- Accueil ›
- Business ›
- Economie ›
- Tableaux de bord ›
- Comprendre l’économie de l’officine
Comprendre l’économie de l’officine
Chiffre d’affaires, charges fixes et variables, marge brute, trésorerie… Pas toujours facile de s’y retrouver dans les indicateurs économiques de l’officine ! Pourtant, ils sont au cœur de la gestion de votre pharmacie. Décryptage des principaux concepts comptables avec lesquels votre titulaire doit jongler au quotidien.
Une officine fonctionne comme toute entreprise. Elle doit générer des ressources suffisantes pour couvrir ses charges et dégager un bénéfice permettant d’assurer des investissements. Son activité repose sur deux sources principales de revenus : d’une part, le prix des produits vendus (médicaments, matériel, parapharmacie) et d’autre part, les honoraires perçus pour les nouvelles missions pharmaceutiques.
Pour évaluer la performance de son officine, le titulaire chef d’entreprise dispose de plusieurs indicateurs clés. Le plus courant et le plus visible est le chiffre d’affaires net (CA), c’est-à-dire hors TVA. Il correspond au prix de vente des marchandises et des prestations de service sur une période donnée multiplié par les quantités. Il est généralement calculé sur une année. En janvier 2024, le cabinet d’expertise comptable AdequA a publié les résultats de son étude statistique réalisée auprès de ses officines clientes. Laurent Cassel, expert-comptable, nous éclaire : « Sur les bilans clos en 2023, le chiffre d’affaires moyen des pharmacies suivies par notre cabinet est de 2,819 millions d’euros. » En d’autres termes, une pharmacie « type » de l’échantillon AdequA vend pour 2,819 millions d’euros de produits et de prestations hors taxes par an.
Le CA permet au chef d’entreprise d’avoir une vision de l’activité économique de la pharmacie et de se situer par rapport à ses concurrents. Il ne dit rien en revanche de la rentabilité. En effet, un CA élevé ne garantit pas nécessairement une bonne santé financière. Le CA doit permettre à l’officine de faire face à ses charges. Si elles sont disproportionnées, alors la pérennité de l’entreprise est mise à mal.
DERRIÈRE LE CHIFFRE D’AFFAIRES : LE POIDS DES CHARGES
Comme chacun sait, vendre un traitement à 4 000 € ne fait pas gagner 4 000 € à la pharmacie. Pour assurer la pérennité de l’entreprise, son dirigeant doit maîtriser ses charges, soit les frais dont l’officine s’acquitte pour exister. On distingue deux types de charges.
Elles peuvent être fixes, dans ce cas, leur montant est identique tout au long de l’année. Elles comprennent les salaires, le loyer, l’électricité, les impôts, les frais de carte bleue, l’emprunt pour l’achat de la pharmacie, etc. Les charges peuvent être également variables, leur montant variant d’un mois sur l’autre (achats de marchandises, de matériel). Par exemple, au mois de février, le chef d’entreprise va passer les commandes pour les crèmes solaires de l’été ou les doses de vaccin contre la grippe en plus de ses achats habituels. Le montant de ces charges fournisseurs va augmenter ce mois-là pour diminuer en mars.
L’étude du cabinet AdequA met en évidence une augmentation significative des charges : « Les loyers et les charges liées à l’énergie ont progressé de 5 % entre 2022 et 2023. Mais la plus grande augmentation concerne les charges de personnel. Celles-ci ont augmenté de 7,5 % en 2023, après une hausse déjà conséquente de 14 % en 2022, détaille Laurent Cassel. Ces charges sont payées par l’argent généré par l’activité économique de la pharmacie. Il faut donc plus d’activité pour payer les charges. »
LA GESTION DES CHARGES : UN ÉQUILIBRE DÉLICAT
Moins la pharmacie a de charges, mieux les salariés seront payés ? « Cet adage n’est pas vrai, car en officine, la grille des salaires joue un rôle de régulateur, estime Laurent Cassel. La principale charge sur laquelle peut jouer le titulaire est l’emprunt bancaire. Mais une fois qu’il est remboursé, le chef d’entreprise doit réfléchir à de nouveaux investissements pour éviter d’adopter une position défensive, néfaste pour la pérennité de l’entreprise. » Pour savoir si la pharmacie gagne ou perd de l’argent, le chef d’entreprise doit calculer le résultat net de l’entreprise. Ce résultat est la valeur créée par l’officine une fois l’ensemble de ses charges payées. La formule est simple : résultat net = CA – (charges fixes + charges variables).
Prenons un exemple. En une journée de travail, Amandine a facturé 1 000 € HT de produits. C’est donc son chiffre d’affaires. Les charges de l’officine pour une journée et un salarié représentent 700 €. Le résultat net pour cette journée est donc de 300 €. Ils seront utiles au pharmacien pour alimenter sa trésorerie, se verser un salaire et/ou faire des investissements.
