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Covid-19 : la semaine où tout a basculé
Le 17 mars 2020, la vie des Français a basculé. Celles des pharmaciens et de leurs équipes aussi. Activité, organisation, accueil des patients, nouvelles responsabilités… Les officines doivent s’adapter au jour le jour aux conséquences du confinement imposé par l’Etat. Chronique d’une semaine où le monde a changé.
C’est la fin du monde… » Ces propos d’une pharmacienne parisienne reflètent l’impression générale de ce premier jour de confinement. Nous sommes le mardi 17 mars 2020, il est 18 h, les rues de la capitale sont quasiment vides. Le jour même, après 12 h, les patients ont déserté les officines à Paris mais aussi celles situées aux quatre coins de la France. Le changement est brusque. Lundi et mardi, les pharmaciens ont en effet vécu deux jours de « furie » comme le résume Fabrice Camaioni, titulaire à Revin, dans les Ardennes. « Lundi matin, la pharmacie était fermée mais j’étais présent et je faisais des marquages au sol pour que les patients respectent les distances de sécurité. J’ai eu 15 à 20 appels de personnes inquiètes qui voulaient savoir si la pharmacie serait ouverte, relate le pharmacien. Mardi matin, 12 à 15 personnes attendaient dehors l’ouverture de la pharmacie. » Olivier Rozaire, titulaire à Saint-Bonnet-le-Château (Loire), une commune d’environ 1 500 habitants, a reçu dans son officine 2 000 personnes entre samedi et mardi. « Lundi, nous avons eu 660 personnes », précise-t-il. Du jamais vu. Même situation dans les Hauts-de-France. « Lundi 16 mars, mon activité a été multipliée par trois », observe Grégory Tempremant, titulaire à Comines (Nord). A Dijon (Côte-d’Or), Pascal Louis fait part du même constat. « Les patients ont avancé d’une semaine le renouvellement de leurs ordonnances, mais j’ai refusé de renouveler les prescriptions qui dataient de 15 jours ou moins », observe le titulaire.
A localisation différente, situation différente
Dès mardi soir, la chute de l’activité incite des pharmaciens à s’interroger sur leurs horaires d’ouverture. C’est notamment le cas à Paris, où les officines sont ouvertes jusqu’à 19 h 30, parfois 21 h. Des titulaires envisagent de fermer une heure plus tôt. Brigitte Bouzige, titulaire aux Salles-du-Gardon (Gard), revoit son organisation pour qu’une partie de son équipe se repose après l’affluence du début de semaine. Mais selon la localisation des officines, la situation évolue rapidement et différemment. A Paris, le jeudi 19 mars, une titulaire évoque « une activité semblable à celle de la période estivale ». A Marseille (Bouches-du-Rhône), Valérie de Lécluse, titulaire dans le 8e arrondissement, rend compte également d’une fréquentation très réduite. Certains de ses confrères ferment d’ailleurs plus tôt. Dans la Loire, en revanche, la pharmacie d’Olivier Rozaire ne désemplit pas. Le vendredi 20 mars, à 11 h, il enregistre déjà la venue d’une centaine de personnes. « Nous avons moins de monde que d’habitude, mais nous avons des Parisiens et des Lyonnais qui sont venus se confiner dans leurs maisons de campagne. Nous avons aussi tous les renouvellements d’ordonnances : 70 % de notre activité concerne des patients chroniques. Et on continue d’avoir des personnes qui sont malades et qui ont besoin d’être soignées », commente le pharmacien. Pour le moment, pas question de modifier ses horaires d’ouverture : « Une réduction de l’amplitude horaire implique aussi d’avoir plus de monde en moins d’heures. Je ne trouve pas cela pertinent. Et cela signifie aussi que la permanence des soins doit commencer plus tôt », explique Olivier Rozaire.
De fait, modifier les horaires de fermeture implique d’en informer les patients, mais aussi les syndicats de pharmaciens, l’agence régionale de santé et l’Ordre pour l’organisation des pharmacies de garde. Le changement des amplitudes horaires n’est d’ailleurs plus à l’ordre du jour de nombreuses officines. « Nous sommes revenus à un rythme normal », note Fabrice Camaioni. « Nous avons une personne en moins et l’activité est plutôt calme, mais ce vendredi 20 mars, nous avons de nouveau des personnes qui attendent devant la porte », commente Alexandra Gaertner, titulaire à Boofzheim (Bas-Rhin). Le renouvellement exceptionnel des ordonnances, autorisé par le gouvernement, participe aussi au regain d’activité. D’autant que, selon Pascal Louis, de nombreux médecins incitent leurs patients à se rendre directement à l’officine. « A Marseille, des cabinets de médecins et de chirurgiens-dentistes ont fermé », témoigne de son côté Valérie de Lécluse. Certaines officines voient aussi arriver de nouveaux patients qui habitent à proximité mais allaient dans d’autres pharmacies. Confinement oblige…
Organiser l’accueil des patients
Mais quelle que soit la fréquentation de leur officine, les pharmaciens ont tous mis en œuvre des mesures pour l’accueil des patients : marquages au sol pour la circulation au sein de la pharmacie et les distances de sécurité face aux comptoirs, masques lorsqu’ils sont disponibles, plexiglas sur les comptoirs, dispensation par le guichet de garde si l’espace de l’officine est trop restreint, consignes pour une restriction du nombre de patients dans l’officine. « Si nous ne sommes que deux pharmaciens, nous ne servons que deux personnes », explique ainsi Thierry Guillaume, titulaire à Lormont (Gironde). Fabrice Camaioni, qui dispose de huit postes de comptoir dans sa pharmacie, en a « condamné » un en raison de sa proximité avec deux autres postes. « Lorsque nous livrons les médicaments au domicile du patient, nous les déposons devant sa porte », précise de son côté Grégory Tempremant. Le titulaire envisage aussi d’organiser les flux de patients à l’entrée de l’officine selon leurs symptômes afin d’éviter un maximum de contact avec des patients potentiellement infectés.
