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Le check-up des négociations avec l’Assurance maladie
Le 9 mars, syndicats de titulaires, étudiants, Anepf et Assurance maladie étaient réunis dans le cadre d’un débat organisé lors du salon PharmagoraPlus. Objectifs : faire le point sur les négociations conventionnelles en cours de l’avenant économique et entendre l’Assurance maladie apporter son éclairage sur les sujets qui préoccupent la profession. Et ils sont nombreux.
Durant près de deux heures, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam), Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), et Lysa Da Silva, présidente de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), ont échangé sur les sujets qui agitent les négociations conventionnelles en cours. Ils étaient réunis pour le débat « Rémunération officinale : un avenant conventionnel à l’économie ? », organisé par Le Moniteur des pharmacies, Pharmacien Manager et Porphyre le 9 mars, au salon PharmagoraPlus à Paris. L’occasion d’aborder également d’autres thématiques comme les médicaments chers et la financiarisation.
Lors de la première réunion qui a ouvert les négociations conventionnelles, le 19 décembre dernier, les syndicats et la Cnam étaient en complet désaccord sur les données économiques relatives à l’officine. Trois mois après, la bataille des chiffres s’est apaisée. Les bilans de l’année 2023, présentés par l’Assurance maladie le 5 mars dernier, ont plutôt mis tout le monde d’accord. « On partage la même vision macro-économique : le chiffre d’affaires, les honoraires sur la dispensation, la marge réglementée et les autres honoraires, a expliqué Marguerite Cazeneuve. Par rapport aux années précédentes, la situation s’est dégradée en 2023, et les officines ont été affectées par l’inflation. Néanmoins, la marge réglementée et les honoraires continuent de progresser. Ce sujet fait apparaître des disparités plutôt qu’une tendance globale. Certaines officines vont très bien et d’autres très mal. Et cette dispersion de la situation économique des officines s’est aggravée. »
Soutenir les officines
Pour l’Assurance maladie, l’une des priorités de la discussion conventionnelle est d’analyser la situation des 10 % d’officines qui se trouvent dans une situation économique très difficile pour voir comment les soutenir. « Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de revalorisation générale pour la totalité de la profession », a précisé Marguerite Cazeneuve. « On converge doucement, mais on converge », a acquiescé Pierre-Olivier Variot. Il a néanmoins souligné qu’il existait encore un delta entre les données de la Cnam et celles des syndicats, essentiellement dû au fait que la profession ne dispose pas encore de chiffres sur les remises génériques. « Ces derniers seront forcément plus bas que ceux de l’an dernier à cause des ruptures », a-t-il commenté. Cependant, un sujet de dissension demeure : les charges ont progressé de près de 35 % tandis que la marge n’a, elle, augmenté que de 7 %. Philippe Besset a d’ailleurs rappelé que l’observatoire de l’économie officinale ne prend en compte que les ressources et pas les charges. Le président de l’USPO a conclu : « La situation des officines est tendue pour tout le monde. Il faut toutes les sauver ! »
La revalorisation des honoraires est un autre point de divergence sur lequel il n’y a pas encore eu beaucoup d’avancées. « Nous sommes dans une logique de désensibilisation aux prix des médicaments et aux volumes, dans une société de résilience où il faut globalement limiter les volumes de médicaments. On voit bien qu’il faut recentrer la valeur sur l’acte intellectuel du pharmacien au moment de la dispensation. Ensuite, lorsque vous faites des transferts de marges, d’honoraires, vous aurez au niveau de la microéconomie, même si l’on remet de l’argent au niveau macro, des gagnants et des perdants. La question est de savoir si la profession est prête à accomplir ce nouveau virage », a déclaré Marguerite Cazeneuve. « Il faut que tous les honoraires soient revalorisés pour que l’ensemble du réseau y gagne », a fait remarquer Pierre-Olivier Variot. « La FSPF n’est pas favorable à une nouvelle réforme systémique », a ajouté Philippe Besset, à savoir un échange d’un paramètre contre un autre . En revanche, le syndicat n’est pas opposé à un fléchage de la revalorisation pour l’amélioration de la pertinence et de la qualité, de la lutte contre les abus, les mésusages voire les fraudes. Les deux syndicats ont aussi rebondi sur le fait que la revalorisation des honoraires serait conditionnée à la juste dispensation ainsi qu’à la lutte contre les pratiques frauduleuses. Et si les négociations n’aboutissaient pas ? « On va agir, se mettre en grève, manifester, on fermera les officines », a répondu Philippe Besset, qui craint que sans revalorisation de la rémunération officinale, la désespérance s’installe et que le métier soit moins attractif alors qu’il manque déjà dse pharmaciens.
