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Le maillon vert de la lutte contre l’antibiorésistance
La lutte contre la résistance aux antibiotiques ne se cantonne pas uniquement à la santé humaine et animale. Pour la première fois, la synthèse annuelle sur la consommation d’antibiotiques et l’antibiorésistance en France traite du rôle de l’environnement. Un domaine dans lequel le conseil et l’information du pharmacien n’aspirent qu’à trouver toute leur place.
Les antibiotiques, c’est pas automatique ! » Même si cette campagne choc de l’Assurance maladie en 2002 a eu un net impact sur la consommation d’antibiotiques à l’époque (diminution de 15 %), ce fut une goutte d’eau dans l’océan qu’est la lutte contre la résistance aux antibiotiques. A l’occasion de la semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques qui s’est déroulée du 13 au 18 novembre, les autorités ont tiré la sonnette d’alarme, document de synthèse à l’appui. Ce document, dénommé « sobrement » « Consommation d’antibiotiques et résistance aux antibiotiques en France : une infection évitée, c’est un antibiotique préservé ! », appelle à la mobilisation de tous les acteurs, patients comme professionnels de santé. En effet, l’antibiorésistance « pourrait devenir l’une des principales causes de mortalité dans le monde, en remettant en question la capacité à soigner les infections, même les plus courantes. Elle serait la cause chaque année en France de près de 12 500 décès », écrit le Pr Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable au ministère de la Transition écologique et solidaire, dans son éditorial. Pour freiner l’expansion de la résistance, l’Organisation mondiale de la santé préconise l’approche One Health (« une seule santé »), qui consiste à favoriser l’articulation de la prévention entre santé humaine, santé animale et environnement. Une approche interministérielle que privilégie aujourd’hui la France dans un programme prioritaire de recherche de 40 millions d’euros pour la lutte contre l’antibiorésistance, lancé par le gouvernement.
Conseil d’hygiène et prévention des pratiques à risque
La lutte contre l’antibiorésistance appelle à la prise de conscience collective et individuelle de règles de base de prescription et de bon usage des antibiotiques, d’hygiène et de protection de l’environnement. Concernant la réduction des conséquences environnementales de l’antibiorésistance, le cœur de l’action porte sur la limitation de l’utilisation des antibiotiques dans l’agroalimentaire. La propagation de la résistance aux antimicrobiens passe non seulement par la transmission directe de personne à personne (notamment lors des voyages), mais aussi par les eaux usées, les activités comme l’épandage de résidus ou via les animaux sauvages ou domestiques. Le pharmacien peut donc également donner des conseils d’hygiène et agir sur les pratiques à risque telles que l’automédication (une enquête Sanofi-OpinionWay vient de révéler que 8 % des Français s’automédiquent avec des antibiotiques) ou le fait de jeter un restant d’antibiotique non consommé dans les toilettes. « Des doses diluées, 100 à 1 000 fois plus faibles que celles utilisées pour tuer des bactéries sensibles, retrouvées dans les eaux usées, peuvent favoriser le développement de bactéries résistantes », explique Philippe Glaser, responsable de l’unité Ecologie et évolution de la résistance aux antibiotiques à l’Institut Pasteur à Paris. « De même, les selles contiennent des germes à différents niveaux de résistance, or 8 % de la population française est porteuse de β – lactamases à spectre élargi engendrant une résistance à la majorité des β – lactamines », indique-t-il.
Antibiotiques : les utiliser moins et mieux
Situé au carrefour de différents axes de lutte, « le pharmacien d’officine a un rôle essentiel pour améliorer la pertinence des prescriptions et un rôle de conseil auprès des patients », affirme le Pr France Roblot, vice-présidente de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf). Seul un usage plus raisonné des antibiotiques préservera leur efficacité. Malgré la feuille de route gouvernementale adoptée en 2016, visant notamment à diminuer la consommation d’antibiotiques, l’objectif n’a pas été atteint en santé humaine, contrairement à la filière animale où cette diminution, liée à la mobilisation des professionnels et pour partie à la réglementation, a été suivie d’une baisse de l’antibiorésistance. « La consommation des antibiotiques en France est de 30 % supérieure à la moyenne européenne. Il faut aussi mieux utiliser les antibiotiques, prescrire la molécule qui a le spectre d’activité le plus adapté et le moins d’effets collatéraux sur le microbiote, à la bonne dose et pour une durée adaptée », poursuit France Roblot. De son côté, le Dr Bernard Castan du centre hospitalier d’Ajaccio (Corse), membre du groupe « recommandation » de la Spilf, pointe du doigt les durées trop longues de prescription : « Une bronchite chronique d’exacerbation de BPCO, c’est 5 jours de traitement et non 8 ; une pyélonéphrite simple sous fluoroquinolone, 7 jours et non 14 ; etc. » Utiliser moins et mieux, sur des durées réduites… « Ces mesures doivent être réellement prises et ne pas rester seulement des déclarations d’intention, car les problèmes sont déjà présents, alerte France Roblot. L’objectif est d’éviter que la situation continue à se dégrader, car les situations d’impasse sont une réalité aujourd’hui. Des infections communautaires très simples à traiter demandent parfois une hospitalisation pour des traitements complexes qui sont la seule option possible »
Soulignant que les moyens financiers de l’Etat sont limités et qu’ils ne permettront pas d’avoir un « antibioréférent » derrière chaque prescripteur, le Pr David Boutoille, infectiologue responsable de l’unité Medqual au CHU de Nantes (Loire-Atlantique), maintient qu’« il faut faire avec les acteurs du terrain et faire tomber les corporatismes, qui sont un frein au bon usage des antibiotiques ». Une ode à la coordination des soins, aux équipes de soins primaires et aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), pierre angulaire du plan « Ma santé 2022 », qui pourraient être les lieux d’émergence d’une nouvelle organisation capable de faire face aux défis de l’antibiorésistance. Cet avis est partagé par Bernard Castan qui voit dans les CPTS « un terrain idéal d’expérimentation » et, dans le pharmacien, à la fois « un bon messager pour repérer les inadéquations des prescriptions, et un relais du bon usage des antibiotiques auprès des patients ».
Développer les tests de diagnostic en officine
Un modèle de coordination que certains de nos voisins européens ont déjà mis en place. « Aux Pays-Bas, il existe des infirmières de tri dans les cabinets médicaux. De la même façon, les pharmaciens pourraient réaliser des tests de diagnostic rapide d’angine (TROD), qui sont sous-utilisés par les médecins, et désengorger les cabinets médicaux en prenant en charge à l’officine les patients à traiter de manière symptomatique avec guérison spontanée », suggère David Boutoille. Avec un temps médical de plus en plus rare, la réalisation de ces tests en officine répond aux enjeux de la nouvelle organisation du système de soins dans les territoires et permet d’ouvrir plus largement la voie aux services rémunérés en pharmacie, tout en favorisant une prise en charge précoce des patients. Le Pr Boutoille se dit par ailleurs favorable à la possibilité d’une prescription pharmaceutique d’antibiotiques à faible impact sur le risque de résistance dans la cystite. Comme quoi les médecins ne sont pas tous opposés à une telle mesure.
À RETENIR
• La résistance aux antibiotiques serait la cause de près de 12 500 décès en France chaque année.• La lutte contre l’antibiorésistance nécessite la prise de conscience de règles de base sur le bon usage des antibiotiques, l’hygiène et la protection de l’environnement.
• Les pharmaciens pourraient devenir les « antibioréférents » des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
REPÈRES
Sources : Assurance maladie – Anses – ANSM – Santé publique France Par yolande Gauthier – Infographie : Walter Barros
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