Une semaine après le début du confinement, Brigitte Bouzige a de nouveau revu son organisation. Un centre Covid-19 va en effet ouvrir à quelques kilomètres de sa pharmacie. « Nous allons avoir des patients atteints de Covid-19 qui vont venir chercher leurs médicaments. Je vais demander à ces patients de nous appeler afin que nous puissions préparer l’ordonnance et nous leur donnerons leurs médicaments par une autre porte, éloignée de l’entrée de l’officine », détaille la pharmacienne. « La situation évolue d’heure en heure et de jour en jour », résume Thierry Guillaume.
En première ligne
L’adaptabilité est donc essentielle. Mais difficile compte tenu du contexte. Les conditions de travail se sont souvent dégradées. « C’est dur de travailler avec un masque. On a du mal à respirer et on est obligé d’attendre la pause déjeuner pour l’enlever. A la fin de la journée, on a l’impression d’avoir fait un marathon », relate Brigitte Bouzige. Encore faut-il que les pharmacies disposent de masques ou en quantités suffisantes pour leurs équipes… « J’ai trois préparatrices qui sont absentes parce qu’elles doivent garder leurs enfants, car rien n’a été prévu pour les enfants des préparateurs », remarque Valérie de Lécluse. Dans une officine parisienne, deux préparatrices sont en arrêt maladie parce qu’elles ont de la fièvre. La peur de la contamination est, de fait, omniprésente. « Nous voyons arriver des patients qui ont de la fièvre et des courbatures, mais nous ne savons pas ce qu’ils ont », souligne Brigitte Bouzige. « Je vais travailler la boule au ventre », avoue une pharmacienne adjointe. « C’est horrible de rentrer le soir en se disant qu’on peut mettre ses proches en danger », confie une autre pharmacienne, dans le Grand Est.
Dans le même temps, Pascal Louis voit dans cette situation inédite un point positif : « Les pharmaciens sont en première ligne et montrent aux patients qu’ils sont des acteurs de soins. » Il va cependant falloir tenir sur la durée. « Je travaille six jours sur sept. Je suis très fatigué. Comme les autres pharmaciens, relève Thierry Guillaume. Et cela m’inquiète, car nous risquons à terme de faire des erreurs de délivrance. »
Le point de bascule
En huit jours, la France est passée du stade 2 au stade 3 avec le confinement de la population. En réalité, ce sont les huit jours précédents qui ont marqué un tournant dans l’épidémie et la prise de décisions pour l’endiguer.
• Entre le 24 janvier et le 24 février 2020, la France maîtrise la situation : seuls six cas ont été détectés. Le « cluster » des Contamines-Montjoie, en Haute-Savoie, est contenu. Mais le 25 février, le décès d’un enseignant de 60 ans dans l’Oise constitue une première alerte : des patients infectés sont passés « sous le radar », pour reprendre l’expression d’Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur.
• « C’est le 6 mars que la situation pour nous bascule avec, à Mulhouse, 81 cas en 24 heures à la suite de la réunion évangéliste, puis 39 patients en réanimation avec, les 7 et 8 mars, les premiers sujets jeunes en réanimation », a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse téléphonique le 17 mars.
• Le 10 mars, le Conseil scientifique, qui comprend dix membres, est créé. Dès le jour suivant, « nous avons acté que nous étions avec une crise sanitaire très évolutive », a déclaré le Pr Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique à cette même conférence de presse.
• Les jours suivants, le Conseil scientifique se réunit tous les jours. Le temps de doublement des cas s’est accéléré en passant de 4-5 jours à 2,8 jours sur l’ensemble du territoire avec toutefois des situations très hétérogènes selon les zones.
• Le 12 mars, Emmanuel Macron s’adresse aux Français et annonce la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées et facultés. Il leur demande aussi de limiter les déplacements.
• Le 14 mars, Edouard Philippe annonce à son tour la fermeture des restaurants, bars et discothèques et des commerces non indispensables.
• Le 16 mars, le président de la République acte le confinement, même s’il n’utilise pas ce terme, pour le lendemain, à midi.
• Le 17 mars, à midi, la vie de 67 millions de Français bascule. « Avez-vous déjà vu pour vous-même et pour nous-mêmes aussi une telle évolution à la fois sur la perception du risque et les décisions qui peuvent être prises ? », a demandé Jean-François Delfraissy aux journalistes. Non, évidemment non. « Moi, c’est la première fois que je vois ça et j’ai été présent dans de très nombreuses batailles », a martelé le spécialiste.
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