- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- Le droit de substitution fête ses 20 ans
Le droit de substitution fête ses 20 ans
Le 20 juin, le laboratoire Mylan célébrait le 20e anniversaire du droit de substitution à la faculté de pharmacie de Paris V, en présence de Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la Santé en 1999, qui avait pesé de tout son poids politique pour faire aboutir un droit de substitution « élargi » pour le pharmacien et permettre au marché du générique de décoller. Un marché qui répond beaucoup aux incitations. A tel point qu’à chaque phase de stagnation les politiques doivent remettre au pot pour relancer la machine.
Au lancement du droit de substitution en 1999, personne n’aurait parié sur l’avenir du générique. C’est ainsi, « il y a toujours en France des blocages, rappelle Bernard Kouchner. D’abord, on est contre, surtout si ça réussit ! Et après, on s’arrange ». D’autant plus que le corps médical n’en voulait pas. « Il y avait un extraordinaire conservatisme des médecins, comme s’ils ne voulaient pas que la santé publique s’améliore », poursuit-il. Du côté des pharmaciens, les discussions au sein de la profession portaient davantage sur la « petite substitution » (entre spécialités génériques) que sur la « grande substitution » (entre un princeps et un générique).
« La Caisse nationale de l’assurance maladie ne voyait pas trop non plus l’intérêt du droit de substitution, préférant l’option de mettre les princeps et leurs génériques au même prix et promouvoir son guide des équivalents thérapeutiques », se souvient Claude Le Pen, économiste de la santé et professeur à l’université Paris-Dauphine. Et pourtant, il était absolument nécessaire de développer les génériques, comme l’a expliqué Bernard Kouchner. « Le financement des médicaments est en enveloppe fermée, il fallait trouver de nouvelles économies pour prendre en charge les nouveaux médicaments d’oncologie », illustre-t-il. La profession elle-même n’était pas convaincue des enjeux du générique. Pour l’anecdote, Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), racontait qu’en 1998 il était membre du jury de thèse d’un camarade faisant la démonstration que le générique ne se développerait pas en France et, convaincu par ses arguments, lui avait attribué une mention honorable… Qu’il regrette aujourd’hui. Car les génériques ont la faveur des chiffres. Depuis 20 ans, ils ont permis de faire économiser 25 Md€ à l’Assurance maladie. Le taux de substitution est passé de 0 à 80 % dans le Répertoire des génériques et à 92 % pour les molécules ciblées dans le champ conventionnel.
Une sacrée performance ! Mais du fait du Répertoire, « une particularité franco-française créée pour rassurer les médecins et encadrer le droit de substitution des pharmaciens », comme le souligne Claude Le Pen, le marché du médicament représente 36 % en volume et 19 % en valeur du marché pharmaceutique remboursable, loin des niveaux d’utilisation constatés dans d’autres pays européens (le générique dépasse les 80 % en Allemagne et les 70 % au Royaume-Uni). Si le taux de substitution doit être maintenu, selon Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale du Gemme (l’association des génériqueurs), le principal relais de croissance est l’élargissement du Répertoire et une prescription accrue à l’intérieur de celui-ci.
La croissance n’est pas un long fleuve tranquille
Depuis 20 ans, « le générique a toujours été en tension, il n’existe que par son prix et vit sur le dos des innovations. De plus, il est difficile de faire admettre aux Français qu’un bien moins cher à une valeur pour le système de santé », explique Claude Le Pen. Par ailleurs, « les politiques ont toujours fait prévaloir le principe de sécurité sanitaire, en particulier avec les médicaments à marge thérapeutique étroite, alors qu’il n’y avait pas forcément de danger objectif. Le principe d’équivalence thérapeutique a été réduit à la seule fin de rassurer les médecins, d’éviter des contestations et le risque de judiciarisation des affaires. »
Le générique a également régulièrement affronté les campagnes de dénigrement et les stratégies de contournement des laboratoires producteurs de médicaments originaux. Sur ce dernier frein, « les arbitrages ont été plus politiques que techniques », souligne l’avocat Alexandre Regniault. Sur le plan européen, « les évolutions en cours vont dans le bon sens. Il y a une sévérité accrue des juridictions en matière de contentieux sur les brevets ; un rapport adopté au printemps 2019 par le Parlement européen va faciliter la fabrication de médicaments génériques au sein de l’Union européenne et, bientôt, il y aura un brevet unifié européen avec une juridiction unique. »
« Le développement du marché des génériques reste un combat de chaque jour, chaque saut dans les parts de marché des génériques a résulté de la capacité des pouvoirs publics et des industriels de génériques à grignoter la frontière à la substitution érigée par les laboratoires de princeps », constate Etienne Nouguez, sociologue. Ce que l’actualité démontre en permanence. L’article 66 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2019 applicable au 1er janvier 2020, qui prévoit un reste à charge pour le patient en cas de refus du générique, est « une fausse bonne idée car elle ne correspond pas à la façon dont le marché s’est organisé en France, c’est un one-shot qui va tuer la poule aux œufs d’or qu’est le générique ». Selon le sociologue, une telle disposition entraînera un alignement généralisé des prix des princeps sur ceux des génériques dont auront connaissance les patients. Le générique n’aura donc plus de raison d’être.
L’histoire recommence avec les biosimilaires
Actuellement, la même histoire se réécrit avec les biosimilaires dont le décret accordant aux pharmaciens le droit de substituer n’a pas été publié. « On reproduit sur cette catégorie de médicaments, à 20 ans d’intervalle, les mêmes hésitations que sur les génériques ; on retrouve des réticences encore plus complexes des patients et des médecins », remarque Claude Le Pen pour qui « le problème n’est pas tant de publier les décrets d’une loi obsolète que de changer la loi elle-même pour rendre la substitution applicable. » Cette nouvelle aventure bis du générique devra passer, selon lui, par le vote d’amendements de la loi dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020. « Il y a urgence car l’offre en biosimilaires va se développer ! » Mais cela ne suffira pas. Pour un développement harmonieux de ce marché avec les pharmaciens d’officine, sans créer de défiance chez les patients et les médecins, il faut impliquer tous les acteurs. Histoire de ne pas répéter les mêmes erreurs qu’avec les génériques. ●
CHIFFRES CLÉS
➜ PART EN VALEUR DES GÉNÉRIQUES PAR RAPPORT AU TOTAL DE LA CONSOMMATION DES MÉDICAMENTS : 16 % EN FRANCE, 24 % POUR L’OCDE (ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES)
➜ PART EN VOLUME DES GÉNÉRIQUES (NOMBRE DE BOÎTES) PAR RAPPORT AU TOTAL DE LA CONSOMMATION DES MÉDICAMENTS : 29 % EN FRANCE, 48 % POUR L’OCDE.
Source : laboratoire Mylan.
- Economie officinale : les pharmaciens obligés de rogner sur leur rémunération
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine
- Explosion des défaillances en Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Occitanie
- La carte Vitale numérique, ce n’est pas pour tout suite
- [VIDÉO] Financiarisation de l’officine : « Le pharmacien doit rester maître de son exercice »
- Financement des officines : 4 solutions vertueuses… ou pas
- Prescriptions, consultations : les compétences des infirmiers sur le point de s’élargir
- Dispensation à l’unité : chassez-la par la porte, elle revient par la fenêtre
- Quelles populations sont actuellement à risque de développer un scorbut ?
- Gilenya (fingolimod) : quelles conditions de délivrance ?

