Pour enrayer la spirale négative dans laquelle se trouve votre officine, il faut d’abord accepter certains renoncements. « Aujourd’hui, une petite pharmacie ne peut plus se permettre de conserver un positionnement généraliste, souligne Lucien Bennatan, le président de PHR. En saupoudrant son temps et ses investissements, elle ne fait que se disperser. Mieux vaut donc concentrer son énergie et son temps sur le cœur de métier, car 80 à 90 % du C.A des petites officines est généré par le médicament remboursé. Pour s’affranchir de cette dépendance, il faut donc investir le conseil, les marchés annexes, et développer la rémunération par honoraires. » Inutile aussi de vouloir copier les pratiques des grandes pharmacies d’après Aurélie Paquier, directrice générale de VU Merchandising. « En restant focalisées sur la cosmétique, l’hygiène ou le bébé, et en adoptant des meubles toujours plus hauts afin d’exposer un maximum de produits, les petites officines dénaturent leur expertise médicale. Mieux vaut donc, faute de place et de moyens, faire de vrais choix en matière d’assortiment, avec un positionnement orienté autour de la prise en charge personnalisée de la santé des patients. »
MISER sur l’expertise conseil.
Le développement d’une expertise autour des solutions naturelles constitue le premier axe de spécialisation à explorer. « Des segments comme l’aromathérapie, les compléments alimentaires, la phytothérapie ou la micronutrition se révèlent très rentables et un formidable terrain de jeu pour développer le conseil », rappelle Aurélie Paquier. Ce parti-pris suppose toutefois un nouveau renoncement. « Pour être cohérent avec cette stratégie et se différencier, il faut arrêter de référencer les laboratoires cosmétiques grand public engagés dans la guerre des prix, pour se concentrer sur des petits laboratoires qui se démarquent avec des solutions plus techniques, bio ou naturelles », conseille Lucien Bennatan. « Pour apporter des offres exclusives, il peut aussi être intéressant de mettre en avant les MDD de son groupement, voire de proposer une gamme au nom de l’officine », ajoute Aurélie Paquier.
VERS l’ultra-spécialisation.
De son côté, l’enseigne Anton & Willem pousse la logique encore plus loin, en supprimant la parapharmacie traditionnelle pour la remplacer par les médecines douces. « Grâce à ce positionnement radical, nos pharmacies deviennent des officines de destination qui attirent des clients bien au-delà de leur zone de chalandise. Les gens sont prêts à traverser la ville, pour aller dans une pharmacie où ils savent que l’équipe est ultra-spécialisée dans les médecines naturelles. » Le concept d’Anton & Willem est d’ailleurs conçu spécifiquement pour les petites officines installées au cœur des villes de plus de 50 000 habitants. « La décision d’abandonner la parapharmacie est beaucoup plus facile à prendre dans une officine qui réalise 1 M€ avec 15 % du C.A sur le hors médicaments, que dans une officine de plus de 3 M€ où la para représente 40 % des ventes », rappelle Georges Duarte, co-fondateur de l’enseigne. Des univers comme la contention, l’orthopédie, le matériel médical, la diabétologie ou l’oncologie sont des spécialités qui peuvent aussi être développées, car il y a sur ces segments une réelle demande d’accompagnement. « Or, dans 95 % des petites pharmacies, ces catégories sont peu ou pas exposées, regrette Aurélie Paquier. Les patients ne savent donc pas qu’ils peuvent louer du matériel médical chez leur pharmacien en bénéficiant d’un meilleur conseil et sans payer plus cher que chez les gros faiseurs. »
CRÉER un lieu de tous les services.
Pour se démarquer, les petites officines ont aussi vocation à jouer à fond la carte de la proximité et de la personnalisation. « Je connais une pharmacienne qui, à chaque fois qu’elle loue un aérosol ou une pompe à insuline distribue à ses patients une fiche conseil qu’elle a elle-même rédigée, confie Aurélie Paquier. Elle va aussi au domicile de ses patients, pour les accompagner lors de la première utilisation. » Ce travail sur la proximité et la personnalisation doit aller de pair avec une expérience client différente. « Dans les petites pharmacies, il faut soigner la mise en scène en aménageant un bar beauté où les clients pourront tester des produits de maquillage, une belle table dédiée aux huiles essentielles, un casier réservé à l’aromathérapie… explique l’experte en merchandising. En valorisant ainsi les spécialités maison, vous changez la perception des clients sur les produits. Du coup, ils deviennent moins regardants sur les prix. »
DIGITALISER la relation client.
