Les antiarythmiques peuvent déstabiliser une pathologie préexistante. L’hétérogénéité des modes d’actions de cette classe médicamenteuse impose une analyse au cas par cas.
Cas 1 : Gérard est asthmatique
Gérard A., 52 ans, vient de consulter un cardiologue sur recommandation de son médecin généraliste car il souffre d’extrasystoles. Il présente à Sonia, étudiante en pharmacie, une ordonnance d’acébutolol 200 mg (1 comprimé matin et soir). En consultant l’historique médicamenteux du patient, Sonia note des délivrances ponctuelles de terbutaline (Bricanyl Turbuhaler). L’étudiante, qui a appris que les ß-bloquants sont contre-indiqués en cas d’asthme, s’interroge.
ANALYSE DU CAS
Les ß-bloquants sont des antagonistes des récepteurs ß-adrénergiques. Si certains, dits cardiosélectifs, agissent sélectivement sur les récepteurs ß-1 cardiaques, d’autres bloquent aussi les récepteurs ß-2 situés au niveau bronchique et vasculaire. Ces molécules non sélectives sont non seulement bradycardisantes mais aussi vasoconstrictrices et bronchoconstrictrices. Elles peuvent de ce fait aggraver un asthme ou une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Les ß-bloquants non cardiosélectifs sont ainsi formellement contre-indiqués en cas d’asthme ou de BPCO.
Si, en théorie, les ß-bloquants cardiosélectifs n’agissent pas (ou très peu) sur les récepteurs bronchiques, en pratique, le blocage d’un très petit nombre de récepteurs ß-2 suffit à limiter la dilatation des bronches. En outre, la sélectivité d’un ß-bloquant disparaît avec l’augmentation des doses : en effet, lorsque les récepteurs cardiaques sont saturés par de fortes doses, un ß-bloquant, bien que cardiosélectif, se fixera aussi sur les récepteurs ß-2. De fait, les ß-bloquants cardiosélectifs sont aussi contre-indiqués en cas d’asthme et de BPCO, mais uniquement dans leurs formes sévères.
ATTITUDE À ADOPTER
Le pharmacien incite l’étudiante à consulter la monographie de l’acébutolol. Ce dernier est une molécule cardiosélective qui n’est contre-indiquée que dans les formes sévères d’asthme ou de BPCO. Il n’est donc pas contre-indiqué chez ce patient, qui souffre d’un asthme intermittent (M. A., en effet, a un traitement bronchodilatateur de la crise d’asthme mais pas de traitement de fond). Il convient néanmoins d’informer M. A. du risque de dyspnée liée à l’acébutolol et de lui conseiller de surveiller sa consommation de terbutaline. Si celle-ci venait à augmenter, il faudrait impérativement le signaler au cardiologue.
À RETENIR : les ß-bloquants peuvent provoquer des dyspnées et des bronchospasmes. Les molécules non cardiosélectives sont contre-indiquées en cas d’asthme ou de BPCO, les molécules cardiosélectives ne le sont que dans les formes sévères.
Les propriétés des ß-bloquants
Les ß-bloquants non cardiosélectifs présentent davantage d’effets indésirables bronchiques (dyspnée, essoufflement, bronchospasme) et vasculaires (refroidissement des extrémités, aggravation d’un syndrome de Raynaud, impuissance) que les molécules cardiosélectives.
Ceux possédant une activité sympathomimétique intrinsèque (ASI) sont moins bradycardisants.
Le nébivololol augmente la synthèse de monoxyde d’azote et est vasodilatateur. Il représente une alternative en cas de survenue d’impuissance avec d’autres molécules mais n’a pas d’indication comme antiarythmique.
Les molécules liposolubles passent la barrière hématoencéphalique, ce qui est mis à profit dans le traitement de fond de la migraine mais est à l’origine d’effets indésirables tels que des cauchemars.
Cas 2 : Un patient ronchon
Jérôme F., 65 ans, suit depuis plusieurs années un traitement par sotalol 80 mg (2 fois par jour). Il y a quelques mois, un diabète de type 2 lui a été diagnostiqué mais une intolérance digestive à la metformine a conduit son médecin à la remplacer le mois dernier par du répaglinide (0,5 mg avant les principaux repas pendant 2 semaines puis 1 mg avant les repas). En ce milieu d’après-midi, la pharmacie est pleine de monde quand M. F. vient renouveler ses médicaments. D’habitude charmant et courtois, il se montre irritable, impatient et demande à la préparatrice de le servir rapidement. Il dit avoir chaud, se sentir nauséeux, et des gouttes de sueur perlent sur son front.
