de toxicomanies aux opiacés. Les États réagissent. En 1961, 1971 et 1988, des conventions internationales sont signées, établissant des listes de produits stupéfiants et renforçant les coopérations pour lutter contre le trafic. En France, deux dates, 1970 et 1972, signent la pénalisation des usagers de drogues.

→ 1970, le « toxico » est un délinquant. Le gouvernement français veut légiférer au-delà des législations internationales en incriminant aussi l’usage privé. Alors que le ministère de la Santé prône le traitement gratuit et anonyme des toxicomanes, arguant qu’« aucun toxicomane ne doit être puni pour le seul fait d’avoir consommé des stupéfiants », la loi dite « de 70 » est votée (1). L’usager de stupéfiant y est considéré à la fois comme un délinquant et comme un malade, la loi prévoyant emprisonnement et amende pour un simple usage. Est créée l’injonction thérapeutique, c’est-à-dire l’obligation de se soigner contre une remise de peine.

Dans ce contexte, le gouvernement confie au docteur Claude Olievenstein la charge de créer un « centre expérimental d’orientation et de soins pour toxicomanes ». Le Centre Médical Marmottan, créé en 1971, en fait un simple service au cœur de Paris, devient le symbole de la redécouverte par la médecine et la société des problèmes de toxicomanie en France.

→ 1972, fin de la vente libre de seringue. Le décret du 13 mars 1972 restreint la délivrance des seringues et des aiguilles destinées aux injections parentérales aux officines et aux magasins de matériel médical « en vue de lutter contre l’extension de la toxicomanie ». Elles seront dorénavant délivrées sur ordonnance d’un médecin, dentiste, sage-femme ou vétérinaire. Seul un majeur présentant ses papiers d’identité pourra en acheter, à condition de fournir un reçu avec nom et adresse.

→ 1973, ouverture d’un cadre expérimental de substitution par la méthadone. Par un arrêté du 26 avril 1972, le ministre de la Santé autorise l’administration de méthadone en vue de son utilisation thérapeutique expérimentale. Sur les 4 centres autorisés à prescrire de la méthadone en 1973, seules les 2 équipes des hôpitaux Sainte-Anne et Fernand-Vidal utilisent cette possibilité, avec au total 40 places sur Paris. Cet outil restera marginal et méconnu entre 1976 et 1988.

Les années 1980-1990, le choc du sida et la réduction des risques

L’injection d’héroïne se développe en France et dans les pays occidentaux avec deux grandes conséquences dramatiques : des overdoses mortelles, et des contaminations par les virus du sida (isolé en 1983) et des hépatites. L’épidémie de sida fait des ravages chez les usagers injecteurs. L’association Aides, créée en 1984, estime que 40 % des usagers de drogues par voie IV sont séropositifs. La lutte s’organise. L’association Médecins du Monde commence à proposer des tests de dépistage gratuit de VIH, des échanges de seringue et un kit d’injection. Aides diffuse le premier spot d’information dans les cinémas pornos « une seringue, ça ne s’emprunte pas, ça ne se prête pas ». Dès les années 1980, certains médecins et pharmaciens commencent à substituer avec de la buprénorphine (Temgesic) ou du sulfate de morphine (Moscontin, Skenan) en dehors de tout cadre légal.

→ 1987, la vente libre des seringues. Un décret signé par Michèle Barzach, ministre de la Santé, libéralise le commerce des seringues. « Les toxicos séropositifs représentent une menace pour la population générale et la prise en charge traditionnelle basée sur les sevrages et l’abstinence est inefficace. Cet échec reconnu permet l’émergence de la notion de réduction des risques, basée sur l’idée que les drogues existent et qu’elles sont consommées volontairement sur une base rationnelle. C’est en s’adressant à cette rationalité que les techniques de consommation à moindre risque se diffusent », explique Fabrice Olivet, président de l’association de consommateurs de substances illicites Asud (Auto-support des usagers de drogues), qui lutte contre la stigmatisation.

→ 1993, la réduction des risques est la priorité revendiquée par le Conseil national du sida, créé par décret le 8 février 1989 dans le cadre de la mise en place d’un dispositif de lutte contre le VIH (2). Le premier distributeur-échangeur de seringues est installé à Nîmes (30) à l’initiative d’Aides, puis les programmes d’échanges, semi-clandestins, se développent.

→ 1994, les programmes de substitution sont inclus dans les actions de prévention par Simone Veil, alors ministre de la Santé. La « réduction des risques » est officiellement initiée par l’État en 1994 pour combattre l’épidémie de VIH chez les usagers de drogues par voir IV. On estime à 50 000 le nombre de personnes qui s’auto-substituent avec la codéine en 1994 et il se vend plus d’un million de boîtes de Néocodion par mois (3).

Les années 2000 marquent un essoufflement

→ La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique prévoit la définition d’un cadre de référence pour les activités de réduction des risques en direction des consommateurs de stupéfiants. Elle protège les acteurs, professionnels de santé, du travail social ou membres d’associations, comme les personnes auxquelles s’adressent ces activités, des incriminations d’usage ou d’incitation à l’usage au cours de ces interventions.

→ Les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues (CAARUD) sont mis en place en 2004 mais la question de l’accès réel aux services de réduction des risques reste posée.

→ Aujourd’hui, les principales actions de réduction des risques consistent en la diffusion de messages de prévention, la mise à disposition de matériel stérile, l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque et la médiation sociale. Ces actions peuvent se dérouler dans les centres médico-sociaux Csapa et CAARUD, lors d’interventions dans la rue et dans les espaces publics (les maraudes), en milieu festif ou en milieu carcéral. Le décret du 14 avril 2005 (4) approuve les actions de réduction des risques en direction des usagers de drogue et en rappelle les objectifs et les modalités d’intervention (voir encadré « La réduction des risques : pourquoi ? Comment ? » page 21).

(1) Loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses.

(2) Devient le Conseil national du sida et des hépatites virales le 27 février 2015.

(3) « Accès à la méthadone en France, bilan et recommandations », rapport remis à Bernard Kouchner en 2001 par Marie-Josée Augé-Caumon, Jean-François Bloch-Lainé, William Lowenstein et Alain Morel.

(4) Décret du 14 avril 2005 approuvant le référentiel national des actions de réduction des risques en direction des usagers de drogue et complétant le Code de la santé publique.

Les chiffres 2016 des MSO en ville*

151 000 personnes ont bénéficié d’un remboursement de MSO délivré en ville, dont :

→ 63 % BHD seule (dont plus de la moitié en Subutex) : 95 000 personnes ;

→ 37 % méthadone (dont plus de la moitié sous la forme gélule) : 56 000 personnes. 79 % de la méthadone est délivrée en officine ;

→ 5 % de Suboxone (naloxone + BHD) : 7 000 personnes.

À noter : le total est supérieur à 100 % car des patients ont bénéficié de plusieurs traitements.

La population des utilisateurs de MSO semble vieillissante et l’instauration des MSO en ville est en diminution. En prenant en compte les médicaments délivrés par les Csapa et les doubles délivrances ville-Csapa, environ 180 000 personnes bénéficient de MSO.

* Tableau de bord Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) « Traitements de substitution aux opiacés » 2018.