2/6 – Pharmacologie : les traitements antiarythmiques

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Les antiarythmiques Réservé aux abonnés

2/6 – Pharmacologie : les traitements antiarythmiques

Publié le 31 octobre 2024
Par Maïtena Teknetzian
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Mécanisme, effets indésirables, contre-indications et interactions… le point sur les molécules de la classe des antiarythmiques.

Les antiarythmiques : modes d’action

Les antiarythmiques sont des médicaments utilisés pour prévenir une récidive d’arythmie et, le cas échéant, pour ralentir la fréquence cardiaque durant une arythmie de façon qu’elle soit mieux tolérée par le patient. In fine, leur objectif est de réduire la morbimortalité liée aux troubles du rythme cardiaque (insuffisance cardiaque, embolie artérielle, mort subite).

Ils constituent une classe de médicaments hétérogènes, tant par leur structure chimique que par leur mode d’action. Ils peuvent en effet diminuer la fréquence cardiaque en exerçant une action antagoniste sympathique et/ou modifier la transmission de l’influx électrique cardiaque en bloquant les différents canaux ioniques impliqués dans l’électrophysiologie cardiaque.

La classification de Vaughan-Williams distingue 4 groupes d’antiarythmiques, en fonction de leur mode d’action.

Les antiarythmiques sont paradoxalement potentiellement arythmogènes. Associer deux antiarythmiques est très délicat, si ce n’est déconseillé, voire contre-indiqué (selon les molécules).

Les ß-bloquants (classe II et sotalol) ne doivent jamais être interrompus brutalement sans avis médical, en particulier chez un patient coronarien (risque de troubles du rythme cardiaque graves, voire de mort subite).

Les cibles des antiarythmiques

© Michel Saemann

Légende de l’infographie

[1] Un cycle dépolarisation/repolarisation a lieu à chaque systole et provoque une contraction suivie d’une relaxation du muscle cardiaque. La diastole correspond au repos électrique. Les cellules cardiaques sont polarisées : le potassium est plus concentré dans le milieu intracellulaire qu’extracellulaire, tandis que le sodium prédomine dans le milieu extracellulaire. Les cellules sont alors excitables.

[2] L’arrivée de l’influx nodal induit une dépolarisation rapide des cardiomyocytes grâce à une ouverture des canaux sodiques et une entrée massive et rapide de sodium dans les cellules. 

[3] Quand la concentration sodique intracellulaire atteint son maximum, les canaux potassiques s’ouvrent pour laisser sortir le potassium des cellules : c’est la repolarisation. Alors que les canaux potassiques sont ouverts, l’ouverture de canaux calciques permet une entrée dans les cardiomyocytes de calcium, nécessaire à la contraction des fibres myocardiques.

[4] Il y a dans un premier temps un équilibre entre les flux calciques entrants dépolarisants et les flux potassiques sortants repolarisants, puis dans un second temps, seul le potassium sort rapidement, la repolarisation s’accélère.

Pendant la plus grande partie du potentiel d’action, les cellules ne sont plus excitables (on parle de période réfractaire).

[5] Puis la mise en jeu de la pompe Na+/K+ ATPase permet de rétablir les concentrations initiales de sodium et de potassium de part et d’autre des membranes cellulaires en permettant la sortie du sodium et l’entrée du potassium.

[6] La concentration intracytosolique de calcium diminue car ce dernier rentre dans le réticulum sarcoplasmique (réticulum endoplasmique lisse des cellules musculaires, faisant office de réserve calcique). Les cellules retrouvent leur potentiel d’action diastolique et sont de nouveau excitables.

Notes infographie

Na+ : ion sodium ; Ca2+ : ion calcium ; K+ : ion potassium ; Na⁺/K⁺-ATPase : pompe sodium-potassium

Antiarythmiques de classe I

Ce sont des bloqueurs des canaux sodiques. Ils ralentissent la dépolarisation et exercent un effet inotrope négatif (diminution de la contractilité). Cette classe est subdivisée en 3 sous-classes selon leur effet sur la durée du potentiel d’action :

– la classe Ia (disopyramide, hydroquinidine) augmente la durée du potentiel d’action, et allonge l’intervalle QT (lequel reflète la durée d’un cycle dépolarisation/repolarisation) à l’électrocardiogramme (ECG).