Pour obtenir un bon résultat net et assurer la pérennité de l’activité, le pharmacien doit être vigilant à deux aspects essentiels. Sa politique d’achat : négocier les meilleurs prix auprès des fournisseurs. Sa politique de prix : fixer des prix de vente adaptés, tout en restant compétitif. Le titulaire doit également veiller à proposer des produits qui répondent réellement à la demande de sa patientèle. Des produits qui prennent la poussière sur les rayonnages coûtent de l’argent à l’officine.
LA MARGE BRUTE GLOBALE : L’INDICATEUR CLÉ !
La marge permet d’apprécier si les prix de vente sont fixés de manière à assurer la rentabilité de l’entreprise. Comme dans tout commerce, elle doit permettre aux pharmaciens de couvrir leurs charges, de payer leurs fournisseurs et de dégager un bénéfice suffisant pour réinvestir dans l’entreprise ou alimenter la trésorerie.
La marge brute est calculée en soustrayant le coût d’achat du prix de vente HT. Par exemple, une pharmacie achète un shampoing 8 € HT l’unité auprès de son fournisseur. Elle le revend 15 € HT au patient. La pharmacie réalise ainsi une marge de 7 € HT par vente, somme qui contribuera à couvrir les charges fixes et variables de l’entreprise. Pour Laurent Cassel, le chef d’entreprise doit être vigilant à sa marge pour garantir un bon niveau de trésorerie : « Il est judicieux de partir de la rentabilité souhaitée pour fixer le prix de vente. Le pharmacien doit se demander de combien il doit augmenter son prix pour maintenir sa marge et ne pas perdre d’argent sur ce produit. Cette réflexion doit prendre en compte l’inflation, mais également la hausse du coût du personnel, de l’énergie, etc. C’est une méthode efficace. » L’étude du cabinet AdequA révèle que sur 100 € de marge, en moyenne 40 € sont consacrés aux frais de personnel. « Mais il faut comprendre que l’équipe est une ressource nécessaire pour faire tourner la pharmacie », rappelle l’expert-comptable.
Cependant, la spécificité du secteur pharmaceutique réside dans le fait que pour les produits remboursés, qui représentent 75 % du chiffre d’affaires, le pharmacien ne détermine pas sa marge comme il le souhaite. Depuis 1990, la marge sur les médicaments remboursables est dégressive et lissée (MDL), un système instauré pour la décorréler du prix des médicaments et atténuer l’impact des baisses de prix sur la rémunération. En pratique, l’Assurance maladie fixe, dans la Convention pharmaceutique négociée avec les syndicats représentatifs d’employeurs, le taux de marge que la pharmacie percevra lors de la vente d’un médicament remboursé. Actuellement, ce taux est régi par l’arrêté du 12 novembre 2018. Par exemple, pour un médicament dont le prix fabricant hors taxes est compris entre 0 € et 1,91 €, la marge du pharmacien sera de 10 %. « Au-delà, pour les médicaments chers ou très chers, la marge sera plafonnée à 100 €, quel que soit le prix de la boîte », détaille Laurent Cassel.
Cette réglementation peut conduire à des situations paradoxales, comme le souligne Philippe Besset, président de la FSPF : « Avec l’explosion de la délivrance des produits onéreux, c’est-à-dire de 1 930 € et plus, la marge diminue alors que le CA augmente. » Laurent Cassel illustre ce phénomène : « Une officine peut faire une journée avec un tiroir-caisse à 20 000 € mais une marge à 100 € seulement… »
Face à ces contraintes, les pharmacies diversifient leurs activités et proposent de plus en plus de services comme les tests de dépistage ou les entretiens pharmaceutiques. Ces prestations génèrent du chiffre d’affaires via des honoraires qui valorisent le rôle de professionnel de santé du pharmacien.
Néanmoins, les chiffres récents du réseau d’expertise-comptable CGP montrent une baisse de la marge brute globale. En 2023, elle s’élève à 694 000 €, soit 29,33 % du CA, contre 756 500 € (32,50 % du CA) en 2022. Laurent Cassel estime qu’en moyenne, « un salarié génère 100 000 € de marge par an ».
AU-DELÀ DU CA : L’EBE ET LA PERFORMANCE COMMERCIALE DE GESTION
Pour évaluer la rentabilité réelle d’une pharmacie, le titulaire dispose d’indicateurs plus pertinents que le simple chiffre d’affaires. Parmi eux, l’excédent brut d’exploitation (EBE) est souvent utilisé. Il représente la capacité d’une entreprise à générer des ressources de trésorerie grâce à son activité courante, sans tenir compte de sa stratégie de financement, d’amortissement et des événements exceptionnels. Il se calcule en soustrayant du chiffre d’affaires les achats consommés, les charges externes, les charges de personnel et les impôts et taxes (hors impôt sur les sociétés).
