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Fin des restrictions pour le phénoxyéthanol ?

Publié le 19 février 2020
Par Anne-Gaëlle Harlaut
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Fin 2019, le Conseil d’État a annulé les restrictions de l’ANSM concernant le phénoxyéthanol, conservateur dans les cosmétiques. Arbitré par la Commission européenne, le bras de fer réglementaire penche en faveur des industriels.

Qu’est-ce que le phénoxyéthanol ?

Le phénoxyéthanol, ou EGPhE, est un éther de glycol synthétique utilisé comme conservateur antibactérien dans les cosmétiques, crèmes, shampooings, dentifrices, etc. Partiellement absorbé par voies orale et cutanée, il est surtout métabolisé par le foie. Son utilisation est réglementée au niveau européen, avec une concentration maximale fixée à 1 % du produit cosmétique fini.

Pourquoi est-il controversé ?

En plus d’une potentielle irritation oculaire modérée à sévère, des études chez l’animal suggèrent des effets toxiques pour le foie et le sang, avec diminution des lipides du parenchyme et de la cholestérolémie, hémolyse et anémie. À forte dose, il est suspecté d’être toxique pour la reproduction et le développement. Néanmoins, aucun effet systémique n’est rapporté chez l’homme.

Pourquoi des restrictions de l’ANSM en 2012 ?

En 2008, le Comité pour le développement durable en santé(1) alerte l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur la présence d’ingrédients possiblement toxiques, dont le phénoxyéthanol, dans les cosmétiques pour bébés fournis par les maternités. Après évaluation, l’agence recommande en 2012, pour les moins de 3 ans, de ne pas utiliser ce conservateur dans les cosmétiques destinés au siège, et de restreindre sa concentration dans les autres produits à 0,4 %(2).

L’Europe a-t-elle suivi l’ANSM ?

À la suite du rapport de l’ANSM, la Commission européenne (voir Repères) charge le Comité scientifique européen pour la sécurité des consommateurs (SCCS) de réévaluer l’ingrédient. En 2016, le SCCS réaffirme la sécurité du phénoxytéhanol à 1 % au maximum à tout âge.

L’ANSM retire-t-elle ses restrictions ?

Non, l’agence maintient ses restrictions, suscitant le dépôt d’un recours gracieux de la Fédération des entreprises de la beauté (Febea) qui demande leur retrait. L’ANSM réunit alors des experts au sein d’un Comité scientifique spécialisé temporaire. Ce CSST maintient, en 2017, les recommandations de ne pas utiliser le phénoxyéthanol dans les cosmétiques pour siège et dans les lingettes(3), mais estime que la concentration maximale de 1 % est applicable pour les autres produits. Malgré tout, les recommandations de 2012 demeurent sur le site de l’ANSM, qui les complète d’une mesure de police sanitaire en mars 2019(4). Celle-ci demande de « préciser sur l’étiquetage des produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol, à l’exclusion des déodorants, des produits de coiffage et des produits de maquillage, qu’ils ne peuvent pas être utilisés sur le siège des enfants de 3 ans ou moins ». Cette mesure devait être mise en place au plus tard le 20 décembre 2019.

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Cette restriction d’étiquetage est-elle respectée ?

Non, car « car elle est incohérente, non scientifiquement fondée et juridiquement non conforme, explique Anne Dux, responsable des affaires scientifiques et réglementaires à la Febea. La Commission européenne a fait savoir à l’ANSM, par courrier du 27 novembre 2019, que cette mesure était contraire au droit communautaire, ce qui a pour conséquence de mettre à l’abri les industriels ».

Après de nouvelles requêtes de la Febea, le Conseil d’État a enjoint le directeur de l’ANSM, le 4 décembre 2019, d’abroger les recommandations de 2012 et de les retirer de toute publication. Au 6 février 2020, la restriction d’étiquetage était toujours en cours. « Nous avons de nouveau saisi le Conseil d’État et attendons son annulation d’un jour à l’autre », ajoute Anne Dux.

Que dire aux parents qui s’inquiètent ?

Pour Céline couteau, spécialiste en cosmétologie (voir Expertes), « toutes les données sont en faveur de la sécurité d’emploi de ce conservateur lorsque la dose limite d’emploi, qui est de 1 % dans tous les pays européens, est respectée ». Sorbate de sodium, chlorphénésine ou parabens sont des alternatives, mais sans avoir le même spectre d’action. Le message doit être réorienté sur le risque de contamination. Il faut « rappeler aux parents qu’un cosmétique souillé est dangereux et qu’il est important d’incorporer des conservateurs dans certains produits ».

NOS EXPERTES INTERROGÉES

→ Anne Dux, responsable des affaires scientifiques et réglementaires à la Fédération des entreprises de la beauté (Febea).

→ Céline Couteau, maître de conférences en pharmacie galénique et cosmétologie, Nantes (44), cocréatrice du blog www.regard-sur-lescosmetiques.fr

Repères

Les produits cosmétiques sont régis par le règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen.

→ L’annexe V liste les conservateurs autorisés et, le cas échéant, leur concentration maximale autorisée.

→ L’article 27 stipule que l’autorité compétente d’un pays – l’ANSM en France – peut prendre des mesures provisoires pour retirer du marché ou restreindre la disponibilité d’un produit en cas de motifs faisant craindre « un risque grave pour la santé humaine ». Si la Commission européenne estime ces mesures injustifiées, les mesures provisoires nationales doivent être abrogées.

(1) Professionnels de santé mobilisés pour le développement durable dans les établissements sanitaires et médico-sociaux.

(2) Évaluation du risque lié à l’utilisation du phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques, ANSM, mai 2012, actualisé en déc. 2019.

(3) Utilisation du phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques, décembre 2017.

(4) Point d’information ANSM, 20 mars 2019.