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“Valorisons les compétences des préparateurs”

Publié le 1 avril 2020
Par Christine Julien et Magali Clausener
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Porphyre a rencontré Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), et Daniel Burlet, secrétaire général adjoint en charge des affaires sociales et de la formation, afin de connaître leur vision des métiers de pharmacien et de préparateur, ainsi que les perspectives d’évolution de la pharmacie et de l’équipe officinale.

Après un entretien avec Philippe Besset et Philippe Denry (n° 559 de février 2020), de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Porphyre s’est rendu à Paris, au siège de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), deuxième syndicat de pharmaciens titulaires.

L’USPO est née d’une scission avec la FSPF, le premier syndicat. Début 2000, plusieurs adhérents de la FSPF étaient en désaccord avec la politique du « moins pire » menée sur l’économie de l’officine. En septembre 2001, vingtsix syndicats départementaux de la FSPF décidèrent donc de claquer la porte et de créer l’USPO.

Ce nouveau syndicat se positionne en particulier sur l’évolution du métier de pharmacien. Quatre ans plus tard, il devient représentatif et peut donc participer aux négociations avec l’Assurance maladie sur l’exercice professionnel, et avec les syndicats de salariés pour tout ce qui concerne les préparateurs : rémunération, classification, formation… En 2010, lors des élections professionnelles, l’USPO obtient une audience de 28 %, qui passe à 43 % en 2015. Ce qui lui permet de signer seul des avenants de la convention pharmaceutique avec l’Assurance maladie, par exemple sur les objectifs de la substitution des génériques ou, plus récemment, sur la dispensation adaptée.

La profession de pharmacien est-elle une profession d’avenir ? Et celle de préparateur ?

Gilles Bonnefond : Je crois beaucoup au métier de pharmacien d’officine avec son équipe, car le pharmacien seul ne peut rien faire. Pourquoi c’est une profession d’avenir ? Parce que nous avons accepté à un certain moment d’être une profession réglementée, avec ce qui peut sembler être des contraintes, mais elles ont protégé le patient. Aujourd’hui, nous n’avons pas de désert pharmaceutique, alors que nous avons des déserts médicaux. Nous avons des équipes formées, habilitées à dispenser les médicaments et à accompagner les patients. Le désert médical implique que rien ne pourra évoluer si nous n’avons pas de délégation de tâches, de transfert de compétences vers la pharmacie et les infirmiers. Nous en avons pour vingt ans à faire face à cette situation qui se dégrade à grande vitesse. Nous avons donc engagé la profession sur un accompagnement et un suivi des patients, avec l’adhésion au traitement, des actions de dépistage. Nous apportons une plus-value à la profession et cela fait de la pharmacie, avec la prévention et le dépistage, un centre d’accueil des patients plus large qu’auparavant. Désormais, le patient va à la pharmacie parce qu’il a besoin de ses médicaments, mais aussi parce qu’il peut y bénéficier d’un bilan partagé de médication, être vacciné, disposer d’outils de télémédecine pour avoir un contact avec un médecin à distance. Nous avons élargi la palette de services et valorisé les compétences de l’officine. La stratégie que nous portons est d’identifier les compétences, de les faire reconnaître par les pouvoirs publics et de les faire rémunérer. C’est le travail de l’USPO depuis qu’elle a été créée et, depuis 2018, lorsque nous avons pris le leadership de la vie conventionnelle, nous avons clairement accéléré le mouvement. Depuis deux ans, on n’a jamais vu une profession bouger aussi vite.

Pensez-vous que, dans les petites officines, les titulaires pourront faire face aux nouvelles missions avec juste un ou deux préparateurs ?