Définir le juste prix de la dispensation
La dispensation adaptée fait partie des différents modes de dispensation qui sont de nouveau sur la table des négociations. « A l’heure où l’on parle de bon usage et de juste dispensation, la dispensation adaptée est forcément un bon outil », estime Pierre-Olivier Variot. Lors des échanges avec l’Assurance maladie, il a été question de la limiter au paracétamol. « Un manque d’ambition » pour le président de l’Uspo, d’autant qu’au départ elle concernait tous les médicaments à posologie variable, dont le paracétamol, et que la convention de 2022 l’a élargie aux pansements, aux compléments nutritionnels oraux et aux bandelettes. Pour Philippe Besset, « la dispensation adaptée devrait servir pour revaloriser les honoraires, puisqu’il s’agit d’une intervention pharmaceutique ». En effet, la dispensation adaptée, qui n’est plus vraiment pratiquée aujourd’hui, donne lieu à une rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) dont le calcul est « impossible à expliquer aux pharmaciens et aux équipes officinales », selon le président de la FSPF. Quant aux dispensations d’antibiotiques pour l’angine et la cystite, elles incluent la vérification de critères d’exclusion, la réalisation du test rapide d’orientation diagnostique (Trod), la prise de responsabilité de la prescription, l’information du médecin et, éventuellement, un appel à trois jours pour vérifier la condition du patient. L’Assurance maladie a proposé d’augmenter le tarif de la réalisation du Trod de 50 %, soit 9 € (contre 6 € actuellement), et de rémunérer l’accès direct et l’acte de prescription à 5 €. Soit 14 € au total. Un montant que les syndicats jugent trop faible, leur demande étant de 25 €. « Ce n’est pas pour faire des économies que l’Assurance maladie a insisté sur la cystite et l’angine. Le médecin ne va pas fermer une heure plus tôt parce que la femme qui souffre d’une cystite est allée à la pharmacie. C’est un investissement pour le système de santé car cela dégage du temps médical, a rétorqué Marguerite Cazeneuve. Concernant la cystite et l’angine, ce qui va arriver, jamais on n’aurait pu l’imaginer il y a cinq ans. C’est un changement de paradigme. Et ce chemin qu’on a pris a vocation à s’élargir encore dans les prochaines années. » Pour autant, la directrice déléguée de la Cnam a mis en garde les syndicats : « Il faut être raisonnable. L’accès direct, c’est différent d’une consultation médicale. Il est essentiel de trouver le juste prix. C’est notre première proposition. Il y a encore des mois de discussion, on va s’ajuster. Mais si on veut élargir l’accès direct, il ne faut pas tout de suite demander la lune. »
La dispensation à l’unité est un autre sujet épineux. Aucun des deux syndicats n’y est favorable. « Cela figure dans la loi et dans la lettre de cadrage, a rappelé Marguerite Cazeneuve. Ce n’est pas pour réaliser des économies, car les antibiotiques ne coûtent rien. Mais, il s’agit de lutter contre l’antibiorésistance. Et puis, tout le monde est pour. La population ne comprend pas pourquoi, en France, la dispensation à l’unité n’existe pas comme dans d’autres pays. Pouvez-vous encore avoir raison tout seul contre le reste du monde ? Il faut que nous y réfléchissions. Peut-être que les modalités actuelles vous prennent du temps et qu’il y a toute une procédure inintéressante, mais si le politique revient de manière récurrente sur le sujet, cela n’est pas pour rien ! », a-t-elle argué.