ANALYSE DU CAS
Le comportement inhabituel de M. F, ainsi que les sueurs et les nausées qu’il ressent peuvent évoquer une manifestation atypique d’hypoglycémie. Le répaglinide est un antidiabétique oral insulinosécréteur qui, à l’instar des sulfamides hypoglycémiants, stimule la sécrétion d’insuline par le pancréas indépendamment de la glycémie. Il peut donc fréquemment induire des hypoglycémies potentiellement graves, surtout si le diagnostic en est retardé du fait d’une atypie des signes cliniques.
Les symptômes typiques annonciateurs d’une hypoglycémie sont dus à une activation du système nerveux sympathique résultant de la privation du cerveau en glucose. Ce sont donc des signes adrénergiques : sueurs, anxiété, tachycardie, tremblements, sensation de fringale, nausées, troubles de l’humeur et du comportement, confusion voire perte de connaissance.
Or, les ß-bloquants comme le sotalol que prend M. F. peuvent masquer certains signes d’hypoglycémie, du fait de leur activité antagoniste adrénergique, tels que les tremblements ou la tachycardie. Ils peuvent aussi aggraver une hypoglycémie car ils s’opposent à la réponse des catécholamines endogènes qui, en stimulant les récepteurs ß-2, favorisent la glycogénolyse et la néoglucogenèse. Cet effet indésirable est en théorie plus important avec les ß-bloquants non cardiosélectifs et sans activité sympathomimétique intrinsèque comme le sotalol.
ATTITUDE À ADOPTER
La préparatrice invite M. F. à venir s’asseoir au calme dans l’espace de confidentialité. Alertée, la titulaire évoque la possibilité d’une hypoglycémie. M. F. concède avoir un peu forcé sur le jardinage cet après-midi. Un contrôle de glycémie capillaire est effectué (et révèle une glycémie à 0,6 g/l) et un resucrage oral avec 3 morceaux de sucre est proposé. Après s’être un peu reposé, M. F. se sent mieux et capable de rentrer chez lui.
La professionnelle de santé lui indique comment reconnaître une hypoglycémie atypique et lui rappelle de ne pas sauter de repas après la prise de répaglinide. Si les hypoglycémies se réitéraient, il faudrait les signaler au médecin en vue d’une adaptation de la posologie du répaglinide ou d’un changement de traitement.
ATTENTION : Les ß-bloquants masquent certains signes typiques d’hypoglycémie. Il convient d’éduquer les patients sous ß-bloquants et traités par insuline ou antidiabétiques oraux insulinosécréteurs (sulfamides hypoglycémiants et répaglinide) à repérer les symptômes évocateurs.
Antiarythmiques et modifications de la glycémie
Certains antiarythmiques peuvent majorer le risque d’hypoglycémie, notamment lorsqu’ils sont associés aux antidiabétiques. C’est le cas du disopyramide et de la cibenzoline (antiarythmiques de classe I) utilisés à doses élevées, qui stimulent la sécrétion d’insuline en agissant sur les canaux ioniques des cellules ß des îlots de Langerhans pancréatiques, mais aussi des ß-bloquants (antiarythmiques de classe II) et du sotalol (ß-bloquant prolongeant la durée des potentiels d’action cardiaque, considère comme un antiarythmique de classe III) qui inhibe la glycogénolyse et la néoglucogenèse. Les ß-bloquants aggravent en outre les conséquences d’une hypoglycémie, car ils en masquent certains signes annonciateurs et sont donc susceptibles d’en retarder le diagnostic et la prise en charge. L’association de l’insuline ou d’un insulinosécréteur oral (sulfamides hypoglycémiants, repaglinide) avec des ß-bloquants nécessite des précautions d’emploi : une surveillance renforcée de l’autosurveillance capillaire, surtout au début de l’association, voire une adaptation des posologies du traitement antidiabétique peut être nécessaire. À l’inverse, le verapamil (antiarythmique de classe IV) est à même de diminuer l’effet hypoglycémiant de la metformine.
Avec l’aimable relecture du Dr Christophe Berlemont, cardiologue à Chaville (Hauts-de-Seine), et le Dr Ghassan Moubarak, cardiologue et spécialiste en rythmologie à la clinique Ambroise-Paré – Hartmann à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
Article issu du cahier Formation du n°3530, paru le 5 octobre 2024.