Gilles Bonnefond : Je crois que oui. Tous les professionnels de santé sont confrontés aux changements et ceuxci sont de plus en plus rapides. Une profession qui ne se réinvente pas est une profession dans une impasse. Nous avons proposé aux pharmaciens cette palette de services. Après, à l’entreprise officine d’organiser son backoffice, la gestion de son recrutement et l’organisation du travail pour relever ces défis. Cela signifie qu’il faut se dégager du back-office, se faire aider par les groupements, qui peuvent contribuer à la négociation avec les visiteurs pharmaceutiques, mieux gérer ses stocks, ne pas avoir des commandes qui entraînent de la logistique inutile. Le pharmacien doit se demander comment identifier aujourd’hui toutes les tâches non génératrices d’économies positives pour l’officine mais génératrices de coûts de structure, pour dégager du temps et répondre aux services proposés. La stratégie est assez simple. C’est la confrontation de tous les métiers par rapport aux changements. On n’y échappe pas.

Dans ce contexte, comment le rôle des préparateurs peut-il évoluer ?

Gilles Bonnefond : L’évolution du métier de préparateur est indispensable. Aujourd’hui, nous sommes en train de conquérir la vaccination, les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod), les opérations de dépistage, etc., et nous voyons bien que nous faisons réagir les autres professions de santé, parfois de façon assez vive, voire démesurée. Le fait que les pharmaciens réalisent ces actes ôte l’un des arguments entendus qui consiste à dire que nous allons le faire faire par « nos vendeurs ». Nous leur rappelons que les préparateurs sont diplômés, qu’ils sont sous la responsabilité du pharmacien et qu’ils ne sont surtout pas des vendeurs. Cela montre bien que, si nous voulons déléguer aux préparateurs des tâches reconnues comme des actes pharmaceutiques, cela va prendre un certain temps. Il faut que cette activité soit acceptée, stabilisée, et ne pose aucun problème au niveau de la sécurité des patients. Après, pourra se poser la question éventuellement d’une autre organisation au sein de l’officine.

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Vous estimez à combien ce temps ?

Gilles Bonnefond : Je trouve que cela va très vite. La vaccination contre la grippe n’est plus un débat. Demain, elle devra concerner les adultes, y compris ceux non pris en charge par l’Assurance maladie, ainsi que tout le calendrier vaccinal. Ensuite, si l’acte est considéré comme un acte réalisé au sein de l’officine, il faudra voir si on peut autoriser les préparateurs à le faire, avec des conditions de formation et sous la responsabilité du phar macien. Pour l’instant, il est important que cette activité devienne naturelle. Après, nous verrons comment s’organiser au sein de l’officine. Nous ne pouvons pas franchir la marche d’un seul coup, sinon nous n’allons pas avancer.

Les préparateurs ne peuvent-ils pas avoir un rôle dans le back-office et le conseil en parapharmacie, par exemple, et ainsi dégager du temps pour le pharmacien ?

Gilles Bonnefond : Ce que j’appelle back-office, c’est la gestion des stocks, du tiers-payant, le rangement, la passation de commandes, l’organisation du merchandising, etc. Je pense que ces tâches peuvent être allégées et mieux organisées. Elles doivent être diluées au sein de l’équipe. Ensuite, qu’il y ait des responsabilités données aux préparateurs pour qu’ils prennent en charge tel laboratoire ou telle gamme, c’est valorisant. Cela peut créer une dynamique et une émulation au sein de l’équipe, mais ce n’est pas l’évolution du rôle des préparateurs que j’attends. Ce que je souhaite, c’est bien sûr renforcer leurs compétences sur la dispensation, mais aussi qu’ils soient en phase de recrutement des patients pour les entretiens pharmaceutiques, qu’ils puissent alerter sur les services que l’on peut apporter aux patients et organiser avec eux le parcours du premier recours. Concrètement, lorsque le patient entre à l’officine sans ordonnance, comment lui apporter le conseil le plus approprié, d’autant plus que les complémentaires santé vont prendre en charge ce parcours de soins ? Les préparateurs doivent par conséquent être davantage sur l’accueil du patient, l’analyse de sa situation et pouvoir, si nécessaire avec le pharmacien ou l’équipe, le prendre en charge.

