E-commerce Réservé aux abonnés

Vente en ligne : du bruit dans Landerneau

Publié le 1 juin 2019
Par Yves Rivoal
Mettre en favori

Rachats de doctipharma par le suisse Zur Rose et de 100pharmacies par le belge pharmasimple, publication de l’avis de l’autorité de la concurrence qui se prononce pour un assouplissement des règles encadrant la vente en ligne de médicaments, le premier ministre qui s’en mêle… Ça bouge sur le front des pharmacies et parapharmacies en ligne. Décryptage…

En estimant lors d’un discours prononcé le 9 mars dernier que, « …les conditions de la vente en ligne de médicaments dans notre pays apparaissent trop restrictives… », et en demandant à Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé… « d’ouvrir ce chantier en concertation avec les professionnels de santé, médecins, pharmaciens, et avec les représentants des patients… », le Premier ministre, Edouard Philippe, a jeté un pavé dans la mare. Prononcée lors du 10e anniversaire de l’Autorité de la concurrence, l’intervention d’Édouard Philippe reprenait à son compte les conclusions de l’avis que venait de publier l’Autorité, en faveur d’un assouplissement des règles encadrant en France la vente en ligne des médicaments à prescription médicale facultative (PMF), afin de faire jouer la concurrence et baisser les prix. « Le régime qui s’applique aux sites de vente en ligne se révèle beaucoup trop contraignant et restrictif, ce qui empêche le développement de ce marché et prive la France de nombreux emplois, et les pharmaciens d’opportunités de croissance », explique Thomas Piquereau, rap porteur général adjoint de l’Autorité de la concurrence.

LES SITES français à la peine

Le rapport pointe plusieurs éléments handicapants. « Les pharmacies françaises doivent impérativement disposer de locaux de stockage à proximité immédiate de l’officine. Or, dans les centres-villes, il est impossible de trouver des surfaces suffisamment grandes et adaptées à ce type d’activité. En Belgique, Newpharma dispose d’un entrepôt logistique de 8 000 m2 situé à 9 km de son officine de rattachement, et cela ne pose aucun problème de santé publique… », souligne Thomas Piquereau. La deuxième grande difficulté d’après l’Autorité de la concurrence, ce sont les contraintes en matière de communication. « La réglementation interdit de recourir au référencement payant sur Internet et aux comparateurs de prix, regrette Thomas Piquereau. Beaucoup de nos compatriotes ne savent donc pas qu’ils ont la possibilité d’acheter des médicaments sur des sites français. » Dans ce contexte, les acteurs tricolores ont beaucoup de mal à soutenir la comparaison avec les leaders européens, comme le rappelle Cyril Tétart, président de l’Association française des pharmacies en ligne (AFPEL). « En Belgique, Newpharma, c’est 82 M€ de C.A en 2018, dont un tiers réalisé en France. A titre de comparaison, les trois sites leaders du marché en France, Pharma GDD, Lasante.net et Pharmashopi affichent des C.A qui oscillent entre 4 et 6 M€. » (voir encadré)

ASSOUPLISSEMENT des règles

Pour assouplir la réglementation, l’Autorité de la concurrence formule un certain nombre de recommandations : permettre aux pharmaciens de recourir à des locaux de stockage distincts de l’officine et installés à une distance suffisante pour disposer d’espaces adaptés, autoriser le recours au référencement et aux comparateurs payants, permettre aux officines de regrouper leur offre de vente en ligne sur un site commun… L’avis suggère aussi de faire évoluer le critère du C.A global de l’officine, avec un nombre de pharmaciens à recruter qui serait déterminé en fonction du C.A lié uniquement aux ventes de médicaments, et non plus élargi aux ventes de produits hors monopole. « Ces mesures permettraient aux sites français de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens, sans pour autant remettre en cause le principe du rattachement à une officine physique. Le modèle de la marketplace à la Amazon ou du pure player n’est pas celui que nous recommandons. Nous restons très attachés au fait qu’un pharmacien diplômé, titulaire ou adjoint, soit le seul habilité à dispenser des médicaments sur Internet », rappelle Thomas Piquereau.