De premières avancées
Au-delà des points de frictions, les syndicats ont d’ores et déjà obtenu quelques avancées significatives, notamment pour l’accompagnement des patients. Par exemple, les bilans partagés de médication vont être payés plus rapidement : 25 % lors de la première phase, 25 % lors de la deuxième et 50 % à l’issue du bilan. La Cnam a même augmenté le montant de la rémunération de 5 € la première année et de 10 € la deuxième. Autre motif de satisfaction : les pharmaciens pourront réaliser un entretien court pour les patients sous tramadol, payé 5 € environ, et pour les autres opioïdes de palier 2. Enfin, concernant la substitution des biosimilaires, qui n’entre pas dans le cadre de l’avenant, Marguerite Cazeneuve a confirmé qu’elle serait mise en œuvre en janvier 2025. « Les discussions avec l’Assurance maladie sont l’un des derniers espaces d’échanges avec des partenaires sociaux. Dans la plupart des secteurs, l’Etat décide de manière unilatérale. Rares sont les professions qui négocient elles-mêmes leur métier, leurs tarifs, etc. C’est un outil qu’il faut préserver, ce qui signifie qu’il est nécessaire de l’utiliser correctement », a glissé Marguerite Cazeneuve, comme si elle voulait tenter de calmer les esprits.
À retenir
– Les négociations conventionnelles patinent sur le sujet de la revalorisation des honoraires.
– L’Assurance maladie veut recentrer la valeur sur l’acte intellectuel du pharmacien au moment de la dispensation.
– L’Assurance maladie souhaite aussi prioriser les 10 % de pharmacies en grande difficulté.
– L’USPO et la FSPF réclament une revalorisation de l’ensemble des honoraires.
– Les discussions entre les syndicats et l’Assurance maladie doivent se poursuivre sur la dispensation adaptée et la prescription d’antibiotiques.
L’Assurance maladie opposée à la financiarisation
« Le fait que des fonds d’investissement viennent en appui des officines, ce n’est pas un problème en soi !, estime Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la Caisse nationale de l’Assurance maladie. Ce qui est extrêmement problématique, c’est l’émergence de nouveaux acteurs qui ont une logique de valorisation court-termiste, c’est-à-dire qui achètent du capital pour le revendre au bout de deux, trois ou quatre ans après avoir réalisé une bascule financière. Ce principe est catastrophique pour le système de santé. » En marge du débat sur les négociations conventionelles portant sur le volet économique, qui s’est tenu le 9 mars au salon PharmagoraPlus, Marguerite Cazeneuve a également confié que « l’Assurance maladie, le ministère et la Direction de la Sécurité sociale sont convaincus de la préservation du monopole. Aujourd’hui, les pharmaciens ont des arguments pour défendre le monopole pharmaceutique car leurs missions ont évolué. »
Le ton monte face aux médicaments chers et aux indus
Quand Pierre-Olivier Varriot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine, a reconnu que « les pharmaciens étaient de plus en plus nombreux à se montrer frileux de dépenser 50 000 € pour en gagner 98 € [la marge des médicaments chers, NdlR] », Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la Caisse nationale de l’Assurance maladie, s’est offusquée de l’idée que des professionnels de santé puissent considérer que le jeu n’en valait pas la chandelle. Elle a également ajouté que « la somme de 98 € lui paraissait être suffisante pour qu’en retour le pharmacien vérifie l’authenticité des ordonnances de médicaments chers. Or, les contrôles de la Cnam ont révélé que seules 30 % des ordonnances sont vérifiées. » Elle est aussi revenue sur le sujet des indus. « En 2022, l’Assurance maladie a relevé 400 000 anomalies pour un montant total de 14,2 millions d’euros. La double facturation et la non-vérification des droits de l’assuré en sont les principaux motifs. Bien sûr, il n’y a pas de volonté de la part des pharmaciens de frauder », a-t-elle souligné. Et quand les syndicats ont réabordé la question des indus « abusifs », Marguerite Cazeneuve a répondu : « A l’Assurance maladie, notre niveau de contrôle est faible, car notre système est fondé sur la confiance. » Pour autant, après les négociations conventionnelles, un groupe de travail, réunissant l’Assurance maladie et les syndicats, va être mis en place.
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