Mais a-t-on encore besoin de préparateurs en pharmacie ?

Gilles Bonnefond : Je ne suis pas sûr que le métier de préparateur soit enfermé dans un cadre qui ne serait plus adapté au fonctionnement de la pharmacie. Je pense que c’est plutôt l’inverse. Le préparateur a toute sa place. Le tout est d’être capable de modifier sa formation. Les cours de galénique, les heures passées à préparer des pilules, des suppositoires ou des crèmes ne correspondent pas à la réalité de l’activité de l’officine. Il y a peut-être lieu d’alléger cette partie de la formation pour faire progresser et orienter le métier de préparateur vers la vraie vie à l’officine.

C’est quoi la « vraie vie » ? Comment définissez-vous le métier de préparateur ?

Daniel Burlet : Historiquement, les préparateurs étaient formés en cinq ans. De surcroît, ils pouvaient être au comptoir durant ces cinq années. Aujourd’hui, ils sont formés en deux années scolaires. Les apprentis n’ont pas le droit légalement d’être au comptoir. Dans la réalité, des préparateurs fraîchement diplômés arrivent à l’officine et n’ont jamais vu un patient, c’est-à-dire qu’ils ne connaissent pas le métier qu’ils vont exercer. Cela ne dépend pas de l’apprenti, cela dépend de son maître d’apprentissage. Le dernier semestre, dans mon esprit, doit être consacré à l’apprentissage du comptoir sous la houlette d’un pharmacien, d’un adjoint ou d’un autre préparateur habilité à délivrer les médicaments. On ne lâche pas quelqu’un qui a un BP au comptoir sans aucune expérience. Lorsque l’on a une formation bien faite, la personne arrive en sachant ce qu’elle va faire. L’intégration dans l’équipe compte également, car personne n’est compétent dans tous les domaines. Les missions arrivent ensuite naturellement, par affinités. Si un préparateur est très « nature », phytothérapie, etc., c’est aussi à lui de bousculer son titulaire en lui disant qu’il veut faire cela.

Gilles Bonnefond : Avant, le métier de préparateur consistait à préparer et faire de la galénique. Aujourd’hui, c’est de préparer des ordonnances, mais le préparateur va éventuellement accueillir les patients, qui vont décrire des symptômes, et les conseiller. Pour cette raison, deux ans de formation sont insuffisants. Nous sommes favorables à une formation de trois ans en alternance. Ce n’est pas neutre d’affirmer cela car nous allons payer la formation du jeune. C’est un investissement de la part de l’entreprise officine pour former un jeune. Pourquoi y sommes-nous favorables ? Parce que ce métier ne s’apprend pas uniquement à l’école. Il s’apprend aussi en pratique. D’ailleurs, la question se pose également pour les pharmaciens et nous allons allonger le stage officinal de la sixième année, car nous savons que les étudiants apprennent beaucoup durant cette période de stage. Pour les préparateurs, nous souhaitons rester sur l’apprentissage. Cela coûte à l’entreprise mais c’est un bon investissement, pour le jeune qui va être payé pour se former et pour le chef d’entreprise car le fait de vivre la moitié du temps en entreprise est une source importante de formation efficace et utile. J’émets cependant une réserve : je ne veux pas que cette formation soit faite à la faculté pendant trois ans. Au départ, on avait dit que la troisième année pouvait être un choix officinal ou hospitalier. Les facultés ont commencé à dire que c’était l’universitarisation du diplôme, mais universitarisation ne veut pas dire obligatoirement université. On voit l’appétence de certaines facultés qui se disent qu’il y a de l’argent à se faire avec l’apprentissage, que cela va remplir les postes d’assistants, et qu’elles vont former des bac + 3 à l’université. Les Centres de formation des apprentis (CFA) seraient mis en difficulté alors que leur avantage est la proximité. Ce n’est pas la même chose d’être à 50 km du CFA et de rentrer chez soi le soir que d’être à 150 km. Lorsque vous êtes dans une ville de faculté, vous êtes obligé d’avoir un logement alors que vous travaillez la moitié du temps à la pharmacie. Cela implique que nous aurions le même tropisme des villes universitaires que pour les pharmaciens (NDLR : la majorité des apprentis préparateurs seraient concentrés dans un périmètre proche des villes où se situent des facultés de pharmacie, avec des difficultés pour trouver un maître d’apprentissage, voire un poste ensuite, car tout serait concentré).