LES RÉACTIONS de la profession

Ces recommandations de l’Autorité de la concurrence ont été accueillies par une volée de bois vert par l’Ordre national des pharmaciens et les syndicats de la profession qui ont été conviés le 16 avril dernier, avec les représentants des patients, au ministère de la Santé pour évoquer le sujet. « Il faut savoir ce que l’on veut, tonne Gilles Bonnefond, le président de l’USPO. Suivre ces recommandations aurait pour conséquence de livrer la vente en ligne de médicaments à des acteurs comme Amazon ou Leclerc, et cela mettrait en péril le circuit officinal de proximité, car il n’y aura pas de solution intermédiaire entre ces deux modèles. » Lors de cette réunion du 16 avril, des mesures comme le recours au référencement payant et la possibilité d’utiliser des locaux déportés semblent avoir fait l’unanimité contre elles. « A l’USPO, nous sommes aussi opposés à la possibilité de mutualiser les back-offices, car tout médicament dispensé sur Internet doit l’être dans le cadre d’une officine, ajoute Gilles Bonnefond. En revanche, nous ne sommes pas contre la mise en commun des front-offices ou l’assouplissement des règles de déclaration auprès de l’ARS. » Du côté de l’Association française des pharmacies en ligne (l’AFPEL), on salue ces recommandations. « Elles vont dans le sens de ce que nous réclamons depuis plusieurs années, car si l’on ne parvient pas à appliquer partout en Europe le cadre réglementaire français, il faudra nous donner les moyens de lutter à armes égales contre nos concurrents européens, souligne Cyril Tétart qui ne se fait toutefois pas d’illusions sur l’issue du chantier initié par le ministère de la Santé. Nous n’avons même pas été conviés à cette réunion du 16 avril, alors que nous sommes les principaux intéressés… » A l’issue de la réunion, le ministère de la Santé a indiqué qu’il reviendrait vers les représentants de la profession avec des propositions. Affaire à suivre donc…

Publicité

L’ESSENTIEL

→ Le Premier ministre, Edouard Philippe, a demandé à Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, de lancer le chantier de l’assouplissement des règles encadrant la vente en ligne de médicaments.

→ Cette demande du Premier ministre intervient après la publication de l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui estime que le cadre réglementaire en France empêche le développement de ce marché.

→ Pour assouplir la réglementation, l’Autorité de la concurrence formule une série de recommandations qui ont suscité un tollé chez les représentants de la profession.

→ Dans ce contexte, les leaders européens de la vente en ligne de médicaments s’emparent des principaux sites français.

DÉJÀ TROP TARD ?

Cyril Tétart, président de l’Association française des pharmacies en ligne (AFPEL) estime que c’est trop tard : « Je ne vois pas comment nous pourrions combler l’écart, qui s’est creusé avec les poids lourds européens du secteur… Il ne faudra donc pas s’étonner de voir les sites français passer les uns après les autres sous pavillon belge, néerlandais ou suisse. »

Sites marchands

Des proies convoitées ?

En pleine croissance, le marché de la parapharmacie en ligne semble être entré dans une phase de consolidation. Et les sites français apparaissent comme des proies convoitées par les leaders du marché en Europe. En mars dernier, le suisse Zur Rose a racheté Doctipharma, le belge Pharmasimple ayant, lui, mis la main un mois plus tôt sur 1001Pharmacies. « Les grandes manœuvres ne font que commencer, car dans un contexte de guerre des prix effrénée, seuls les trois ou quatre plus gros acteurs européens parviendront à tirer leur épingle du jeu », prédit Michael Willems, le président de Pharmasimple, qui reconnaît étudier en ce moment de nouvelles opportunités de rachats en France. « Et si pour l’heure, nous nous concentrons sur la parapharmacie, il est probable que dans les dix mois à venir, nous nous lancerons sur le marché de la vente en ligne de médicaments. »

1 %des ventes totales de médicaments à prescription médicale facultative (PMF) en France se déroulent en ligne, contre environ 14 % en Allemagne.