Pour mettre en place cette nouvelle stratégie, il faut autant que faire se peut s’appuyer sur l’offre de services de son groupement, qui peut aussi être mis à contribution pour faire entrer l’officine dans l’ère de la digitalisation. « Quand vous êtes limité par la taille de la surface de vente, une borne ou une tablette tactile qui référence l’ensemble des catalogues en MAD, vétérinaire ou médecine alternative, comme c’est le cas chez nous, permet de repousser les murs de la pharmacie, assure Lucien Bennatan qui rappelle également : la digitalisation, c’est aussi l’opportunité de proposer une application dédiée au suivi de la santé des patients, des services de livraison ou des newsletters qui permettront de maintenir le lien avec les patients en dehors des murs de l’officine. »
LE CAS DU MOIS
Cela fait maintenant plusieurs années que votre C.A décline et que les clients-patients sont de moins en moins nombreux à franchir les portes de votre pharmacie. A la tête d’une petite officine, vous avez de plus en plus de mal à exister face à la concurrence de la grande pharmacie ou du discounter installé à proximité, et votre dépendance aux médicaments remboursés vous fragilise encore plus. Comme vous n’avez, en plus, aucune possibilité de regroupement ou de transfert, vous ne pouvez compter que sur vos propres ressources pour inverser une tendance qui menace la pérennité de votre activité. Nous avons donc demandé à des experts de nous dévoiler la stratégie à déployer pour optimiser le potentiel d’une petite officine…
LES EXPERTS
Lucien Bennatan
PRÉSIDENT DE PHR
Aurélie Paquier
DIRECTRICE GÉNÉRALE DE VU MERCHANDISING
Georges Duarte
CO-FONDATEUR D’ANTON & WILLEM
TÉMOIGNAGE« La situation s’est stabilisée… »
Annie Lhoest Titulaire à Bourlon (62)
Titulaire depuis 2007 d’une officine de 60 m2 à Bourlon, une commune rurale de moins de 1 500 habitants située à une dizaine de minutes de Cambrai, dans le Pas-de-Calais, Annie Lhoest a vu son C.A décliner inexorablement. En 2011, elle décide d’investir dans des travaux pour augmenter sa visibilité, et rejoint le groupement DPGS qui lui assure à moindre coût la gestion du tiers-payant et lui donne accès à de meilleures conditions d’achats. « J’ai aussi fait appel à une société de merchandising, pour adopter un positionnement qui collait à ma vision de l’officine », ajoute la titulaire qui se lance alors à fond dans le conseil et l’accompagnement des patients. Annie Lhoest se spécialise également dans l’orthopédie, en formant son équipe et en aménageant une salle d’essayage de 10 m2 où sont exposés les produits des deux gammes qu’elle référence : Thuasne et Donjoy. Au fil des années, elle développe aussi une expertise en aromathérapie, qui végète dans un premier temps. « Ce n’est que depuis deux ou trois ans, lorsque nous avons commencé à travailler avec Pranarôm, que ce segment a commencé à décoller, car cette gamme technique nous a permis de nous concentrer sur le conseil. » Dans son espace parapharmacie, elle a restreint son offre à la gamme dermato de La Roche-Posay et à celle du laboratoire Skinclever, repris récemment par Innoventis Pharma, pour la cosmétique. « Sur les conseils de mon merchandiser, je propose aussi une gamme de produits plus techniques au nom de ma pharmacie afin de me différencier. » Une stratégie qui lui a permis de ralentir la chute de son C.A. « Depuis deux ans, la situation s’est stabilisée et l’activité est même repartie légèrement à la hausse depuis une dizaine de mois. Mais, cette embellie est essentiellement dûe au départ de médecins installés dans les communes environnantes, qui a entraîné une augmentation des flux chez les deux généralistes installés dans ma commune », reconnaît la titulaire.
↑ AH OUI !
Grâce à une stratégie d’hyper spécialisation, les pharmacies Anton & Willem voient la part du médicament tomber de 85, à 60 ou 50 % au bout d’un an, avec une marge sur les médecines naturelles qui oscille entre 42 et 45 %.
↓ OH NON !
Ne négligez pas la signalétique. Même petite, une officine ne doit pas s’affranchir d’identifier clairement ses différents espaces.
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