A priori, les expérimentations d’une nouvelle formation pour les préparateurs doivent se faire en bonne intelligence avec les CFA, avec une partie des cours à la faculté et l’autre dans les CFA. Comment voyez-vous l’évolution de ces expérimentations ?

Daniel Burlet : C’est plus compliqué et cela part un peu dans tous les sens. Cela vient du fait que chacun expé rimente comme il en a envie. Les organisations de préparateurs hospitaliers n’ont pas non plus tout à fait la même vision que celle des préparateurs officinaux quant à leur formation et leur plan de carrière. Des facultés sont prêtes à travailler en harmonie avec l’ensemble des CFA de leur territoire, à condition que ceux-ci soient volontaires. Mais d’autres ne veulent pas en entendre parler et veulent assumer totalement la formation.

N’est-ce pas dangereux ?

Daniel Burlet : C’est une expérimentation sur laquelle les professionnels ont peu de prise. Nous avons justement sorti le référentiel d’activités pour aiguiller les facultés.

Gilles Bonnefond : Au départ, l’idée de lancer des expérimentations partait d’une bonne intention, mais nous avons vu des intentions cachées. Pour certaines universités, il s’agit d’avoir des ressources supplémentaires avec l’apprentissage. Cela serait un très mauvais service que l’on rendrait à la profession pour plusieurs raisons. Dans ce système, il n’y aurait pas forcément d’enseignements plus appliqués, les jeunes auraient des difficultés à trouver un logement. Un effet collatéral serait que les jeunes intéressés seraient proches de la faculté et n’auraient pas envie de se déplacer ensuite. Aujourd’hui, j’entends des choses contradictoires. Pour moi, la troisième année peut comporter plus d’enseignements de l’université à condition qu’ils soient complémentaires et pas en train de phagocyter le système de formation. Je pense que ce n’est pas une bonne chose d’avoir une formation plus théorique.

Quel est le rôle des syndicats et de la Commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle (CPNE-FP) de la pharmacie d’officine dans cette refonte ?

Daniel Burlet : Notre rôle est déjà de raccrocher les wagons au train, car les universités ont bien pris garde de ne pas prévenir les par tenaires sociaux. L’université ne sait pas ce qu’est la CPNE-FP. Il faut que la CPNEFP de la branche de la pharmacie fasse des pieds et des mains pour pouvoir être invitée aux conférences d’organisation. La CPNE-FP qui, lorsqu’un diplôme sera établi, va déterminer sa classification et sa rémunération, ne participe pas à l’élaboration des projets d’expérimentation. Je dirais même qu’elle est mise sur la touche par les facultés !

Gilles Bonnefond : Je souhaite que les facultés soient raisonnables et affichent clairement ce qu’elles veulent faire. Je suis prêt à discuter de la troisième année. Les deux premières années se déroulent au CFA et la troisième année en collaboration avec l’université. Durant les deux premières années, il peut y avoir au CFA des interventions de professeurs de l’université sur certains enseignements. Et la troisième année se passe toujours au CFA, mais avec une relation beaucoup plus renforcée avec l’université. Mais le lieu d’enseignement, c’est le CFA.

Mais que pouvez-vous faire concrètement ?