L’EBE est toutefois un indicateur imparfait pour Laurent Cassel : « La rémunération du dirigeant est intégrée dans le calcul de l’EBE. De plus, sur le montant de l’EBE, il reste à payer les impôts de la pharmacie et les éventuels leasings pour le matériel informatique ou le robot. C’est pourquoi il est préférable de s’intéresser à la performance commerciale de gestion. » La performance commerciale représente le montant dont dispose réellement le pharmacien pour rembourser l’emprunt de la pharmacie et se rémunérer. Il offre donc une vision plus juste de la rentabilité de l’officine. « En moyenne, un pharmacien se rémunère entre 60 000 € et 70 000 € par an, soit entre 5 000 € et 6 000 € par mois pour des semaines de 50 à 60 heures. À cela, il faut ajouter le montant de la revente lorsqu’il quittera la profession », précise l’expert-comptable du cabinet AdequA.
Pourquoi parler hors taxes ?
L’expert-comptable comme le chef d’entreprise raisonnent en hors taxes (HT), en excluant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des calculs. Cette taxe est collectée par la pharmacie pour le compte de l’État. Elle n’est donc pas un revenu pour l’officine. Le HT reflète le véritable chiffre d’affaires de l’entreprise, sans la distorsion de la TVA. À l’officine, plusieurs taux de TVA cohabitent (2,1 %, 5,5 %, 10 % et 20 %) en fonction des produits et services fournis aux patients, rendant le calcul TTC complexe. Réfléchir en HT facilite donc la gestion comptable et la prise de décisions financières.
EXEMPLE
Coût réel du salaire d’un préparateur
Le salaire brut mensuel d’un préparateur coefficient 290 est de 2 228,68 €, hors prime d’ancienneté. L’employeur doit ajouter à ce montant le paiement de cotisations patronales, qui représentent 24 % du salaire brut (32 % pour un pharmacien adjoint).
Ainsi, pour l’employeur, le salaire chargé d’un préparateur s’élève à 2 763,56 € par mois.
À titre de comparaison, en 2021, le salaire brut pour le même coefficient était de 2 039,55 €, soit 2 529,04 € une fois chargé.
Anatomie de la marge sur un produit à 100 €
Pour un produit vendu 100 € en officine :
• Prix de vente HT : 83,33 € (en considérant une TVA à 20 %)
• Prix d’achat HT : 53,33 € (en supposant une marge de 30 %)
• Marge brute : 30 € (83,33 € – 53,33 €)
Répartition de cette marge de 30 € :
• Frais de personnel : 15 € (50 % de la marge)
• Autres charges fixes (loyer, électricité, etc.) : 7,50 € (25 %)
• Impôts et taxes : 3 € (10 %)
• Bénéfice avant investissement : 4,50 € (15 %)
À noter : la répartition peut varier selon les officines et les produits. Pour les médicaments remboursables, la marge est réglementée et souvent inférieure.
Avoir au moins 300 000 € de trésorerie : un impératif !
La trésorerie est le nerf de la guerre pour toute entreprise. Elle représente les liquidités immédiatement disponibles, essentielles pour faire face aux dépenses courantes et aux imprévus. En pratique, c’est l’argent dont dispose la société sur son compte bancaire et dans ses caisses. « Le chef d’entreprise doit se fixer comme objectif d’avoir 10 % de son chiffre d’affaires en trésorerie, recommande Laurent Cassel.
C’est son matelas de sécurité. » Cette réserve financière va lui permettre de payer les salaires et les fournisseurs sans attendre le paiement des factures que les patients ou l’Assurance maladie lui doivent. « Une faible trésorerie a un impact fort sur le moral du chef d’entreprise qui est toujours sous la pression des entrées et des sorties, avec le stress d’avoir des agios », ajoute-t-il.
EXEMPLE
EBE vs Performance commerciale de gestion
Calcul de l’EBE pour une pharmacie avec un chiffre d’affaires de 2,8 millions d’euros :
• CA : 2 800 000 €
• Achats et charges externes : – 2 100 000 €
• Charges de personnel : – 420 000 €
• Impôts et taxes : – 30 000 €
EBE = 250 000 €
Calcul de la performance commerciale de gestion :
• EBE : 250 000 €
• Impôts sur les sociétés : – 50 000 €
• Remboursement des emprunts : – 100 000 €
Performance commerciale de gestion = 100 000 €
Dans cet exemple, l’EBE pourrait laisser penser que la pharmacie dégage 250 000 € de ressources. En réalité, la performance commerciale de gestion montre que le pharmacien ne dispose que de 100 000 € pour sa rémunération et d’éventuels investissements.
- 29 transferts d’officines enregistrés en janvier : bonne ou mauvaise nouvelle ?
- Pharmacies : cessions en hausse, petites officines en danger
- Intelligence artificielle en officine : s’adapter ou disparaître
- Livmed’s veut tirer un trait sur le conflit avec l’Ordre des pharmaciens
- Comment la politique américaine pourrait aggraver le risque d’épidémies
- Analogues du GLP-1 : alerte sur les faux justificatifs
- Biosimilaires : les pharmaciens avancent… sans filet économique
- Grippe saisonnière : faible efficacité des vaccins de la saison 2024-2025
- PLFSS 2025 : adieu la « taxe lapin »
- Journée des maladies rares : rencontre avec Hélène Gaillard, une pharmacienne engagée