– la classe Ib (lidocaïne) raccourcit la durée du potentiel d’action et a tendance à diminuer l’intervalle QT.

– la classe Ic (cibenzoline, flécaïnide, propafénone) ne modifie pas la durée du potentiel d’action. Il est à noter que la cibenzoline possède des propriétés (limitées) de classe III et peut augmenter la période réfractaire.

Les molécules les plus utilisées de nos jours sont la flécaïnide et la propafénone. Elles sont notamment indiquées dans le traitement et la prévention des récidives des troubles du rythme ventriculaires, sous réserve de l’absence d’altération de la fonction ventriculaire gauche et de coronaropathie (du fait de leur propriété inotrope négative qui aggraverait l’insuffisance cardiaque). Le disopyramide et l’hydroquinidine, qui sont potentiellement torsadogènes (du fait de l’allongement de l’intervalle QT) et ont de surcroît des propriétés anticholinergiques, ne sont quasiment plus prescrits. La Haute Autorité de santé considère, en raison de leur faible efficacité préventive sur la récidive de fibrillation atriale et de leurs effets proarythmiques, qu’elles n’ont plus leur place dans les tachycardies supraventriculaires. La lidocaïne, qui s’administre par voie intraveineuse (du fait d’un important effet de premier passage hépatique), est réservée au traitement en urgence des tachycardies ventriculaires.

Effets indésirables : effets proarythmiques ; risque de torsades de pointe et d’effets atropiniques (hydroquinidine, disopyramide) ; troubles neurologiques et sensoriels tels que des vertiges, des tremblements et des troubles visuels (flécaïnide, cibenzoline) ; troubles digestifs (flécaïnide, cibenzoline, propafénone) ; dysgueusies avec la propafénone ; dyspnée et, plus rarement, fibrose pulmonaire et pneumopathie interstitielle (flécaïnide), hypoglycémie (disopyramide, cibenzoline en surdosage).

Contre-indications : insuffisance cardiaque (même compensée) du fait des effets inotropes négatifs, ischémie coronaire, bloc auriculoventriculaire, et, pour le disopyramide et l’hydroquinidine, allongement préexistant de l’intervalle QT, glaucome par fermeture de l’angle et troubles urétroprostatiques.

Principales interactions : le disopyramide et l’hydroquinidine sont contre-indiqués ou déconseillés avec les autres torsadogènes (contre-indiqués avec les antiarythmiques de classe III, l’escitalopram, le citalopram, la dompéridone par exemple, et déconseillés avec la méthadone, les antiparasitaires et les neuroleptiques). L’association de torsadogènes non antiarythmiques avec de la cibenzoline est déconseillée. L’association avec d’autres médicaments inotropes négatifs ou bradycardisants est délicate. Elle nécessite une surveillance clinique et un contrôle renforcé de l’ECG.

Antiarythmiques de classe II

Cette classe est représentée par les ß-bloquants (à l’exception du sotalol). Les ß-bloquants sont des antagonistes ß-adrénergiques qui agissent sur l’automatisme nodal. Les ß-bloquants cardiosélectifs ont une affinité pour les récepteurs ß1 (cardiaques) supérieure à celle pour les récepteurs ß2 (bronchiques et vasculaires). Les molécules non cardiosélectives se fixent sur le cœur, les bronches et les vaisseaux.

L’antagonisme ß1 est à l’origine d’effets chronotropes, dromotropes, bathmotropes et inotropes négatifs (respectivement, diminution de la fréquence cardiaque, de la conduction auriculo-ventriculaire, de l’excitabilité cardiaque et de la force des contractions). L’antagonisme ß2 exerce un effet bronchoconstricteur et vasoconstricteur, à l’origine d’effets indésirables.

Les ß-bloquants sont indiqués dans la fibrillation auriculaire, les extrasystoles ventriculaires, mais aussi la prévention des troubles du rythme ventriculaire, notamment dans un contexte d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance cardiaque (sous couvert d’une titration progressive) et les tachycardies jonctionnelles.