Gilles Bonnefond : Si c’est l’apprentissage, ce sont les pharmaciens qui vont choisir. Si on envoie un signal parce que nous ne sommes pas favorables à ce qui est proposé, les places risquent d’être un peu vides. L’université a donc plutôt intérêt à discuter avec nous qu’à le faire à marche forcée.

Êtes-vous d’ailleurs prêts à payer les préparateurs 100 ou 200 € de plus dans le cadre de cette nouvelle formation ?

Daniel Burlet : Nous sommes prêts à en discuter…

Trouvez-vous que la grille salariale est correcte par rapport à ce que l’on demande aujourd’hui aux préparateurs ?

Daniel Burlet : La grille est le salaire minimal correspondant à la fonction. Cela n’a jamais été le salaire obligatoire. Au départ, la grille salariale est destinée à éviter que des salariés soient sous-payés par rapport à leur poste, c’est une garantie minimale. Ensuite, c’est l’éternel problème de la reconnaissance du salarié qui n’est pas forcément pécuniaire. Le pharmacien peut effectivement dire à un préparateur qu’il a bien travaillé ou pris une bonne initiative. Rien n’empêche non plus le préparateur d’entrer dans le bureau du titulaire pour discuter de son salaire.

La classification des emplois doit être révisée. Où en est-on ? Et va-t-elle prendre en compte cette refonte des études ?

Daniel Burlet : Le prestataire qui réalise l’étude a terminé son travail afin de faire le point sur les métiers. C’est maintenant à nous, par tenaires sociaux, de travailler, mais nous n’allons pas attendre six ans, c’est-à-dire la fin des expérimentations, pour la rénover ! Et nous ne pouvons pas non plus tenir compte de ces expérimentations puisque rien n’est établi.

Apparemment, les facultés s’orientent vers une licence professionnelle. La question est de savoir à quel moment le préparateur pourrait délivrer des médicaments, à bac + 2 ou non ?

Daniel Burlet : C’est un gros point d’achoppement entre la branche et les universités. Certaines envisagent une délivrance à bac + 2. Leur argument est que les CFA forment en deux ans, avec le droit de délivrer à la fin de la formation. Le ministère de l’Éducation nationale souhaite qu’un diplôme de niveau bac + 2 conduise à un emploi, mais ils ignorent totalement l’existence des professions réglementées.

Gilles Bonnefond : Les facultés oublient aussi qu’il y a un contrat de travail. Va-t-il être sur deux ou trois ans ? Et quelle sera la rémunération ? J’attends de voir comment ils vont régler ce problème sans nous parler. L’employeur est quand même le pharmacien !

Daniel Burlet : L’expérimentation doit durer six ans. L’intérêt des CFA durant cette période n’est pas d’aiguiller forcément les jeunes vers l’université.

Gilles Bonnefond : Les facultés méconnaissent l’apprentissage. Elles ne parlent pas assez avec nous, avec les représentants légitimes des salariés et des employeurs qui vont négocier. Car il va falloir discuter le contrat d’apprentissage sur deux ou trois ans. J’ai envie d’avoir la science de l’université, mais pas son organisation.

Quelles sont les compétences dont les pharmaciens ont besoin actuellement ?

Gilles Bonnefond : Aujourd’hui, la préparation magistrale s’est concentrée dans quelques officines. La formation à la préparation ne doit plus être aussi importante. La réforme doit permettre aux préparateurs d’être capables d’accueillir un patient qui a des pathologies de première intention, de l’orienter, de détecter des risques iatrogènes pour pouvoir alerter le pharmacien, et d’intégrer toute la partie informatique qui aide à prendre des décisions. Cela correspond à l’évolution du métier. Ensuite, nous verrons si nous sommes capables d’intégrer les préparateurs dans des tâches que réalisent les pharmaciens. Cela pourrait être la vaccination, un accompagnement dans la télémédecine, une spécialisation sur le maintien à domicile. Si demain on développe les pompes à insuline et l’appareillage de l’apnée du sommeil, cela peut intéresser les préparateurs de se spécialiser dans ces activités, où ils seront certainement beaucoup plus compétents et mieux formés que les techniciens de prestataires, qui n’ont pas de formation scientifique. La palette est large. Le tout est que la base soit solide. Une formation en trois ans me convient bien. Les métiers de pharmacien et de préparateur sont complémentaires. Je pense que si nous sommes assez malins pour mieux former les préparateurs et leur offrir des perspectives, ils ont toute leur place dans l’officine. Mais on ne peut pas rester sur une formation de deux ans avec un référentiel qui est un peu daté.

On a cependant pu avoir l’impression que les pharmaciens ne souhaitaient pas finalement que les préparateurs montent en compétences…

Daniel Burlet : Quand on demande un nouveau diplôme avec un volume horaire qui grimpe de 40 % et une année de plus, le signal est clair !

Gilles Bonnefond : L’expérimentation ne me gêne pas mais elle doit être discutée et montée ensemble pour être utile. Si c’est une expérimentation pilotée uniquement par la faculté, je ne donne pas cher de ce qui va se passer à la fin. On ne fait pas prendre des risques à des jeunes qui vont rentrer dans des contrats de travail.

Daniel Burlet : Le mot d’ordre de l’USPO est « Valorisons nos compétences » et il ne s’agit pas uniquement de celles des pharmaciens.

Pourquoi les préparateurs ont-ils alors le sentiment de ne pas être assez valorisés ?

Daniel Burlet : Ils ont un sentiment de frustration. Est-ce que cela tient à un recrutement qui est fait post-bac et dans lequel nous avons un certain nombre de personnes qui ont échoué à un concours parfaitement injuste et qui se retrouvent dans une voie de récupération d’avenir professionnel ?

Mais une fois en pharmacie, pourquoi partent-ils ?

Gilles Bonnefond : J’ai recruté une jeune préparatrice et lui ai proposé un CDI. Elle a refusé, elle voulait un CCD car elle ne voulait pas se sentir « piégée ». J’ai réalisé que les jeunes ne recherchent pas forcément un CDI, la stabilité dans une même entreprise, alors que c’était le cas auparavant. Malgré une formation, il y a une certaine porosité (NDLR : des fuites de diplômés), mais elle n’est pas très importante. Par rapport aux plans de carrière, la grille évolue, les préparateurs peuvent passer assimilés cadres. Il peut y avoir également des champs d’activité, je pense au maintien à domicile, que l’USPO cherche à diversifier, à la parapharmacie, même si ce n’est pas le coeur de métier. Sur toute la partie conseil et recrutement des patients, le préparateur a toute sa place et, lorsque cela sera mûr, on pourra faire de la délégation de tâches à l’intérieur de la pharmacie. Je crois que si nous sommes capables d’arriver à une formation de trois ans utile, à une universitarisation utile, c’est-à-dire au service de ce métier, avec le respect des zones géographiques avec les CFA existants qui ont été créés dans cette optique, nous y parviendrons.

Les syndicats n’ont-ils pas un rôle à jouer dans l’évaluation de l’apprentissage afin qu’il soit davantage validant ?

Gilles Bonnefond : Je suis entièrement d’accord. Être maître d’apprentissage, et avoir des apprentis, engage sur des responsabilités de formation. Je pense qu’il faut axer sur ce point et aider les maîtres d’apprentissage sur la pédagogie, les pousser pour que l’apprentissage soit utile. La formation doit avoir un sens. Il faut mettre en place des contrôles, limiter le nombre d’apprentis par pharmacie. C’est ce que font les CFA et je ne suis pas sûr que les facultés le fassent. Je suis assez favorable à un véritable partenariat entre les maîtres d’apprentissage et les CFA. L’avantage des CFA est qu’ils sont proches des élèves et peuvent savoir quand cela ne se passe pas bien.