Effets indésirables : hypotension, bradycardie, fatigue, aggravation d’une insuffisance cardiaque, essoufflements, dyspnée, refroidissement des extrémités, impuissance, cauchemars (avec les molécules liposolubles), aggravation d’une hypoglycémie (car ils en masquent les signes annonciateurs), éruptions psoriasiformes.

Contre-indications : hypotension, bradycardie (inférieure à 45 à 50 battements par minute), insuffisance cardiaque non contrôlée, bloc sino-auriculaire et auriculoventriculaire, angor de Prinzmetal, asthme et bronchopneumopathie chronique obstructive (BCPO) – quelle que soit leur forme pour les molécules non cardiosélectives, uniquement dans les formes sévères pour les molécules cardiosélectives –, phénomène de Raynaud et troubles artériels périphériques.

Principales interactions : l’association d’un ß-bloquant avec le vérapamil ou le diltiazem (classe IV) est déconseillée (risque de bradycardie excessive), ainsi que celle avec des antiarythmiques de classe I (majoration de l’effet inotrope négatif). Celle avec l’insuline, les sulfamides hypoglycémiants ou le répaglinide nécessite de renforcer l’autosurveillance glycémique. Les inhibiteurs du cytochrome P450 2D6 (fluoxétine, paroxétine, notamment) diminuent le métabolisme du métoprolol et du nébivolol (risque de bradycardie). L’association avec des médicaments torsadogènes augmente le risque de torsades de pointe.

Surveillance d’un traitement antiarythmique

Surveillance clinique : la tension artérielle et la fréquence cardiaque d’un patient traité par antiarythmique doivent être surveillées, notamment pour s’assurer que le traitement est bien toléré (vérifier l’absence d’hypotension et de bradycardie). L’ECG doit être également contrôlé pour s’assurer de l’efficacité du traitement mais aussi de sa bonne tolérance. Dans un contexte d’interaction médicamenteuse, s’assurer que le contrôle de l’ECG est renforcé.

Surveillance biologique : les dyskaliémies favorisant la survenue de troubles du rythme cardiaque, l’utilisation d’antiarythmique requiert de vérifier régulièrement l’ionogramme du patient. Veiller en particulier à ce que la kaliémie (normale entre 3,5 et 5 mmol/l) soit bien contrôlée en cas d’épisodes susceptibles d’induire des troubles ioniques (diarrhées, vomissements, fortes chaleurs) ou en cas d’association avec des médicaments modifiant la kaliémie (par exemple, des diurétiques, des corticoïdes, des laxatifs stimulants).

Antiarythmiques de classe III

Ce sont des bloqueurs des canaux potassiques. Ils retardent la repolarisation, ce qui allonge non seulement la durée du potentiel d’action et celle de la période réfractaire (diminuant ainsi l’excitabilité cardiaque), mais aussi l’intervalle QT à l’ECG.

Les molécules les plus utilisées sont l’amiodarone et le sotalol, qui sont proposés dans la fibrillation atriale et les tachycardies ventriculaires. L’amiodarone, qui augmente le débit coronarien et est dépourvue d’effet inotrope négatif, présente l’avantage de pouvoir être utilisée chez le patient insuffisant coronarien ou cardiaque. La dronédarone se différencie de l’amiodarone par l’absence d’iode dans la molécule. Moins efficace que cette dernière dans la prévention de la récidive de fibrillation auriculaire et exposant à des effets indésirables pulmonaires et hépatiques graves, elle est beaucoup moins prescrite, d’autant qu’elle n’est pas remboursée par la Sécurité sociale.

Effets indésirables : bradycardie, risque d’allongement excessif de l’intervalle QT et de survenue de torsades de pointe.

Du fait de sa teneur en iode, l’amiodarone peut en outre induire des dysthyroïdies, être responsable de microdépôts cornéens (réversibles à son arrêt), voire d’une névrite optique, de manifestations cutanées (photosensibilisation, pigmentation grisâtre), de dysgueusies (goût amer ou métallique). Elle peut aussi induire une pneumopathie interstitielle imposant l’arrêt du traitement, une neuropathie périphérique, des tremblements ou un syndrome extrapyramidal.

Sur le plan biologique, l’amiodarone peut provoquer une élévation des transaminases et de la créatininémie. C’est le cas également de la dronédarone. Cette dernière peut également être responsable d’insuffisance cardiaque.

Le sotalol est un ß-bloquant non cardiosélectif qui partage les effets indésirables de la classe II.

Contre-indications : Amiodarone : bradycardie, bloc sino-auriculaire ou auriculoventriculaire, hyperthyroïdie, allergie à l’iode, 2e et 3e trimestres de grossesse, allaitement ; dronédarone : bradycardie, bloc auriculoventriculaire, dysfonction sinusale, insuffisance cardiaque, intervalle QT long (congénital ou acquis), insuffisances hépatique ou rénale sévères ; sotalol : voir contre-indications de la classe II, insuffisance rénale terminale, intervalle QT long (congénital ou acquis), torsades de pointe.

Principales interactions : les antiarythmiques de classe III sont contre-indiqués ou déconseillés avec les autres torsadogènes (contre-indiqués avec les antiarythmiques de classe Ia, l’escitalopram, le citalopram, la dompéridone par exemple, et déconseillés avec la méthadone, les antiparasitaires et les neuroleptiques). Leur association avec des bradycardisants augmente le risque de torsade de pointe. L’association de cobicistat avec l’amiodarone est contre-indiquée (risque d’inhibition du métabolisme de l’amiodarone).

Les inhibiteurs puissants du CYP3A4 (télithromycine, clarithromycine, ritonavir, antifongiques azolés, etc.) et le dabigatran sont contre-indiqués avec la dronédarone (risque respectif de diminuer le métabolisme de la dronédarone et d’augmenter l’exposition au dabigatran).

Antiarythmiques de classe IV

Le vérapamil et le diltiazem sont des antagonistes calciques qui bloquent l’entrée de calcium au niveau des cellules cardiaques et vasculaires. Au niveau cardiaque, ils exercent un effet bradycardisant, diminuent la force des contractions cardiaques et la conduction auriculoventriculaire. Au niveau vasculaire, ils exercent un effet vasodilatateur.

Le vérapamil est indiqué dans le traitement et la prévention des tachycardies supraventriculaires.

Le diltiazem en solution injectable intraveineuse dosée à 25 mg (réservée à l’usage hospitalier) est utilisé dans le traitement de la crise de tachycardie jonctionnelle paroxystique. Les formes orales n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché spécifique dans les troubles du rythme. Elles sont indiquées dans le traitement de l’angor et de l’hypertension artérielle. En pratique, elles sont néanmoins prescrites en rythmologie, notamment comme alternative aux ß-bloquants.

Effets indésirables : bradycardie, aggravation d’une insuffisance cardiaque, manifestations de vasodilatation (bouffées vasomotrices, hypotension orthostatique, œdèmes de membres inférieurs), constipation et hypertrophie gingivale.

Contre-indications : hypotension, bradycardie sévère, bloc auriculoventriculaire, dysfonction sinusale, insuffisance cardiaque, choc cardiogénique, fibrillation atriale associée à un syndrome de Wolff-Parkinson-White (risque majoré d’arythmie ventriculaire dans ce cas).

Principales interactions : l’association avec des ß-bloquants (y compris en collyre) est déconseillée. Celle avec des torsadogènes augmente le risque de torsades de pointe. L’association du vérapamil avec le millepertuis est contre-indiquée. Le vérapamil et le diltiazem sont inhibiteurs du cytochrome P450 3A4 (CYP3A4) et de la glycoprotéine P (P-gp), et ne sont pas recommandés avec l’ivabradine. Le diltiazem est contre-indiqué avec les dérivés ergotés et le vérapamil déconseillé avec la colchicine. L’association du vérapamil avec l’atorvastatine ou la simvastatine doit prendre en compte un risque majoré de rhabdomyolyse, celle avec le dabigatran nécessite une adaptation posologique de celui-ci.

Avec l’aimable relecture du Dr Christophe Berlemont, cardiologue à Chaville (Hauts-de-Seine), et le Dr Ghassan Moubarak, cardiologue et spécialiste en rythmologie à la clinique Ambroise-Paré – Hartmann à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).

Article issu du cahier Formation du n°3530, paru le 5 octobre 2024.