Les préparateurs peuvent désormais accéder à la deuxième ou troisième année de pharmacie. Que pensez-vous de cette mesure ?

Daniel Burlet : Il faut une carrière pour tous. Le préparateur qui se sent les capacités de reprendre un cursus d’enseignement pour devenir pharmacien, cela ne me pose pas de problème, d’autant plus qu’il sera certainement un excellent pharmacien d’officine car il aura de l’expérience. Mais il ne faut pas rêver. On ne va pas faire rentrer en pharmacie 300 préparateurs par année scolaire et par université.

Ce n’est pas le but non plus ?

Daniel Burlet : Non, il s’agit de fournir des passerelles aux gens méritants, car il y a un entretien et un dossier à déposer, en leur permettant d’intégrer une filière sans refaire une première année, en supposant qu’ils ont les acquis. Aujourd’hui, le préparateur qui veut faire pharmacie entre en première année et doit passer le concours. Si on peut lui épargner une année d’enseignement dans des domaines qu’il connaît, c’est très bien. Cela n’empêchera pas ceux qui se verront refuser l’accès à cette passerelle d’intégrer une première année, puisqu’ils ont le bac pour s’y inscrire. Le problème actuellement est que la nouvelle formation de préparateur sera proposée dans Parcoursup. C’est un peu gênant, parce que la filière n’est pas encore constituée et je ne sais pas comment ils vont recruter des jeunes qui devront être en CFA, en apprentissage et à l’université, sans savoir combien il y aura de places et quelle sera la formation…

Faut-il donner un autre nom au métier de préparateur ?

Daniel Burlet : Je ne suis pas emballé pour changer le nom. Si « préparateur » peut paraître abscons aux gens extérieurs, il a une signification pour les gens de la branche. Les préparateurs ne préparent plus de médicaments, mais ils préparent des ordonnances.

Gilles Bonnefond : Changer le nom du métier n’a pas d’intérêt stratégique. Je pense comme Daniel Burlet : les préparateurs préparent les ordonnances.

Bio express

Gilles Bonnefond

Octobre 1983 : obtention du diplôme de pharmacien à la faculté de Montpellier (Hérault) après une licence de biologie.

1984 : diplôme d’études approfondies de chimie thérapeutique, suivi d’une thèse.

1986 : installation à Montélimar (Drôme).

1990: président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) de la Drôme.

2001: membre fondateur et secrétaire général de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).

2008 : président délégué de l’USPO.

Depuis 2011 : président de l’USPO.

Daniel Burlet

1979 : diplôme de pharmacien à la faculté de Grenoble (Isère).

1981 : installation à Moutiers (Savoie) et adhésion à la FSPF.

2001 : secrétaire du syndicat FSPF de Savoie, rejoint l’USPO.

2006 : président du syndicat USPO de Savoie.

2008 : en charge des affaires sociales et de la formation à l’USPO.

2013 : secrétaire général adjoint de l’USPO.

2015 et 2019 : président de la CPNE-FP(1).

Janvier 2020: départ à la retraite de l’officine, mais poursuite de son rôle de syndicaliste.

(1) La Commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle (CPNE-FP) de la pharmacie d’officine, créée en 1991, est un organisme paritaire composé des syndicats d’employeurs et de salariés de la branche. Parmi ses missions :

– étudier la situation de l’emploi et son évolution au sein de la pharmacie d’officine ;

– définir et promouvoir la politique de formation au sein de la pharmacie d’officine ;

– dégager les axes de formation prioritaires et définir le contenu de ces formations ;

– examiner les possibilités d’adaptation à d’autres emplois par des mesures de formation professionnelle du personnel appartenant à des catégories en régression ou en évolution technique ;

– établir la liste des centres, établissements ou organismes de formation dont les programmes correspondent aux orientations qu’elle a définies. C’est la CPNE-FP qui crée aussi les certificats de qualification professionnelle (CQP) de branche.